Conflit du Sahara occidental: Staffan de Mistura, chronique d’un (nouvel) échec annoncé?

© REUTERS / Pierre AlbouyU.N. mediator for Syria Staffan de Mistura attends a news conference after a meeting at the United Nations in Geneva, Switzerland, January 12, 2017
U.N. mediator for Syria Staffan de Mistura attends a news conference after a meeting at the United Nations in Geneva, Switzerland, January 12, 2017 - Sputnik Afrique, 1920, 21.01.2022
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Rabat, Tindouf, Nouakchott, Alger… l’envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu pour le Sahara occidental a pris conscience de la complexité du dossier sahraoui lors de sa première tournée dans la région. S’il ne dispose pas d’un soutien ferme du Conseil de sécurité, la mission de Staffan de Mistura sera vouée à l’échec.
C’est à bord d’un Falcon 900 du gouvernement espagnol que Staffan de Mistura a effectué sa première tournée au Maghreb. Nommé au poste d’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies en octobre 2021, le diplomate italo-suédois est arrivé jeudi 13 janvier à Rabat, première étape de cette longue semaine de "prises de contacts" afin de tenter de relancer le processus de négociation entre le Front Polisario et le royaume du Maroc. Les autorités marocaines, qui étaient réticentes à accepter la désignation d’un successeur à ancien Président allemand Horst Köhler, ont accordé peu d’importance à la venue de Staffan de Mistura. Ce dernier a été reçu uniquement par le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita (et pas par le roi comme c'était le cas pour ses prédécesseurs) qui lui a rappelé les exigences de son pays: "une solution politique sur la base de l’initiative marocaine d’autonomie, dans le cadre du processus des tables rondes, en présence des quatre participants".
En clair, le Maroc rejette le processus onusien de règlement du conflit qui impose la tenue d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental et il n’ira à des négociations que si la Mauritanie, et surtout l’Algérie, y participent. Donc pas de pourparlers directs avec le Front Polisario.
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Rumeur

Staffan de Mistura s’est ensuite rendu à Tindouf, à 1.800 kilomètres au sud-ouest d’Alger, région frontalière avec le Maroc, le Sahara occidental et la Mauritanie, où sont situés les cinq camps de réfugiés (Boujdour, Aousserd, Samara, Layoune et Dakhla). L’envoyé spécial d’Antonio Guterres a été accueilli à l’aéroport de Tindouf par Mohamed Sidi Omar, le représentant du Front Polisario à l’Onu, et c’est en sa compagnie qu’il s’est rendu dans le camp de Smara, première halte de cette visite dans la Hamada, immense désert de rocailles.
Les images de l’arrivée au camp de Smara ont vite provoqué une polémique sur la présence d’un "enfant soldat" dans le dispositif de sécurité mis en place par les autorités sahraouies. Plusieurs médias marocains ont publié l’information en mettant en avant la photo d’un jeune militaire marchant à proximité de l’émissaire onusien. Une polémique qui a pris fin le lendemain par un démenti du porte-parole du secrétaire général des Nations unies, Stéphane Dujarric.
Stéphane Dujarric a précisé que l’envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu n’avait pas vu de personne identifiée comme étant un enfant soldat dans les camps de réfugiés sahraouis.
Durant son séjour de 48 heures dans les camps de Tindouf, Staffan de Mistura eut l’occasion de rencontrer les représentants de plusieurs organisations et associations sahraouies ainsi que des ONG humanitaires internationales. Il s’est enquit de la situation de l’aide alimentaire lors d’une réunion avec le président du Croissant-Rouge sahraoui (CRS) à laquelle ont assisté les représentants du Programme alimentaire mondial (PAM), l’UNICEF ainsi que ceux d’OXFAM International et du CISP, une ONG italienne qui active dans les camps sahraouis depuis les années 1980. Yahia Bouhabeini, le président du CRS, lui a fait part des difficultés en matière d’approvisionnement en produits de première nécessité, notamment en farine panifiable. Les ravitaillements en farine ont baissé de 50% ces quatre derniers mois obligeant les autorités sahraouies à puiser dans le stock d’urgence. "J’ai expliqué à de Mistura que le gouvernement algérien a une nouvelle fois dû intervenir pour renflouer le stock d’urgence", a expliqué à la presse Yahia Bouhabeini au sortir de cette réunion.
© Sputnik . Tarek HafidPool des pays et des organisations contributeurs au programme d’aide alimentaire des réfugiés sahraouis
Pool des pays et des organisations contributeurs au programme d’aide alimentaire des réfugiés sahraouis - Sputnik Afrique, 1920, 21.01.2022
Pool des pays et des organisations contributeurs au programme d’aide alimentaire des réfugiés sahraouis

