"Une période de terreur, un enfer": un philosophe camerounais revient sur le nazisme allemand

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Afrique - Sputnik Afrique, 1920, 10.09.2023
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Lourdement blessée par le nazisme allemand, l’Afrique continue de souffrir, indique à Sputnik Afrique Yamb Ntimba, philosophe camerounais. Rappelant les diverses formes du racisme occidental qui existaient avant la Seconde guerre mondiale, ce dernier soutient les efforts des panafricanistes visant à redonner de la fierté aux peuples africains.
Les Africains ont une vision catastrophique du nazisme dont les répercussions se font encore sentir sur le continent, a déclaré ce 10 septembre à Sputnik Afrique Yamb Ntimba, écrivain, philosophe et économiste camerounais, à l'occasion de la Journée internationale des victimes du fascisme.
"Nazisme et fascisme pour les Africains dans notre souvenir, c'est tout simplement une période de terreur, c'est exactement ce qu'on appelle l'enfer", a-t-il réagi.
Selon lui, les Africains ont subi et continuent à subir le nazisme via la France qui l'applique dans les pays francophones en utilisant la monnaie franc CFA.
"À travers cette monnaie qu'on appelle le franc CFA, la France a simplement repris la manière dont l'Allemagne avait organisé son système monétaire pour mettre la France au service de l'Allemagne", a-t-il souligné.
M.Ntimba trouve que les Africains ont le sentiment que le nazisme et le fascisme se sont déplacés de l'Europe vers l'Afrique, d'abord dans les bagages de la colonisation avant les indépendances, et ensuite dans les bagages du néo-colonialisme, après les indépendances factices des États africains.
"La colonisation s'est réorganisée, s'est restructurée, a trouvé de nouveaux mécanismes. Et ces mécanismes-là, se sont inspirés du nazisme et du fascisme pour pouvoir améliorer leur colonisation de l'Afrique", a-t-il précisé.

Nazisme allemand

L’écrivain camerounais admet à Sputnik Afrique que les années 1930 sont une période à la fois de grandes souffrances, mais également d'une prise de distance par rapport à l'Allemagne.
Quand la France et la Grande-Bretagne prennent possession de pays comme le Cameroun, le Togo, la Tanzanie en Afrique qui sont des anciens protectorats allemands, les deux puissances de l'Europe occidental s'appliquent systématiquement à faire oublier l'Allemagne.
"Tous ceux qui parlaient allemand étaient molestés, […] étaient torturés, tout le temps harcelés et donc cela a été très difficile ici […]". De même pour les 20.000 Noirs qui habitaient en Allemagne à l’époque.
"Les récits que nous avons de ceux qui vivaient en Allemagne, nous parlent d'un racisme ouvert sans retenue. Ils nous parlaient d'une mise au ban de la société, d'une vie très difficile pour les Noirs de l'époque en Allemagne, considérant que pour les nazis, ils n'étaient pas même pas des êtres humains […]. Les Noirs qui ont été dans les camps à Auschwitz et à Buchenwald et un peu partout, on n'en parle même pas. C'est-à-dire que les Français, les Américains, ils ne parlent même pas de ces Noirs".

Exploits africains oubliés

Alors que près de 77. 000 hommes d’Afrique-Occidentale française (AOF) furent envoyés sur les champs de bataille européens, selon une historienne française, l’Allemagne a fait peu de prisonniers noirs sans appliquer la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre. Mais ces chiffres semblent être sous-estimés, selon l’écrivain.

"Sur 77.000 hommes de l'Afrique occidentale française [sur les champs de bataille européens], je crois qu'il faut compter beaucoup plus. Et vous voyez que les Français font une histoire dans laquelle ils ne parlent pas de ceux qui ont libéré Paris [...]. Mais ce sont les gens venus de l'Afrique équatoriale française qui ont libéré Paris avec le maréchal Leclerc […]. La colonne Leclerc qui part de Douala le 27 août 1942 va grossir progressivement en passant par le Tchad, des personnes de la RCA, du Congo s'y sont rejointes".

