En Guinée équatoriale, vaste opération contre les immigrés illégaux?
20:14 06.11.2021 (Mis à jour: 17:43 10.01.2022)
CC BY 2.0 / Ben Sutherland / Malabo
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Une vague d’interpellation d'étrangers frappe la Guinée équatoriale. Si les raisons officielles n’ont pas été évoquées, l'ambassade du Cameroun a confirmé la détention de Camerounais et d’autres ressortissants étrangers. Ce qui s’apparente à une traque des migrants illégaux interroge aussi sur la libre circulation dans la sous-région.
L’information a surgi sur les réseaux sociaux ce début novembre et a généré toutes sortes d’interprétations. De nombreux internautes ont relayé des informations relatives à des arrestations en série d’étrangers en Guinée équatoriale, des traitements inhumains qui leur sont réservés et des rapatriements en cascade à bord d’aéronefs militaires équato-guinéens.
🔴#URGENT: de nombreux ressortissants africains parmi lesquels les Camerounais, Gabonais, Maliens et Guinéens…sont en train d'être expulsés de la Guinée Équatoriale. Les autorités locales n’ont pas encore officiellement communiqué sur les raisons de cette décision. #mali #Guinee pic.twitter.com/hqWq298fNb
— LSI AFRICA (@lsiafrica) November 2, 2021
Le 3 novembre, dans un communiqué rendu public, Désiré Jean Claude Owono, ambassadeur du Cameroun en Guinée équatoriale, confirme "l’interpellation" et la détention au complexe multisports de Malabo, de certains "compatriotes et de nombreux autres ressortissants étrangers", démentant tout de même la rumeur des rapatriements et de la maltraitance entretenue par les réseaux sociaux.
Le diplomate indique aussi que des opérations similaires se sont déroulées dans la ville portuaire équato-guinéenne de Bata, depuis le 30 octobre et que les étrangers "seraient gardés au stade omnisport de Nkoantama et dans divers postes de police de la ville".
"L’ambassade, une fois informée, a immédiatement saisi les autorités du pays d’accueil, à l’effet de solliciter des informations relativement à cette vaste opération d’interpellation des étrangers", poursuit Désiré Jean Claude Owono.
Pas la première fois
Dans son communiqué, l’ambassadeur du Cameroun indique attendre "les informations officielles" de Malabo au sujet de ces arrestations et détentions. Joints au téléphone par Sputnik le 5 novembre, des ressortissants camerounais disent craindre de sortir de chez eux de peur d’être arrêtés. La situation de certains d'entre eux est bien en règle, mais ils expliquent leur crainte par le fait que rien n'a filtré, à ce jour, sur les motifs officiels de ces interpellations de ressortissants étrangers.
Malabo a par le passé organisé des opérations massives d'interpellation de migrants en situation irrégulière sur son territoire.
En décembre 2017, la Guinée équatoriale avait expulsé vers le Nigeria, 205 migrants ouest-africains, interpellés en mer alors qu'ils tentaient de rejoindre Malabo. Des opérations souvent mal perçues par les pays voisins.
"La Guinée équatoriale a toujours pensé que son statut de "nouveau riche" lui donnait tous les droits. Un véritable leurre qui se manifeste sporadiquement par des actes de violence, de xénophobie et d'hostilité contre les étrangers, et principalement les Camerounais. Je pense qu'il est temps que le Cameroun sorte de son attentisme diplomatique et frappe véritablement du poing sur la table contre ce petit État", martèle David Eboutou, spécialiste en histoire des relations internationales.
La libre circulation en question
Depuis que ce pays d’Afrique centrale est devenu un Eldorado pétrolier, il suscite la convoitise de ses voisins et attire de nombreux Camerounais qui s’y installent pour bénéficier des retombées économiques de la manne de l’or noir. Une migration massive qui entraîne très souvent l’insécurité et des tensions. Les ressortissants camerounais, qui constituent la plus grande communauté étrangère dans ce pays, sont régulièrement accusés par Malabo de toutes sortes de dérives et trafics. En 2020, ont même été entreprises la construction d’un mur de séparation et l’érection de miradors entre les deux pays, "empiétant" sur le territoire camerounais. Une situation qui avait ravivé les tensions entre les deux États qui ont en juillet 2020, formalisé un accord de coopération militaire pour non seulement garantir la stabilité au niveau de leur frontières, mais aussi marquer leur désir commun de préserver la paix.
Si la libre circulation des biens et des personnes est actée dans la zone Cemac (Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale) depuis octobre 2017 et est souvent citée dans les discours officiels comme une avancée dans le processus de l’intégration régionale, dans les faits, elle se heurte encore a beaucoup de barrières. En théorie, le passeport Cemac permet à tout ressortissant d'un État membre de circuler librement à l'intérieur de la zone qui en comprend six (le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad). Dans la réalité toutefois, de nombreux ressortissants de la sous-région sont encore refoulés aux portes de la Guinée équatoriale ou expulsés pour "situation irrégulière". Dans un élan protectionniste, Malabo ferme régulièrement ses frontières à ses voisins, évoquant très souvent des raisons de sécurité pour justifier son isolationnisme. Par ces actes, la Guinée équatoriale, regrette David Eboutou, "retarde et décourage toute velléité de politique d'intégration sous-régionale".
"Celle-ci reste ancrée dans les discours [mais] entre les discours et les actes, en matière de politique d'intégration, tout un fossé existe",se désole-t-il.