La France en Afrique pour piller ses ressources? "Il faut arrêter avec les fantasmes"

© Photo ECPADOpération barkhane : GCP au Mali
Opération barkhane : GCP au Mali - Sputnik Afrique, 1920, 04.02.2022
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Sur fond de crise diplomatique entre Paris et Bamako, l’ancien colonisateur est accusé par les anciens colonisés de prédation économique. Sa présence militaire en Afrique ne viserait qu’à servir ses intérêts. Une analyse partiale et partielle.
La France, impérialiste et cupide, ne serait en Afrique de l’Ouest que pour piller les ressources du continent. Tant au sein des diasporas africaines que chez les Africains eux-mêmes, cette idée ne cesse de progresser. En particulier auprès des jeunes.
Sur les réseaux sociaux, une simple recherche Twitter avec les mots clés "France", "piller", "ressources" permet de se rendre compte de l’étendue du problème. Des milliers de tweets accusent la France de n’être au Mali, et plus largement au Sahel, que dans une logique de prédation économique.
"La France n’est pas au Mali pour défendre le Mali. Elle est au Mali pour piller ses ressources", accuse un twittos. "Il est temps que la France lève son genou de notre cou […] On en a marre de cette Françafrique. La honte, vous pillez nos ressources naturelles. L’Afrique aux Africains", lance un autre.
Sur fond de crise diplomatique avec Paris à la suite du renvoi de l’ambassadeur français à Bamako, le phénomène prend désormais une ampleur inédite. Les cercles décoloniaux et la diaspora africaine se sont rués sur une interview du directeur de l’Observatoire du nucléaire, Stéphane Lhomme. Face aux caméras de TF1, ce dernier n’a pas craint d’affirmer que "la présence militaire française (régionale) vise directement à sécuriser l’approvisionnement des centrales françaises en uranium".

Uranium nigérien, ressource stratégique pour la France?

"La France a absolument besoin d’être là pour protéger cette zone", ajoute l’expert. "C’est crucial pour l’industrie nucléaire française et donc pour le pouvoir politique français parce qu’il y a déjà eu des menaces et des attaques dans cette région", précise-t-il. D’après lui, "on doit être encore à 15% d’uranium provenant du Niger utilisé par les centrales nucléaires françaises". Une opinion qui avait de quoi mettre le feu aux poudres. Pour les détracteurs de l’action française, de tels propos sont un aveu.
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Mali: "cette expulsion de l’ambassadeur français a été très bien perçue" par la population
"Nous qui pensions que c’était pour protéger le peuple malien des djihadistes", tweete ironiquement Action Antifasciste Paris-Banlieue, en se référant à l’interview de Lhomme. "2022, la colonisation n’est pas terminée?", s’interroge une autre personne. Et les tweets sur ce ton sont légion.
Pourtant, l’analyse de Stéphane Lhomme reste à discuter. Ainsi, un ancien diplomate français, sous couvert d’anonymat, conteste les 15% d’uranium d’origine nigérienne qu’il juge "totalement surévalués":
"Quand bien même ce chiffre de 15% serait vrai, il est gérable. L’uranium est un marché qui est structurellement excédentaire", explique à Sputnik l’ancien du Quai d’Orsay. Donc, même sans l’accès au marché nigérien, la France serait tout à fait capable de "s’approvisionner en uranium sur d’autres places. Elle n’est pas dépendante des mines du Niger".
En 2020, selon les chiffres du Comité technique Euratom (CTE), 28,9% de l’uranium était importé du Kazakhstan et 26,4% provenait d’Ouzbékistan. En 2018, Orano (anciennement Areva) a réalisé environ 110 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 mais la zone Afrique ne constitue que 2% de ses bénéfices, "ce qui est loin de représenter ce qu’elle extraie au Kazakhstan ou au Canada", expliquait à Sputnik Clément Nguyen, consultant en stratégie internationale. Sur le plan économique global, en 2020, la zone CFA correspondait à environ 1% du commerce extérieur de la France. Et sur ce 1%, seulement un quart impliquait les pays sahéliens francophones.

