La dernière «armée insurrectionnelle» d’Europe de l’Ouest disparaît: l’ETA démantelée

L’ETA a annoncé le 2 mai son démantèlement définitif, après s’être désarmée en 2017. «Exactement ce que les uns et les autres souhaitaient», selon un représentant du Pays basque français, «pas la fin que nous voulions», selon une association espagnole. Comment la dissolution de l’ETA est-elle perçue de chaque côté de la frontière?
Sputnik

C'est officiellement la fin du terrorisme basque. Le 2 mai, l'ETA (Euskadi Ta Askatasuna) a fait parvenir une missive à plusieurs institutions et responsables politiques français et espagnols, dans laquelle elle annonçait avoir «décidé de mettre un terme à un cycle historique et à sa fonction» et «dissout complètement l'ensemble de ses structures».

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Née en 1959 en opposition au franquisme, l'ETA, qui militait pour l'indépendance du Pays basque, était la dernière «armée insurrectionnelle» d'Europe occidentale. Après avoir pris la voie de la lutte armée contre la dictature de Franco, l'organisation, qualifiée de terroriste par la France, l'Espagne et l'UE, avait durci ses actions dans les années 1980.

Dans sa missive reçue par le média en ligne El Diario Vasco et datée du 16 avril dernier, l'organisation explique que sa dissolution s'inscrit dans un «processus initié en 2010» et vient «clore un cycle historique de 60 ans d'ETA».

Euskadi Ta Askatasuna avait annoncé un cessez-le-feu unilatéral en 2011 avant d'acter son désarmement en livrant à la police française son arsenal, composé de 120 armes, trois tonnes d'explosifs et de munitions, le 8 avril 2017.

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L'ETA regrette dans son communiqué du 2 mai de n'avoir pu être «capable d'aboutir à un accord» pour résoudre le «conflit» basque et justifie sa décision de dissolution par le fait qu'elle a misé sur «la construction d'un avenir sur de nouvelles bases» en dépit du «manque de volonté» de l'État espagnol pour «résoudre le conflit».

«Cette décision [de dissoudre l'organisation ETA] vient clore un cycle historique de 60 ans d'ETA. Mais cela ne met pas un terme au conflit qui existe entre le Pays basque et la France et l'Espagne. Ce conflit n'a pas commencé avec l'ETA et ne se termine pas avec la fin de l'ETA», souligne le communiqué.

En reconnaissant dans sa dépêche l'importance du «changement de stratégie» de la gauche basque, dont le parti (Izquierda Abertzale) a poussé au démantèlement de l'ETA, l'organisation a admis à demi-mot que son démantèlement était dû à un changement de panorama politique.

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Malgré une conclusion en forme d'appel au dialogue, où le groupe terroriste appelle à «construire un avenir ensemble» et à soigner «des blessures profondes de manière adéquate», cette annonce a causé des réactions contrastées de part et d'autre de la frontière franco-espagnole.

En France, la missive a été reçue avec enthousiasme et a suscité de l'espoir. La majorité des Basques interrogés sur France 3 Régions s'est montrée optimiste. Jean-René Etchegaray, président de la communauté d'agglomération du Pays basque estimait que cette annonce était «exactement ce que les uns et les autres souhaitaient», tandis que Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques saluait «une annonce historique».

En Espagne en revanche, l'annonce a été accueillie bien plus froidement, probablement du fait que les actions violentes commises par l'ETA ont en grande partie eu lieu du côté espagnol de la frontière. L'exécutif régional basque s'est gardé de tout commentaire à la suite de l'annonce de l'ETA. Le porte-parole du gouvernement basque s'est contenté de déclarer le 2 mai que la région envisageait d'avoir une réaction conjointe avec le gouvernement régional de Navarre. A contrario, l'exécutif national s'est rapidement exprimé pour rappeler que «la seule politique d'avenir en matière d'antiterrorisme est d'appliquer scrupuleusement la loi».

Le ministre de l'Intérieur espagnol, Juan Ignacio Zoido, assurait que le gouvernement de Madrid continuerait à enquêter sur les crimes non élucidés attribués au groupe terroriste avant de publier un tweet dans lequel il se fendait d'un «Il ne peut y avoir d'impunité».

L'ETA avait déjà été vaincue et dissoute par les forces de l'ordre et par la société civile. Ce qu'elle doit faire, c'est demander pardon, faire amende honorable et collaborer avec la justice pour éclaircir ses crimes. Il ne peut y avoir d'impunité.

Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, a abondé dans ce sens lors d'une conférence de presse. Il a dénoncé le coup de communication que s'est offert l'ETA en annonçant sa dissolution, qu'il qualifiait de «bruit et de beaucoup de propagande» et a lancé:

«L'ETA a été vaincue grâce à l'État de droit et à la force de la démocratie espagnole. L'ETA peut annoncer sa disparition, mais ni ses crimes ni les actions de la justice ne disparaissent.»

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Consuelo Ordoñez, président de Covite, une association de victimes, s'est montrée très critique sur le démantèlement d'Euskadi Ta Askatasuna au micro du Los Angeles Times et a fustigé:

«Ce n'est pas la fin de l'ETA que nous voulions, en tant que société ou en tant que victimes, ni celles que nous méritions.»

Iñaki Gabilondo, un grand éditorialiste espagnol pour El País, a expliqué dans une vidéo publiée sur YouTube que le démantèlement de l'ETA était:

«Une nouvelle sur laquelle il faut veiller pour qu'elle soit gérée et interprétée de la manière adéquate. Car l'ETA aurait dû se retirer en silence, la tête baissée et au lieu de cela, elle va le faire de manière théâtrale et […] tenter de convertir sa défaite en un simulacre d'accord de paix.»

Au total, ETA aura fait, selon les sources officielles espagnoles, plus de 850 morts, environ 2.600 blessés et aura commandité 83 enlèvements en un peu moins de 60 ans d'existence.

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