Émeutes aux Antilles: "Face à l’absence de réponse, la gangrène s’est installée"

© REUTERS / RICARDO ARDUENGOUn homme passe devant des voitures incendiées après de violentes manifestations qui ont éclaté contre les restrictions du COVID-19, à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 21 novembre 2021.
Un homme passe devant des voitures incendiées après de violentes manifestations qui ont éclaté contre les restrictions du COVID-19, à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 21 novembre 2021.  - Sputnik Afrique, 1920, 23.11.2021
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Alors que des barrages continuent de se dresser sur les routes de Guadeloupe, la colère enfle à la Martinique. Si le gouvernement n’entend pas lâcher du lest, le député LREM Olivier Serva plaide pour plus de dialogue.
"La situation est toujours très difficile." Sur France Inter, Gérald Darmanin a confirmé ce 23 novembre que les épisodes contestataires à la Guadeloupe sont loin d’avoir connu leur épilogue. "Ce qui est certain, c'est que le rétablissement de l'ordre public est le préalable à toute discussion", a-t-il poursuivi, indiquant que des gendarmes avaient été la cible de tirs à balles réelles en Guadeloupe.
Si la violence semble relativement s’atténuer ces dernières heures, notamment avec l’arrivée de renforts de police dans l’archipel, le pire est à craindre.

De nouveaux tirs à l’arme à feu

Dans la nuit du 19 au 20 novembre, un vol d’armes (fusil à pompes Remington, ou encore des pistolets mitrailleurs semi-automatiques) et de 2.000 munitions de 9 mm et de calibre 12, a eu lieu à l’armurerie de la station des garde-côtes de la Douane de Pointe-à-Pitre.
Un véhicule brûlé - Sputnik Afrique, 1920, 22.11.2021
Émeutes en Guadeloupe: la vaccination obligatoire est "la goutte d’eau qui a fait déborder le vase"
Or la colère monte également à la Martinique. À Fort-de-France, dans le quartier de Sainte-Thérèse, "les patrouilles ont essuyé des tirs de 9 mm à plusieurs reprises. Des impacts ont été relevés sur les véhicules", a précisé à l’AFPle commandant Joël Larcher, responsable de la communication de la direction départementale de la Sécurité publique. Par ailleurs, plusieurs points de blocage ont été mis en place, perturbant fortement la circulation.

Création d’une "instance de dialogue"

Conscient d’être assis sur un baril de poudre, Jean Castex a joué la carte de l’apaisement en restant positif. Le Premier ministre a déclaré vouloir créer une "instance de dialogue" pour "convaincre et accompagner individuellement, humainement" les professionnels de santé vers la vaccination. Néanmoins, rien sur une possibilité d’aménagement de l’obligation vaccinale. Le cœur pourtant des revendications des syndicats, rappelle le député LREM de Guadeloupe Olivier Serva. "Depuis plusieurs mois, les soignants et les principaux syndicats réclament le report de l’obligation vaccinale, un moratoire tenant compte de la nécessité de maintenir une continuité des soins face au faible taux de couverture vaccinale", détaille-t-il par écrit à Sputnik. Le conseiller municipal de la ville des Abymes pointe les conséquences de l’obligation vaccinale sur certains établissements de santé qui les obligent à trouver des solutions pour pallier le manque de personnel.

"Au sein de ma circonscription, une clinique a dû fermer un service psychiatrique. Des patients hospitalisés ont été relâchés dans la nature et placés en situation de rupture de soin, parce qu’une application mécanique de la réglementation a été mise en œuvre. Où donc placer le curseur sur la balance bénéfices/risques face à une telle situation?" s’interroge l’élu local.

Or Olivier Serva souligne que, lors des débats dans l’Hémicycle, la demande d’adaptation de cette loi du 5 août 2021 pour les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique visait justement à "anticiper ces absurdités".
"L’obligation vaccinale des soignants ne fonctionne pas et pénalise les usagers, ainsi que les soignants rentrés dans le rang. Le bon sens doit l’emporter", avance le président de la délégation aux outre-mer à l’Assemblée nationale.

Perte de confiance dans la parole publique

Des doléances qui ont reçu pour l’instant une fin de non-recevoir. En particulier par la voix de Gérald Darmanin: "Si on acceptait la revendication d’une minorité violente et agissante qui consiste à dire "pas de vaccination en Guadeloupe", on accepterait de facto que la population guadeloupéenne est (sic) moins bien protégée contre une maladie que le reste de la population."
Cependant, à en croire Olivier Serva, les Guadeloupéens dans leur grande majorité ne sont pas des anti-vaccins. Loin de là. L’élu estime que la défiance peut s’expliquer "partiellement par une perte de confiance [dans] la parole publique", due pour beaucoup au scandale du chlordécone, un pesticide longtemps utilisé dans les bananeraies. Mais, concernant plus particulièrement le vaccin Pfizer, "le manque de recul scientifique quant à la technique de l’ARN", évoqué par certains Antillais, "peut faire écho", concède Olivier Serva.

"Nous entendons tant de propos caricaturaux à ce sujet. Remettons les choses dans l’ordre: 46,43% des Guadeloupéens sont vaccinés. Au sein des 53,57 % de non-vaccinés, beaucoup seraient prêts à accepter une vaccination classique", affirme-t-il.

En témoigne, par exemple, la demande formulée par certains syndicats, de permettre aux insulaires d’accéder aux sérums AstraZeneca et Janssen. Une doléance en passe d’être entendue. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-Mer, a annoncé que l’exécutif s’est "engagé à trouver d’autres types de vaccins" pour les personnes qui refusent les sérums à ARN messager. Cette décision fait suite à la réunion, dans la soirée du 22 novembre, entre les élus locaux, dont M. Serva, et les ministres de la Santé, de l’Intérieur et des Outre-Mer.

Répondre à la détresse économique

En outre, de nombreuses questions restent en suspens, note le conseiller municipal des Abymes: "Pourquoi les voyageurs vaccinés peuvent-ils se rendre sur place sans avoir à réaliser de test PCR, alors qu’ils peuvent être porteurs du virus? Et ce, tout en sachant que le système hospitalier ne peut recevoir davantage de malades…"

"Les Guadeloupéens souhaitent être entendus et obtenir des réponses en provenance du sommet de l’État. Du fait de l’absence de réponse et du refus de dépêcher une médiation sur place, la gangrène s’est installée", résume-t-il.

Et pour cause: la mobilisation contre les mesures sanitaires s’est transformée en cri de colère pour dénoncer la détresse économique qui touche les habitants de l’île. Le député LREM en veut pour preuve le coût de la vie qui est plus élevé en outre-mer que dans la France métropolitaine. En outre, les ultramarins pâtissent, eux aussi, de l’augmentation du prix du carburant et du gaz.

"L’indemnité d’inflation de cent euros doit faire l’objet d’un réajustement outre-mer. Ce ne sont pas des caprices. Il faut y vivre pour le voir et le croire. Cette absence de prise en compte répétée des spécificités locales a tendance à agacer sur place", avertit Olivier Serva.

Par ailleurs, notre interlocuteur constate que le tissu socio-économique étant majoritairement constitué de TPE-PME, la pandémie a fragilisé l’économie. Et ce, malgré les aides déployées par le gouvernement. La conséquence? "Certains de mes compatriotes ont perdu leur emploi", regrette-t-il.
De plus, la crise sanitaire a également affecté des secteurs très porteurs, tels que celui du tourisme. "Ils seront probablement encore touchés", prévient Olivier Serva.

L’élu local appelle donc de ses vœux "un plan d’urgence économique spécifique aux outre-mer".

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