"Il faut arrêter avec les fantasmes sur les intérêts économiques"

Les accusations à l’encontre de la France posent tout autant problème. Pour notre interlocuteur, la "rengaine" de la Françafrique est dépassée. Elle ne correspond pas à la réalité de la présence française sur le continent aujourd’hui. "C’est de la foutaise!", dénonce-t-il. "C’est fini l’époque de Jacques Foccart", le "Monsieur Afrique" de Charles de Gaulle.
"Il faut arrêter avec les fantasmes sur les intérêts économiques. Cela ne pèse rien du tout. C’est précisément parce que la France n’a pas énormément d’intérêts stratégiques qu’elle se permet d’être extrêmement approximative et amateur. Si la France avait de vrais intérêts, elle ferait beaucoup plus attention", affirme le diplomate.
Mais pourquoi donc la France dévoue-t-elle autant de ressources militaires, économiques et politiques à un pays et une région qui, économiquement, ne lui rapportent pas grand-chose? Rien qu’en 2020, l’opération Barkhane a coûté 880 millions d’euros. Et c’est sans compter l’action civile, estimée à 56,4 millions.
Pour le chercheur sénégalais Mouhamadou Lamine Bara, président de la société de conseil Tullius Africa, la principale raison n’est pas économique, mais stratégique. Au-delà de l’uranium, "qui reste important pour Paris", précise-t-il, "la France a d’importants intérêts stratégiques au Sahel, et en Afrique de l’Ouest plus généralement". Toutefois, dans leur grande majorité, ces intérêts ne concernent pas principalement les ressources des sols africains.
"L’Afrique de l’Ouest, c’est le pré carré de la France. Elle y a une influence politique importante. Son implication militaire, politique et économique vise à maintenir une influence de poids dans une zone stratégique. Cela permet à la France de conserver un certain statut sur la scène internationale", explique à Sputnik le chercheur sénégalais.
Cet aspect stratégique "est d’autant plus important qu’il y a d’autres acteurs qui prennent de plus en plus de place sur le plan économique, politique et militaire. Cela menace les intérêts français car Paris perd mécaniquement de son influence politique à laquelle elle tient tant", poursuit-il. Celui-ci pense notamment à des acteurs émergents comme la Chine, la Russie ou encore la Turquie qui nouent de manière croissante des relations économiques, politiques, voire militaires, avec ces pays du pré carré français.

"Pour qui se prend" Le Drian?

Une analyse partagée par l’ex-diplomate avec lequel Sputnik s’est entretenu. "Le Sahel, c’est surtout une zone d’influence. C’est cette influence qui compte. La présence française au Sahel lui donne une profondeur stratégique, cela lui permet d’être assis au banc des grandes nations, en pouvant parler de son influence en Afrique", ajoute-t-il.
En effet, la France, ancienne puissance coloniale, garde un partenariat privilégié avec la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. La France demeure un interlocuteur attitré de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Elle conserve également d’importants liens politiques et culturels, notamment par le biais de la langue, mais aussi à travers son réseau de lycées français.
Reste que "cette influence française baisse", constate avec amertume l’ancien du Quai d’Orsay. Et pour lui, l’exécutif a une responsabilité particulière dans cette perte d’influence.
"On n’a pas vu venir les coups d’État, on a un ministre des Affaires étrangères qui fait des déclarations à l’emporte-pièce qui nous valent l’expulsion de notre ambassadeur –probablement le meilleur que l’on avait dans la sous-région. Le Drian persiste et signe à l’Assemblée nationale en réitérant ses propos. Pour qui se prend-il?", interroge l’ancien diplomate.
En définitive, "on peut critiquer la stratégie africaine de De Gaulle et Foccart, mais au moins ils en avaient une", conclut-il avec ironie.
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