Qu’est-ce que la laïcité?

Les déclarations de plusieurs ministres (1), et du Président de la République lui-même(2), ont remis sur le devant de la scène la question de la laïcité. Un reportage de TF1 sur la situation dans un quartier de Marseille a contribué, lui aussi, à ce que l’on se pose à nouveau le problème(3).
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Notons, d'ailleurs, que la loi dite « El-Khomri » va poser cette question au sein des entreprises.

J'ai publié, en 2016, un ouvrage dans lequel je traitais de cette question (4), et je suis intervenu à de multiples sur ce sujet (5). Or, le débat actuel, est rendu obscur, et parfois incompréhensible, par une série d'ignorances. Je voudrai ici en débusquer cinq.

1. La loi de 1905 n'est pas « la laïcité »

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C'est la première confusion qui est souvent faite. Bien des gens, et même des ministres (qui sont pourtant censés connaître la nature d'une législation) confondent un principe et une loi. Toute loi est l'application d'un (ou de plusieurs) principes dans des contextes particuliers et contient des commandement (ce qui est interdit et ce qui est autorisé) qui peuvent varier. Si l'on peut dire que la laïcité inspire la loi de 1905, cette dernière ne l'incarne nullement. D'ailleurs, le texte de la loi ne fait nullement mention du principe. En réalité, la loi de 1905, que fit voter Aristide Briand, met fin au Concordat et organise et codifie les règles de séparation entre l'église et l'Etat. Elle ne fait pas autre chose. C'était d'ailleurs, après les troubles du processus politique de « séparation », une loi de paix et de concorde civile.

Cette loi est aujourd'hui insuffisante, compte tenu des menaces qui pèsent sur l'application du principe de laïcité. Ceux qui disent « toute la loi de 1905, rien que la loi » se trompent, et ils se trompent par la confusion entre le principe mis en œuvre et les conditions de son application.

2. La loi de 1905 n'est pas « anti-islam »

Un petit nombre de musulmans (que l'on peut qualifier d'islamistes) prétend que la loi de 1905 viserait l'Islam et uniquement celui-ci. Or, au début du XXème siècle, la question de l'Islam était mineure, voire inexistante, dans la politique française. C'est donc très clairement un anachronisme. Rappelons que ce furent les congrégations catholiques qui furent visées, et que la loi de 1905 n'interdit nullement la construction de la grande mosquée de Paris (dans les années 1920). Mais, il est clair que les religions chrétiennes et juives se sont accommodées de cette loi. Si les islamistes disent aujourd'hui que celle-ci est « anti-Islam », et s'ils construisent un conflit particulier autour de cette loi de 1905, c'est bien parce qu'ils sont sur une position de rupture par rapport à tout ce qui évoque la laïcité, même de loin. Et cela montre que leur conception de l'Islam est clairement incompatible avec la culture politique française.

3. La laïcité n'est pas la liberté de conscience

Un certain nombre de responsables politiques ont prétendu que la liberté de conscience était la laïcité. C'est faux, et c'est une dangereuse erreur. La première fois où l'on parle de « liberté de conscience » en France c'est au cours des guerres de religion. Il n'est alors nullement question de « laïcité ». La liberté de conscience signifie simplement que chaque individu est libre de penser ce qu'il veut, ce qui constitue naturellement un progrès, mais reste en deçà de la notion de laïcité. La laïcité n'est pas non plus la tolérance(6). La tolérance peut-être plus directement rattachée aux valeurs individuelles qu'il est bon de cultiver.

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Si la laïcité n'est ni la liberté de conscience, ni la tolérance, c'est qu'elle est un principe d'organisation de l'espace public. C'est elle qui permet à un peuple traversé de croyances multiples de pouvoir se constituer en une communauté politique, et cela sans aucune relation avec l'ethnicité ou la langue. Il n'est pas anodin que l'un des grand penseur de la souveraineté, Jean Bodin, qui écrivit au XVIème siècle dans l'horreur des guerres de religion, ait écrit un traité sur la laïcité(7). En fait, on voit très vite apparaître le lien avec la souveraineté.

4. Athéisme, anticléricalisme et laïcité

La laïcité est présentée par ses ennemis comme une forme d'athéisme (le fait de ne pas croire en Dieu), voire comme une forme d'anticléricalisme (la détestation des églises). C'est une erreur profonde, et bien souvent en réalité un artifice conçu pour dénigrer et déconsidérer le principe politique de laïcité.
On peut être catholique ET laïque. D'ailleurs Jean Bodin, le père de la laïcité moderne, était lui-même un fervent catholique. John Locke, qui est aussi associé à l'émergence de la laïcité, était initialement calviniste avant de s'orienter vers le Socinisme(8). Être athée n'implique nullement être anticlérical. Nombre d'anticléricaux célèbres, dont le « petit pères » Emile Combes, étaient en réalité déistes (Combes était un ancien séminariste(9)).

5. Laïcité et « signes extérieurs ».

Sur les principes, la reconnaissance des deux sphères de la vie des individus et l'appartenance de la religion à la sphère privée, il n'y a pas à transiger. C'est bien dans une exclusion de la place publique des revendications religieuses et identitaires que pourra se construire la paix civile. Quant aux conditions d'application de ces principes, il est clair qu'ils doivent faire la place aux traditions et à la culture d'une société.

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Les signes religieux, dès lors qu'ils relèvent du prosélytisme ou de la provocation dans la sphère publique, doivent être interdits. Il convient, ici, de se rappeler les mots écrits par John Locke, un théoricien du libéralisme, dans son Essai sur la Tolérance: « «Il est dangereux qu'un grand nombre d'hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat et de ceux qui le soutiennent; lorsqu'elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens…le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu'elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause?»(10). L'amour que l'on doit avoir pour la liberté individuelle n'interdit nullement, que dans certains contextes, le pouvoir politique puisse procéder à une interdiction, au nom de l'ordre public.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


(1) Par exemple Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur: https://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Laicite-Frederique-Vidal-ministre-lenseignement-superieur-corrige-propos-2018-01-08-1200904334?from_univers=lacroix

(2) Comparer ses déclaration durant la campagne présidentielle (http://www.lefigaro.fr/politique/2016/10/18/01002-20161018ARTFIG00411-macron-defend-sa-vision-de-la-laicite.php) et après (https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/030985832498-macron-avance-a-pas-prudents-sur-la-laicite-2136575.php)

(3) https://tv-programme.com/journal-de-tf1_emission/replay/ecole-primaire-quand-la-laicite-recule_5a52c3c3b1b3f

(4) Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, ed. Michalon, 2016.

(5) Voir, en particulier, http://russeurope.hypotheses.org/5207 et http://russeurope.hypotheses.org/5212

(6) Lecler J., Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, Albin Michel, 1994.

(7) Bodin J., Colloque entre sept sçavants qui sont de différents sentiments des secrets cachés des choses relevées, traduction anonyme du Colloquium Heptaplomeres de Jean Bodin, texte présenté et établi par François Berriot, avec la collaboration de K. Davies, J. Larmat et J. Roger, Genève, Droz, 1984, LXVIII-591.

(8) Waldron J., God, Locke and Equality, Londres, Cambridge University Press, 2002

(9) Merle G., Emile Combes, Paris, Fayard, 1995

(10) Locke J., Essai sur la Tolérance, Paris, Éditions ressources, 1980 (1667)

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