Entre l’Algérie et l’Iran, une relation discrète, mais fusionnelle

© AP Photo / Vahid SalemiDrapeau iranien, Téhéran
Drapeau iranien, Téhéran - Sputnik Afrique, 1920, 23.02.2022
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Les Présidents iraniens et algériens se sont entretenus au Qatar. Par-delà leurs divergences apparentes, de la Syrie à Israël en passant par le Front Polisario, Téhéran et Alger partagent les mêmes intérêts stratégiques.
L’Iran tisse sa toile en Afrique. Indépendamment des communautés chiites libanaises sur le continent africain qui servent plus ou moins de relais à l’influence iranienne, Téhéran entretient de très bonnes relations avec l’Algérie. Pourtant, sur le papier, tout semble les opposer: l’un est une république peuplée majoritairement d’Arabes sunnites et l’autre est une théocratie perse chiite.
En marge du sixième sommet des pays exportateurs de gaz qui s’est tenu au Qatar les 21 et 22 février, le Président Abdelmadjid Tebboune s’est entretenu avec son homologue iranien Ebrahim Raïssi. Les deux hommes ont en effet "discuté des mécanismes de consolidation des relations bilatérales et des moyens de promouvoir la coopération entre les deux pays". D’ailleurs, en parallèle, le ministre de l’Énergie de la République islamique d’Iran, Ali Akbar Mehrabian, a exprimé sa volonté de coopérer davantage avec Alger pour développer le secteur de l’énergie électrique.
Bien que méconnues, les relations bilatérales entre Téhéran et Alger sont fortes, comme en témoignent les nombreuses visites diplomatiques entre les deux capitales. L’ancien Président Abdelaziz Bouteflika s’est rendu en Iran à deux reprises, en 2003 et 2008. Les anciens chefs d’État iraniens Muhammad Khatami et Mahmoud Ahmadinejad ont respectivement visité l’Algérie en 2004 et 2007. "Les relations entre les deux pays ont connu un développement considérable depuis deux décennies", estime Younes Belfellah, enseignant-chercheur en science politique à l’Université de Paris-Est Créteil.

Iran, Israël: chacun son poulain au Maghreb

"Pourtant, Alger et Téhéran ont vécu certaines brouilles durant la décennie noire", nuance ce spécialiste du Maghreb. En effet, durant la guerre civile algérienne de la décennie 1990 entre militaires et islamistes, l’Iran, à l’instar de l’Arabie saoudite, avait apporté son soutien au Groupe islamique armé (GIA).
"Mais aujourd’hui, il y a une réelle convergence des luttes politiques régionales entre Alger et Téhéran. Cette relation est discrète, mais sert de tremplin à l’influence géopolitique de l’Iran dans la région. De la Palestine à la lutte contre Israël, les deux pays sont alignés", souligne-t-il au micro de Sputnik.
L’opposition à Tel-Aviv permet donc de fédérer une alliance a priori hétérogène. Et cette entente entre Alger et Téhéran s’est encore renforcée avec le rapprochement stratégique entre l’État hébreu et le Maroc. En effet, depuis décembre 2020, les deux pays ont signé un accord de paix. Par le biais de cette normalisation, le Maroc a cherché à accroître son partenariat avec Israël.
L’Algérie et le Maroc sont en froid depuis les années 60, le Sahara occidental constituant leur principale pierre d’achoppement. Rabat revendique la souveraineté sur ce territoire, tandis qu’Alger soutient les indépendantistes du Front Polisario. Une situation qui s’est envenimée au point d’aboutir à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août dernier.
Cette alliance israélo-marocaine inquiète au plus haut point le voisin algérien. "Le Mossad à nos frontières", titrait le 24 novembre le journal L’Expression, proche du gouvernement algérien, à l’occasion de la visite à Rabat de Benny Gantz, ministre israélien de la Défense. Et pour cause: les deux nouveaux alliés ont signé un accord de sécurité, officiellement intitulé "Mémorandum d’entente en matière de Défense". Le Maroc a acquis quatre drones tactiques Hermes 900 conçus par le groupe israélien Elbit Systems. En outre, les autorités marocaines vont pouvoir perfectionner leur système de renseignements et de surveillances aux frontières. D’ailleurs, les forces armées marocaines ont créé une nouvelle région militaire à la frontière avec l’Algérie. Le pays, qui était jusque-là divisé en deux régions militaires, Nord et Sud, se découpe désormais en trois secteurs, avec la création de la nouvelle zone Est, à la frontière orientale avec l’Algérie.

