Mali: "cette expulsion de l’ambassadeur français a été très bien perçue" par la population

© AFP 2024 FLORENT VERGNESDes manifestants maliens brandissent des pancartes dénonçant les "oppresseurs du peuple malien"
Des manifestants maliens brandissent des pancartes dénonçant les oppresseurs du peuple malien - Sputnik Afrique, 1920, 01.02.2022
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Le renvoi de l’ambassadeur français à Bamako n’aura pas ému grand monde au Mali. Au contraire, nombre de Maliens se réjouissent de ce départ, et regardent désormais ailleurs pour assurer leur protection. Au grand dam de Paris.
"La situation ne peut pas rester en l’état", a déclaré sur France info le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. "D’ici la mi-février, on va travailler avec nos partenaires pour voir quelle est l’évolution de notre présence sur place" et "pour prévoir une adaptation", a -t-il poursuivi. Un changement de cap est donc à l’étude à Paris. Les propos du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, jugeant la junte malienne "illégitime" et "hors de contrôle", qui ont déjà provoqué l’expulsion de l’ambassadeur français, continuent donc de faire tache d’huile. En tout cas, au Mali, la situation est de moins en moins à l’avantage de Paris.
"À Bamako, cette expulsion de l’ambassadeur français au Mali a été très bien perçue. Notamment par la population", constate au micro de Sputnik le politologue malien Séga Diarrah.
La situation contrarie la diplomatie parisienne. Laquelle invoque une présence désintéressée de troupes françaises au Mali et au Sahel, des militaires déployés dans l’intérêt des populations locales.

Sentiment anti-français

Pourtant, assure notre interlocuteur, la France récupère la monnaie de sa pièce. "Les gens ici pensent que la France regarde le Mali de manière condescendante", ajoute-t-il.
Sur Twitter, de nombreux comptes, représentant plusieurs milliers d’abonnés, partagent le constat de Séga Diarrah. Ils vont même plus loin en dénonçant la nature "colonialiste" de la relation France-mali. À l’instar de l’ex-candidate aux législatives malienne Halimatou Salissou.
Même son de cloche du côté de l’opposition malienne. Contacté par Sputnik, Hamidou Doumbia, porte-parole de Moussa Mara (ex-Premier ministre et président du parti Yelema), regrette "les propos vraiment peu diplomatiques qui ont été employés par Paris". Une réalité qu’il faut selon lui impérativement"reconnaître." "Toutefois, il faut maintenant regarder l’avenir, et aller au-delà de cet incident, pour que la situation revienne à la normale le plus tôt possible", tempère, sur un ton plus diplomatique, le porte-parole de l’ancien Premier ministre.
Au Mali, à tous les niveaux de la société, le "sentiment anti-français" n’a eu de cesse de croître. En grande partie du fait de la dégradation de la situation sécuritaire dans la région depuis l’arrivée de la force Serval en 2013. Malgré plusieurs succès militaires, notamment la protection de la ville de Bamako, ou l’élimination de plusieurs hauts gradés djihadistes, la dégradation de la situation sécuritaire sur le plan national et régional a largement joué en défaveur de Paris.
Bamako, Mali - Sputnik Afrique, 1920, 31.01.2022
Le Mali expulse l'ambassadeur de France
À cela s’ajoute une forte pression diplomatique du Quai d’Orsay sur le pouvoir malien, pour l’inciter à céder le pouvoir rapidement et le dissuader de faire appel à Moscou pour assurer la sécurité du pays. Or cette même junte est loin d’être impopulaire auprès de la population malienne, affirme Séga Diarrah. "Pour l’heure, sa légitimité n’est pas remise en cause", explique-t-il. En effet, la feuille de route de la transition prévoit un départ de la junte du pouvoir le 27 février. La décision de repousser cette date pour des raisons de sécurité ne fait pas l’objet d’une importante contestation. Au contraire, estime le politologue malien.

Cedeao influencée par Paris?

Pourtant, à en croire les chancelleries occidentales, si les relations entre la France et le Mali se sont dégradées, c’est parce que le gouvernement malien se rapprocherait de la Russie, Moscou soufflant sur les braises du sentiment anti-français. Entre les usines à trolls et la prétendue présence de la société militaire privée (SMP) Wagner, une véritable "stratégie d'éviction de la France" serait à l’œuvre, selon les hauts gradés français.
Une erreur d’appréciation, juge Séga Diarrah. À ses yeux, c’est exactement ce type de rhétorique infantilisante qui nourrit le sentiment anti-français au Mali.
"Ici, il n’y a pas de manipulation ouverte pour pousser les gens à ne pas aimer la France. Les Russes peuvent avoir des sympathisants ici et là, mais je pense que les Maliens dans leur grande majorité veulent essayer autre chose. Et, aujourd’hui, l’offre de la Russie est sur la table", explique-t-il.
Officiellement, le Mali et la Russie entretiennent des liens militaires d’État à État, et le pouvoir à Bamako ne confirme pas traiter avec des sociétés de sécurité russes. C’est ce qu’a rappelé le gouvernement dans un communiqué du 24 décembre 2021.
"Les relations avec la Russie ne sont pas neuves", souligne pourtant notre interlocuteur. "Chaque fois que le Mali a été dans des situations difficiles depuis notre indépendance, la Russie a toujours été avec nous", a quant à lui rappelé le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, lors d’une visite à Moscou en novembre 2021.
Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali - Sputnik Afrique, 1920, 01.02.2022
L’expulsion de l’ambassadeur de France du Mali "lave l’honneur des Africains"
Ainsi, l’incapacité française à faire son introspection sur ses propres échecs, tout en accusant la junte et la Russie de déstabilisation, est une des raisons de la croissance de ce sentiment anti-français, affirme Séga Diarrah. Même la mise en œuvre de sanctions décidées par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) nourrit désormais le sentiment anti-français. L’organisation avait décidé de sévir contre les autorités maliennes, leur reprochant de ne pas avoir respecté l’échéance du 27 février pour organiser des élections. "Loin de créer un mécontentement contre la junte, cette situation semble renforcer le ressentiment des partisans de la transition à l’égard de la Cedeao et de la France", écrit Jeune Afrique.
"Les sanctions prises par la Cedeao sont un complot orchestré et mis en œuvre par la France", dénonçait Jeamille Bittar, porte-parole du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), l’un des plus influents mouvements sociaux du pays. "Le ministre des Armées, Florence Parly, a déjà dit que la France serait prête à utiliser tous les moyens, y compris l’appui de la Cedeao, pour sanctionner le pouvoir malien", rappelle le politologue malien.
"Penser que les Maliens ne sont pas aptes à choisir d’eux-mêmes est insultant"
Au final, "les Maliens souhaiteraient juste qu’on les traite comme une nation indépendante, qu’on les traite comme des gens normaux, capables de réfléchir et de savoir ce qui est bien pour eux", conclut Séga Diarrah.
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