"La dette, c’est le néo-colonialisme": 35 ans après, le discours de Thomas Sankara résonne toujours
17:06 14.10.2022 (Mis à jour: 17:29 18.10.2022)
© AFP 2024 Alexander JoeThomas Sankara
© AFP 2024 Alexander Joe
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Le 15 octobre, le Burkina Faso, ainsi que toute l’Afrique, commémoreront le 35e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Le Président révolutionnaire est réputé pour sa lutte pour l’émancipation des pauvres du diktat de l’impérialisme occidental. Deux experts africains indiquent auprès de Sputnik l’héritage de ce panafricaniste.
Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara, père de la révolution burkinabé et l’une des icônes mondiales de la lutte contre l’impérialisme occidental, est tué lors d’un coup d’État fomenté par quelques-uns de ses anciens compagnons de lutte. C’est uniquement en 2022, soit 35 ans après, que l'ancien Président Blaise Compaoré est condamné par contumace par le tribunal militaire d’Ouagadougou à perpétuité pour l'assassinat du capitaine Thomas Sankara.
En 1983, au moment de la prise de pouvoir de Sankara, le Burkina Faso était le neuvième pays le plus pauvre de la planète en matière de revenu par habitant, selon les statistiques publiées la même année par la Banque mondiale. En effet, le Burkina Faso était classé à la 161e position. Dans beaucoup de pays du Sud, depuis plus de 60 ans, la sous-alimentation, la misère, l’analphabétisme, le chômage chronique, les maladies endémiques, la destruction familiale sont les conséquences directes des termes inégaux des échanges économiques et commerciaux avec les pays du Nord et de la tyrannie de la dette qu’ils imposent.
Sankara est entré dans l’histoire par son combat au niveau international. Sans relâche, il critique les injustices de la mondialisation, le système financier, l'importance du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ainsi que le poids de la dette des pays du tiers-monde.
Un discours historique toujours d’actualité
C’est ainsi qu’au sommet de l’OUA en 1987 à Addis-Abeba, Sankara appelle l’ensemble des pays africains à refuser collectivement le remboursement des dettes injustes contractées auprès des puissances occidentales: "Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous ont colonisés, ce sont les mêmes qui géraient nos États et nos économies, ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fonds, leurs frères et cousins. Nous étions étrangers à cette dette, nous ne pouvons donc pas la payer. La dette, c’est encore le néo-colonialisme où les colonisateurs se sont transformés en assistants techniques; en fait, nous devrions dire qu’ils se sont transformés en assassins techniques; et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement", avait-il affirmé.
Et d’ajouter: "Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire très clairement que nous ne pouvons pas payer la dette. Non pas dans un esprit belliqueux ou belliciste. Ceci pour éviter que nous n’allions individuellement nous faire assassiner". "Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence. Par contre, avec le soutien de tous […] nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer, nous courrons à notre développement", a-t-il déclaré de façon prémonitoire trois mois avant son assassinat.
Les événements des décennies suivant son meurtre allaient démontrer qu’il avait raison.
"Sortir du diktat des institutions de Bretton-Woods"
Quel héritage et quel enseignement tirer pour la postérité de la vision et de la lutte de tous les panafricanistes dont Thomas Sankara est l’une des figures de proue?
Dans un entretien à Sputnik, Ahmed Kateb, chercheur algérien en relations internationales, explique qu’"il y a un parallèle entre la vision de Thomas Sankara et du Président algérien Houari Boumediene (1965-1978), lors de son discours du 10 avril 1974 à l’Onu. Ils ont tous les deux plaidé pour un nouveau système économique international plus juste et plus humain". Donc, selon lui, "il faut sortir du diktat -et il faut souligner avec force le mot diktat- des institutions de Bretton-Woods. Comme le montrent les études, les solutions préconisées par le FMI et Banque mondiale conduisent à la ruine et à la soumission des peuples et des Nations, et non pas à leur bien-être. Ceux qui s’en sortent en fin de compte ce sont les grandes multinationales et les grands groupes qui entretiennent des intérêts oligopolistiques".
Avec la nouvelle architecture mondiale, dont le bloc eurasiatique est l’un des acteurs majeurs, "l’Afrique devrait saisir sa chance en s’arrimant avec détermination et intelligence à cette nouvelle dynamique mondiale afin de se donner toutes les chances de son épanouissement en tous points de vues", estime-t-il. Et de préciser: "il faut sortir du diktat du dollar, de l’euro et du Franc CFA. Ce sont des monnaies imposées aux pays africains et qui les empêchent de s’émanciper financièrement et économiquement. Il faut avoir à l’esprit une chose importante: on ne se départit pas d’une puissance dominatrice pour tomber naïvement dans l’escarcelle d’une nouvelle puissance".
"Le Franc CFA est-il réellement une monnaie?"
De son côté, Karim Kombassere, médecin et militant panafricaniste burkinabé, affirme au micro de Sputnik que la majorité des Africains se demandent souvent: "le Franc CFA est-il réellement une monnaie?"
Pour lui, "si les pays africains ne sortent pas de ce système colonial de pillage financier et des ressources naturelles, ils n’auront aucune souveraineté. Alors que les pays africains, qui sont riches en matières premières et en ressources humaines, ont tout à fait les moyens d’avoir leur propre monnaie adossée à leurs richesses".
"Les Africains doivent s’appuyer sur leurs organisations régionales pour bâtir une économie continentale intégrée et complémentaire coopérant en bonne intelligence avec tous les pays du monde qui respectent leur culture, leur histoire et leur souveraineté", conclut-il.