Aveux

L’émissaire d’Antonio Guterres a également rencontré les membres de la Commission nationale sahraouie des droits de l'homme (Conasadah) et de l’Association des familles de prisonniers et disparus sahraouis (Afapredesa) qui lui ont présenté la situation des violations des droits de l’homme dans le territoire du Sahara occidental sous administration marocaine. Lors de ces rencontres, Staffan de Mistura n’a pratiquement pas réagi, se limitant juste à mettre en avant son statut de porteur "d’un mandat politique pour relancer les négociations entre les parties". Pourtant, le diplomate semble avoir été secoué lors d’une autre rencontre. À rappeler que le Front Polisario est composé de plusieurs organisations, chacune représentant une frange de la société sahraouie. Lors d’événements importants, ces organisations expriment leur point de vue en toute liberté en se montrant parfois très critique envers la direction du mouvement de libération. C’est donc face aux représentants de la jeunesse que Staffan de Mistura semble avoir été mis face à la réalité sahraouie. Rachid Zinedine, journaliste, fait partie de la délégation de huit membres qui a rencontré le diplomate onusien dans sa résidence. Il rapporte à Sputnik l’échange qu’il a eu avec de Mistura:

"Il nous a dit qu’il agit comme un médecin et qu’un docteur n’abandonne jamais ses malades. Je lui ai alors rappelé qu’en 2018 il avait quitté les malades syriens qui avaient encore besoin de lui. Il semblait très gêné par ce rappel. Je lui ai également demandé pourquoi il n’a pas retiré son masque depuis son arrivée dans les camps de réfugiés alors que lors de sa rencontre avec le ministre marocain des Affaires étrangères il ne le portait pas. Il a ensuite avoué que sa femme et ses enfants étaient en colère lorsqu’il leur a annoncé son intention d’accepter ce poste. Il a reconnu qu’à l’âge de 75 ans, et après 47 ans de travail pour l’Onu, il était préférable pour lui de rester avec sa famille et de se reposer", précise Rachid Zinedine.

Les huit jeunes ont également abordé l’arrêt de la guerre comme préalable à la reprise des négociations avec le Maroc. Une question centrale dans le contexte actuel qui est cependant tranchée. "Nous lui avons dit que si la direction du Front Polisario accepte de signer un accord de cessez-le-feu pour négocier avec le Maroc, alors le peuple sahraoui ferait en sorte de nommer de nouveaux responsables. La poursuite de la lutte armée est une décision consensuelle, le peuple ne reviendra pas dessus", note-t-il.
Rencontré en marge de la visite du représentant spécial du secrétaire général de l’Onu, Khatri Addouh, chef de la délégation des négociateurs du Front Polisario, a indiqué à Sputnik que "l’arrêt de la lutte armée n’est pas à l’ordre du jour".

"Nous avons repris la lutte armée lorsque le Maroc a violé l’accord de cessez-le-feu le 13 novembre 2020. Le Front Polisario attend les propositions concrètes de l’envoyé personnel du secrétaire général de l’Onu et il attend surtout de voir s’il bénéficiera de l’appui du Conseil de sécurité. Il est certain que nous ne participerons à un éventuel plan de négociations s’il n’est pas organisé dans un cadre clair dans le respect total de la légalité internationale", a souligné Khatri Addouh qui occupe également le poste de secrétaire politique du Front Polisario.

Au terme de cette visite dans les camps de réfugiés, étape la plus chargée de cette première tournée, Staffan de Mistura a laissé l’image d’un homme dépassé par la complexité du dossier dont il a la charge. Dimanche 16 janvier, après une rencontre d’une heure avec le Président sahraoui Brahim Ghali, le diplomate onusien a pris l’avion pour la Mauritanie, pays voisin observateur dans le dossier du Sahara occidental.
L’unique activité du diplomate italo-suédois a été une rencontre avec le chef de l’État mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani. Staffan de Mistura a cependant dû rester à Nouakchott jusqu’au 19 janvier avant de se rendre à Alger. Une visite éclair en deux temps: entrevue avec l'ambassadeur Amar Belani, l’envoyé spécial chargé de la question du Sahara occidental et des pays du Maghreb, puis quelques heures après, rencontre avec le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra. Ce dernier était en fait en mission au Moyen-Orient dans le cadre de la préparation du sommet de la Ligue arabe qui doit se tenir à Alger au mois de mars. Contrairement à ce qui était attendu, Staffan de Mistura n’a pas été reçu par le Président Abdelmadjid Tebboune. Il est cependant reparti avec la position officielle de l’État algérien concernant le dossier du Sahara occidental:

"Engager, lorsque les conditions seront réunies, des négociations directes, de bonne foi et surtout sans conditions préalables entre les deux parties au conflit, c’est à dire le Front Polisario et le royaume du Maroc qui sont identifiés en tant que tels dans les résolutions du Conseil de sécurité. Réactiver et revitaliser le plan de règlement conjoint de 1991 (Onu-OUA), en tant que seul accord accepté par les deux parties au conflit et endossé, à deux reprises, par le Conseil de sécurité", précise un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères.

Les positions diamétralement opposées du Maroc et du Front Polisario, le refus de l’Algérie d’être impliquée dans le processus de négociations et le désengagement du Conseil de sécurité rendent la mission de Staffan de Mistura impossible. La guerre entre l’armée de libération sahraouie et les forces armées marocaines est probablement l’unique élément concret qui fera avancer le dossier du Sahara occidental.
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