Mauritanie: pourquoi les pêcheurs locaux ont du mal à se maintenir à flot?

© Getty Images / Annika HammerschlagPêcheurs Mauritanie
Pêcheurs Mauritanie - Sputnik Afrique, 1920, 08.02.2025
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La Mauritanie possède un littoral long de 750 kilomètres et détient des eaux parmi les plus poissonneuses de l’hémisphère nord.
Cependant, la filière locale de la pêche est confrontée à des difficultés qui ne permettent pas de maximiser les profits. En cause: la concurrence des bateaux européens, présents en grand nombre dans cette zone en vertu de l'accord pour une pêche durable (APPD) qui lie Nouakchott à l'Union européenne.
Bruxelles, confronté à l'épuisement de ses ressources halieutiques, verse plus de 60 millions d'euros par an pour que ses flottes puissent pêcher dans les eaux mauritaniennes dans la limite de 290.000 tonnes.
Sputnik Afrique décortique ce dossier avec des experts locaux.

Un accord équitable?

Les bateaux de l'UE "qui viennent parfois avec une capacité très grande font pêcher la majorité, si je ne dis pas la totalité, des poissons à pêcher", déplore le président de la Fédération libre de pêche artisanale (FLPA), à Nouadhibou.
Le montant de l'accord se compte en millions d’euros, ce qui fait penser que les Européens déboursent beaucoup, analyse Harouna Ismaïl Lebaye. Cependant, un simple calcul permet d'établir qu'un kilo de poisson pêché, toutes espèces confondues, coûte à l'UE moins d'un euro.
De plus, les bateaux européens "viennent seulement pour capturer" et ne font pas tourner l'économie locale, pointe le responsable. Il cite en contre-exemple les navires turcs ou chinois qui "débarquent en Mauritanie, font travailler des gens en Mauritanie, et leurs produits sont exportés au niveau de la Mauritanie".
Harouna Ismaïl Lebaye préconise de trouver un nouveau type de partenariat permettant d'amener le poisson en Mauritanie pour pouvoir créer de la valeur ajoutée.
"Mais les Européens refusent de faire le débarquement au niveau de la Mauritanie; on ne nous aide pas à avoir des infrastructures portuaires", constate-t-il.

Les pêcheurs locaux mis à mal

"L'idée de cet accord, c'est que l'Union européenne devait aider la Mauritanie à pouvoir pêcher ses ressources elle-même", rappelle M.Lebaye.
Il constate pour autant qu'après 30 ans, "la situation se dégrade". Les pêcheurs artisanaux ne trouvent plus de poisson, lequel se fait de plus en plus rare. Ils sont alors obligés de rester plus longtemps en mer, parfois entre 15 et 20 jours, pour économiser le carburant et rentabiliser leur travail.

"Il y a une diminution considérable des espèces", note pour sa part Moussa Houssein Thiam, vice-président du bureau régional de la Fédération nationale de la pêche artisanale (FNPA) à Nouadhibou.

Selon lui, certaines espèces ont "connu une baisse exponentielle depuis ces dernières années et en plus de cela, les démersaux qui sont capturés à la fois par les grands bateaux, les chalutiers et les pêcheurs artisanaux, sont en nette diminution".

Une cohabitation difficile

"Souvent, des bateaux européens heurtent ou ont des accidents avec les pirogues de la pêche artisanale. Sinon, il y a des bateaux qui chavirent et qui détruisent le matériel des pêcheurs artisanaux", poursuit Harouna Ismaïl Lebaye.
Les autorités réservent des zones à la pêche artisanale dans lesquelles les grands bateaux ne doivent pas pénétrer. Cependant, leur présence dans de telles zones a plusieurs fois été rapportée.
Des accidents entre les bateaux de l'Union européenne et des embarcations de pêche artisanale, parfois mortels, ont également été signalés, indique le responsable.
Des conflits surgissent donc entre les marins européens et les pêcheurs locaux.
"Je ne pense pas que les difficultés des pêcheurs mauritaniens soient une priorité pour les Européens", résume Harouna Ismaïl Lebaye.

Quid de la transparence?

Alors que l'accord UE-Mauritanie plafonne les quantités à pêcher, elles ne sont pas vérifiables, pointe le patron de la FLPA.
Il l'explique par le fait qu'il n'y a pas de possibilité de contrôle des bateaux de l'UE vu qu'ils "refusent de débarquer au niveau de la Mauritanie". Les employés mauritaniens qui montent à bord des bateaux européens reçoivent les informations de la part du capitaine, mais ne peuvent pas les confirmer ou infirmer.
Et de trancher: "Ils prétendent que c'est un accord de pêche responsable, durable. Mais en tout cas, nous en Mauritanie, on sent le contraire".

Quelles solutions?

"Il n'est pas dans l'intérêt de l'Union européenne que la Mauritanie développe ses capacités de pêche, qu'elle ait de grands bateaux, qu'elle ait une pêche artisanale et une pêche côtière, qu'elle puisse elle-même pêcher ses ressources", souligne M.Lebaye.
Selon lui, le gouvernement devrait privilégier la pêche artisanale et permettre aux pêcheurs d'accéder aux marchés pour vendre leurs produits. Il faudrait aussi "aider les pêcheurs artisanaux à améliorer leurs outils de travail, particulièrement leurs embarcations de pêche".
Il prône aussi des mesures pour éloigner les grands bateaux et réduire le nombre de navires qui ont accès aux ressources halieutiques mauritaniennes.
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