La banlieue de Toulouse a été marquée par une quatrième nuit de violences. Voitures et poubelles incendiées, jets de briques et tirs de mortier d'artifice sur les forces de l'ordre émaillent les nuits d'habitants impuissants et à bout de nerfs. Comme à chaque flambée de violences dans les quartiers dits «sensibles», la presse met en avant des raisons sociales et souligne l'inimitié entre des jeunes «stigmatisés» et les forces de l'ordre.
«Il y a beaucoup de mauvaise foi de la part de ceux qui propagent cette analyse», estime à notre micro Fatiha Boudjahlat.
«Au contraire, on aurait plus à regretter une absence, une sous-représentation de la police dans les quartiers que justement une focalisation sur les quartiers.»
Principal point de départ de ces violences, mis en avant dans la presse, la mort samedi 14 avril d'un détenu originaire du Grand Mirail à la maison d'arrêt de Seysses, près de Toulouse. Un décès qui serait en fait un suicide et n'aurait donc rien à voir avec la violence des «matons» contre ce prisonnier «issu des quartiers». L'autre raison de cet embrasement du Mirail est évoquée, par ces mêmes médias avec, bien plus de précautions: «selon certaines sources policières», soulignent-ils, un contrôle d'identité d'une femme en niqab (voile intégral) qui aurait dégénéré, aurait mis le feu aux poudres.
Une deuxième explication, du point de départ de ces violences, que Fatiha Boudjahlat semble favoriser par rapport à la première.
«Cela a servi de prétexte pour que des caïds convergent avec des barbus pour s'opposer à la présence de la Police dans ces quartiers, qui simplement leur rappellent que ces quartiers ne sont pas soustraits à l'État de droit français.»
Si elle confirme l'expression d'un communautarisme dans ces violences urbaines, dans une zone que certains à Toulouse désignent sous le nom de «ceinture verte», non à cause des arbres, mais de la forte proportion de personnes de confession musulmane, la notion est toutefois à utiliser avec précaution:
«Quand je parle de communautarisme, ce n'est pas le sentiment naturel des habitants d'appartenir à une communauté. C'est l'autorisation, pour certains, au nom d'une communauté de l'enfermer, de la régir, de se prononcer pour elle et je pense qu'aucune famille du Mirail n'est solidaire de ces violences-là.»
«Les habitants de ces quartiers, eux, sont vraiment pris en otage!»
tient à souligner Fatiha Boudjahlat, qui fustige le manque de courage d'hommes politiques ayant «tendance à vouloir acheter la paix sociale», doublé d'un manque de courage général des autorités au plus haut sommet de l'État. Un laisser-aller, observé aujourd'hui ailleurs sur le territoire national et qui trouve un écho dangereux dans ces quartiers.
«Ils profitent d'un climat, un climat où l'on conteste la police, que cela soit Notre-Dame-des-Landes, que ce soit dans les facs occupées ou que cela soit dans les quartiers. On a souvent pu voir que, lorsque le trouble à l'ordre public était suffisamment important, l'État reculait.»
Une lâcheté qui caractériserait également selon-elle la hiérarchie policière, tirant au passage son chapeau à ces policiers qui, aujourd'hui caillassés, continuent à effectuer leur travail malgré des conditions difficiles.
«J'admire ces policiers, car je pense que leur hiérarchie les dissuade d'intervenir et c'est à cause de cela que s'installe un sentiment d'extra-territorialité. Comme si ces territoires étaient consulaires.»
La crainte de débordement et d'incident grave qui viendrait entacher l'image du gouvernement serait-elle à l'origine de cette retenue? Un mort dans des affrontements avec les forces de l'ordre semble inenvisageable et le cas de Rémy Fraisse ou de Malik Oussekine hante les esprits, tant dans les couloirs des ministères que chez les opposants aux forces de l'ordre.
«On est dans cette lâcheté quasi-occidentale face à la mort, on a des policiers qui interviennent, mais qui ne doivent pas faire trop de dégâts, qui doivent se défendre, mais qui ne doivent pas blesser ou tuer de personnes en face- même si elle est provoquée —. Donc on a cette espèce de trouille des politiques, qu'on a en Occident et pas ailleurs.»
«Mais s'ils souffrent de l'état de leur quartier, pourquoi le détériorent-ils encore plus? Pourquoi s'attaquent-ils dont aux équipements publics? Parce qu'ils s'en moquent et qu'ils sont dans l'anomie: la volonté de créer ce rapport de force qui supplante totalement la loi et la loi de la République.»
Fatiha Boudjahlat a une vision bien différente de ces violences urbaines: «Ce sont des jeunes qui ont tout à fait les moyens d'aller vivre ailleurs, mais qui préfèrent vivre là —qui ont arbitré- et qui saccagent ce qui profite à leurs voisins afin d'instaurer leur pouvoir, leur autorité.» Pour elle, l'objectif de ces bandes est clair: évincer la police, représentant de l'État de droit, pour prendre le contrôle de ces quartiers et les régir comme bon leur semble.
«On est dans ce qu'on appelle la territorialisation, c'est-à-dire l'inscription de l'autorité dans le territoire. C'est ce qu'ils contestent. Ils contestent non pas que la police intervienne, mais que la police se permette et soit légitime à intervenir dans ce genre de quartier.»
«C'est quelqu'un qui ne connaît pas les quartiers et qui s'est doté avec ce conseil mondain- d'espèces de réducteurs d'altérités —qui vont simplement lui permettre de trouver une vision qui correspond à son propre cliché, à ses stéréotypes- de bourgeois, de bobo mondialiste —sur les quartiers.»
Comme elle le souligne, impossible de résoudre le problème de la ghettoïsation en un quinquennat, encore moins en se contentant de détruire des barres d'immeubles. Pour elle, il faut une présence accrue de l'État, et pas simplement «aux horaires de bureau», encore moins sous la forme d'un assistanat social.