OPA marocaine sur le vulnérable Islam de France? "Tout le monde joue de son influence"

© AFP 2024 CHARLY TRIBALLEAUMuslims pray during the Muslim festivities of Eid al-Adha at the mosque in Cherbourg-Octeville, northwestern France on September 24, 2015.
Muslims pray during the Muslim festivities of Eid al-Adha at the mosque in Cherbourg-Octeville, northwestern France on September 24, 2015. - Sputnik Afrique, 1920, 03.12.2021
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Le Maroc aurait infiltré le Conseil Français du Culte Musulman afin d’asseoir son influence sur l’Islam en France. Une pratique "traditionnelle", explique Alain Bauer, mais qui illustre la perméabilité de la communauté musulmane.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM), sous influence marocaine? D’après des révélations du Point, l’un des principaux organes communautaires de l’Islam en France aurait été la cible des services de renseignements marocains.
Sous couverture d’être un proche collaborateur du Président du CFCM, Mohamed B., nom de code "M118", aurait tenté d’infiltrer plusieurs organisations islamiques françaises pour le compte des services marocains de renseignement. Soupçonné dans un premier temps de voler des informations à travers un agent de la Police aux frontières (PAF), Mohamed B. a rencontré et même invité au Maroc le directeur de la PAF d’Orly, par ailleurs conjoint de la patronne de l’IGPN, l’Inspection Générale de la Police Nationale, la "police des polices".

"Une pratique très traditionnelle"

En se penchant plus assidûment sur son cas, les services français se sont ensuite rendu compte que cette affaire était l’arbre qui cachait la forêt: "Plus qu’un simple agent, l’homme est en réalité un rouage essentiel de la Direction générale des études et de la documentation (DGED). Sa mission? Accroître le contrôle du royaume chérifien sur la pratique de l’islam en Europe." Le but immédiat de cette mission: "asseoir l’influence du Maroc sur de nombreuses mosquées françaises et contrer ainsi les intérêts du rival algérien", explique le magazine.
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Les services secrets marocains soupçonnés d’influencer l’islam en France
Dans ses missions quotidiennes, Mohamed B. est "soupçonné d’avoir été, des années durant l’agent traitant [chargé de recruter et de “traiter” une cible pour en faire une source, ndlr] du président du Conseil français du culte musulman (CFCM), le Franco-Marocain Mohammed Moussaoui", précise Le Point.
"Tout le monde joue de son influence. C’est une pratique très traditionnelle, mais cela est plus lié plus à l’influence qu’au renseignement", dédramatise au micro de Sputnik Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire des arts et métiers.
Rabat tenterait ainsi d’asseoir sa mainmise sur la communauté musulmane de France. Une tentative d’OPA d’envergure pour le royaume Chérifien.

Communauté musulmane, vulnérable aux influences?

En effet, selon les sources, le nombre de musulmans en France est estimé entre quatre et huit millions d’individus. Ils peuvent constituer un relai d’influence considérable au sein de l’une des plus importantes puissances mondiales. Un butin inestimable pour quiconque arriverait à mettre la main dessus, et ils sont nombreux à s’y employer:
"Quand on a une forte diaspora dans des pays étrangers, et notamment en Occident, la plupart des grands pays concernés, la Turquie, le Maroc, l’Algérie par exemple, considèrent qu’ils ont une responsabilité vis-à-vis de cette diaspora", explique le criminologue.
Pour tous les pays en question, "ces communautés sont pourvoyeuses d’argent, de coopération, de relations et de capacités à être le pays le plus favorisé au sein de la communauté religieuse en question."
"L’Arabie saoudite l’a fait longtemps, le Qatar aussi. Chacun y trouve son propre intérêt", ajoute Alain Bauer.
Ce dernier prend l’exemple plus récent de la Turquie, qui a longtemps été soupçonnée d’utiliser sa diaspora en France pour peser sur le débat autour de la reconnaissance du génocide arménien, sujet "qui ne concerne pas la France en tant que telle, mais qui génère des problèmes d’ordre public entre deux communautés sur le sol Français."
Concernant le CFCM, la question est encore plus délicate. Non pas parce qu’il y a quatre fois plus de musulmans que de Turcs en France, mais surtout parce que les attentats djihadistes de la dernière décennie ont fait de la question des organismes communautaires un point central de la lutte contre le djihadisme. Et ce, notamment du fait de l’influence de certains pays du Golfe, à l’islam pour le moins rigoriste, sur les organes communautaires de France.
À titre d’exemple, dans leur enquête Nos très chers Émirs (Éd. Michel Lafon), Christian Chesnot et Georges Malbrunot avaient établi comment le Qatar avait voulu prendre le contrôle de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans*.

"Islam de France" et loi séparatisme

Dissolution d’associations communautaires, réforme de certains organismes, vote de la loi séparatisme: le gouvernement a affiché publiquement sa volonté de protéger la communauté musulmane des influences extérieures, jugées responsables de l’islamisme en France.
En 2020, Emmanuel Macron avait chargé le Président du CFCM d’écrire une charte républicaine de l’imam, dans le cadre de la loi contre le séparatisme. Un texte en adéquation avec les valeurs républicaines qu’il est désormais obligatoire de signer pour tout imam souhaitant exercer en France. Or, on apprend à travers ces révélations du Point que le Président même du CFCM, censé être l’un des garants de cet "Islam de France", était hébergé par l’ambassade du Maroc et avait pour numéro 2 Mohamed B. agent étranger. Précisons que le CFCM est désormais menacé, à terme, par la création à la mi-décembre du Conseil national des imams, selon Le Figaro.
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Cette affaire illustre néanmoins le niveau de perméabilité et de vulnérabilité des instances de ce type, même après les efforts réalisés les gouvernements de François Hollande et d’Emmanuel Macron.
Et alors même que le Maroc et l’Algérie se livrent à une dangereuse escalade de l’autre côté de la Méditerranée, leur conflit pourrait s’importer en France avec cette tentative marocaine de faire main basse sur les instances représentatives des musulmans de France.
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