Pour M.Ntimba, la France, tout au long de la Deuxième Guerre mondiale, n'a même pas pu aligner 100.000 hommes, selon le récit de l'histoire. Si on prend en compte tous ceux de l'Afrique équatoriale, de l'Afrique équatoriale,de l'Afrique occidentale française, c'est près de 200.000 hommes qui ont libéré Paris.
"Quand ils ont libéré la ville, il a fallu faire le défilé dans Paris pour la grande cérémonie, la grande parade de libération. On les [les soldats africains, ndlr] déshabille, on prend leurs tenues militaires, on habille des clochards et des sans-abri français et des Français qui étaient cachés dans Paris, qui n'avaient pas le courage d'aller défendre leur patrie ou qui étaient les collaborateurs des nazis, c'est eux qu'on va habiller pour qu'ils défilent sur les Champs Elysées […]. C'est pour ça que vous n'avez aucun Noir dans les colonnes Leclerc qui défilent lors de la parade de Libération".
"Les Allemands, les Italiens, ils ne prenaient pas grand soin des Noirs, des Africains, donc ne leur appliquaient pas la convention de Genève. Ça, on le sait, ils les massacraient systématiquement. Et je vous dis que c'est ce que les Français ont fait pendant la guerre de Libération".

Un racisme de longue date

Le philosophe camerounais estime que des Européens de l'Europe occidentale ont depuis le XVIIᵉ siècle rédigé des textes qui rabaissent les Noirs. De même, tous les intellectuels de ce qu'on appelle la période des Lumières et même, jusqu'au XIXᵉ siècle, "sont des racistes qui écrivent des textes qui méprisent les Noirs".
"Toute cette Europe occidentale est fondamentalement raciste. Et ce racisme-là qui est systémique, qui est le racisme de la vie normale en Europe, le mépris des Noirs, la détestation des Noirs, vous avez vu qu'elle a conduit à l'esclavage […]. Pour eux, c'est normal que les Noirs servent de chair à canon et ils n'ont pas à aller les honorer".

Rayer l’Afrique de l’histoire?

Selon M.Ntimba, il ne faut pas tourner en dérision mais prendre au sérieux la déclaration du chef de la diplomatie russe, disant que les Occidentaux veulent détruire l'ADN des civilisations.

"Là, je vous parle en français, ça veut dire qu'on a détruit ma langue. Ce n'est pas normal. Donc il y a chez ces gens-là en Occident la volonté de dire que les Noirs ne représentent rien dans leur histoire, de dire que les Noirs ne leur ont rien apporté [...]. Or, aujourd'hui, vous voyez bien qu'ils se plaignent quand les Africains leur demandent de partir de chez eux".

Pour l'expert camerounais, il est vraiment surprenant qu'en méprisant les Africains les Occidentaux ne veuillent pas quitter volontairement l'Afrique quand les peuples africains leur demandent de partir. L'Occident, c'est un monde bizarre, mais c'est un monde petit, explique-t-il.

Les panafricains pour redonner de la fierté

L’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord ont exactement la même attitude par rapport aux Noirs, estime M.Ntimba. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles, il existe aujourd'hui des panafricanistes, qui essaient de redonner de la fierté, de la dignité et de rappeler la grandeur passée du peuple noir aux Africains d'aujourd'hui et au monde noir d'aujourd'hui.
"Nous essayons de leur dire que si nous sauvons nos peuples de la domination européenne chez nous, cela va même permettre de sauver les peuples européens chez eux, de la domination de leurs élites capitalistes, néolibérales et quasi satanistes", a-t-il indiqué.

Des idéologies meurtrières

Selon le philosophe, il est nécessaire de célébrer la journée des victimes du nazisme et du fascisme, car c’est une chose tellement importante qui doit rappeler au monde à quel point certains ont pris des décisions génocidaires qui auraient pu détruire le monde qui auraient pu faire disparaître l'humanité.
"27 millions de morts russes en URSS […]. En Afrique, on estime à pratiquement une dizaine de millions de personnes qui sont mortes directement ou indirectement à cause de ce conflit-là. Toute l'Afrique du Nord a été décimée par ce conflit. Et on parle de 70 à 100 millions de morts, 140 millions pour certains pour tout ce conflit, c'était quelque chose de terrible. Il n'y a que l'esclavage qui a pris plus de poids, plus de 300 millions de morts".
Pour conclure, M.Ntimba se demande, après tous ces drames commis, comment les Européens de l'Ouest arrivent à dormir normalement la nuit.

"Et malheureusement, ils n'arrêtent pas, ils continuent encore aujourd'hui avec l'Ukraine, avec le Mali, le Burkina, la Guinée, le Niger, la RCA. Ils s'attaquent au Gabon, au Cameroun, toute l'Afrique centrale, ils sont au Mozambique, ils veulent faire la guerre, ils s'attaquent à l'Éthiopie, ils ont détruit la Libye, ils ne laissent pas, ils détruisent tout, ils veulent déstabiliser le Sénégal. Comment on fait pour porter ça sur sa conscience?"

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