Le Hezbollah impliqué au Sahara occidental?

En d’autres termes, l’ennemi de mon ennemi est mon allié. En effet, outre le dossier israélien au Maroc, Téhéran et Alger se coordonnent également sur la question épineuse du Sahara occidental. Cette ex-colonie espagnole considérée comme un "territoire non autonome" par l’Onu, oppose l’irrédentisme marocain aux indépendantistes du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, mais aussi par l’Iran. Rabat avait décidé en 2018 de rompre ses relations avec le pays des mollahs en raison de l’assistance militaire iranienne aux insurgés. "L’aide provenait surtout de certains membres du Hezbollah libanais via l’ambassade d’Iran à Alger", précise Younes Belfellah.
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Par ailleurs, le Maroc accuse l’Iran de vouloir étendre l’influence du chiisme sur son territoire et en Afrique du Nord. En janvier dernier, le chef de la diplomatie du royaume chérifien, Nasser Bourita, a affirmé que "la sécurité spirituelle du Maroc et de l’Afrique figur [ait] parmi les priorités du royaume visant à contrer les visées iraniennes sur le continent".
"Les relations entre le Maroc et la République islamique d’Iran ne sont pas bonnes depuis longtemps. Lors de son exil, le Shah d’Iran avait séjourné un certain temps sur le territoire marocain au lendemain de la révolution iranienne de 1979", rappelle le chercheur.
L’Iran et l’Algérie s’entendent de surcroît sur la cause palestinienne. Téhéran apporte un soutien financier et militaire au djihad islamique et au Hamas à Gaza, tandis qu’Alger tente, tant bien que mal, de se poser en médiateur entre les différentes factions palestiniennes.

Alger, bientôt dans "l’axe de la résistance"?

Mais c’est bel et bien la guerre en Syrie qui a prouvé l’entente cordiale entre les deux pays. Alors que Damas était voué aux gémonies par la plupart des pays arabes, l’Algérie avait décidé de maintenir le dialogue. "Il y a eu une constance dans la position algérienne sur ce dossier", précise Younes Belfellah. En effet, en plein cœur du conflit, Abdelkader Messahel, le ministre algérien des Affaires étrangères de l’époque, s’était même rendu dans la capitale syrienne en avril 2016. Lors d’une entrevue avec le Président Assad, il avait rappelé le "soutien de l’Algérie au peuple syrien dans sa lutte contre le terrorisme, afin de préserver la stabilité et la sécurité de la Syrie et l’union et la cohésion de son peuple". Aujourd’hui, Alger milite pour un retour de Damas au sein de la ligue arabe.
"L’Algérie, par le biais de son positionnement sur la crise syrienne, apporte un soutien à “l’axe de la résistance” mené par Téhéran", souligne le spécialiste du Maghreb.
"Mais cette coopération passe également par Moscou, qui fait le trait d’union entre les deux pays", ajoute-t-il. En effet, la Russie est un partenaire clé pour Téhéran et pour Alger. Lors de son déplacement en janvier dernier, le Président iranien Ebrahim Raïssi a remis à son homologue russe Vladimir Poutine un projet d’accord de coopération stratégique pour une période de 20 ans. L’Algérie a de surcroît toujours entretenu de bonnes relations avec Moscou, dans le cadre d’un partenariat militaire, sécuritaire et technologique.
Enfin, énième ressemblance, "le principal partenaire économique des deux pays est la Chine", conclut Younes Belfellah. États gaziers et pétroliers, ayant de bonnes relations avec Moscou et Pékin, partageant les mêmes vues géopolitiques, l’Iran et l’Algérie ne sont finalement pas si étrangers l’un à l’autre que cela.
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