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"Le Président congolais doit demander l'établissement d'un tribunal pénal international pour la RDC"
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Il s'est fait connaître comme "l'homme qui répare les femmes". Le gynécologue congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018, évoque pour Sputnik son... 13.10.2021, Sputnik Afrique
2021-10-13T15:12+0200
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Le gynécologue congolais Denis Mukwege, 66 ans, s’est fait connaître pour son combat contre les mutilations génitales pratiquées sur les femmes et les enfants lors du conflit armé meurtrier qui a dévasté son pays natal, la République démocratique du Congo (RDC). Il a obtenu plusieurs distinctions à travers le monde. En 2014, le Parlement européen lui a décerné le Prix Sakharov, et en 2018, il a reçu le prix Nobel de la paix avec Nadia Murad, pour leurs efforts pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre. Denis Mukwege a reçu la médaille de citoyen d’honneur de la ville de Montpellier, le samedi 9 octobre 2021. Il s’est également vu remettre le titre de docteur honoris causa de l’Université de Montpellier. Il revient sur son combat dans un entretien accordé à Sputnik.Sputnik: Comment se présente la situation à l’hôpital Panzi, à Bukavu [Est]? Continuez-vous toujours de recevoir des femmes victimes de viol? Si oui, à quelle fréquence?Denis Mukwege: "La fréquence des femmes victimes de viol à Panzi est cadencée par les foyers de conflits dans la région. L’hôpital de Panzi est devenu un véritable baromètre de la situation sécuritaire qui prévaut dans l’Est de la RDC. À chaque fois qu’il y a un nouveau conflit qui se déclenche, le nombre de viols augmente. Nous faisons donc face à une évolution en dents de scie mais, malheureusement, les violences sexuelles se poursuivent toujours en RDC. En moyenne, nous recevons quatre à sept victimes de viol chaque jour. Nous sommes aujourd’hui très inquiétés par la situation des viols des enfants. Leur nombre a significativement augmenté ces dernières années et nous observons également une inquiétante progression du nombre de mineurs qui accouchent à l’hôpital de Panzi. L’année écoulée, nous sommes arrivés jusqu’à 30% du nombre de cas total traité à la maternité, ce qui est énorme."Sputnik: Cela fait des années que vous militez pour la cause des femmes victimes de violences sexuelles en RDC, mais aussi à travers le monde. Quel bilan faites-vous après tant d’années d’implication, notamment en ce qui concerne votre pays?Denis Mukwege: "Le bilan que nous faisons est très encourageant car il y a 20 ans, on ne parlait pas des violences sexuelles en RDC. Quand cette question était soulevée, cela dérangeait. Aujourd’hui, cette question est discutée beaucoup plus ouvertement, à tous les niveaux de la société. Au plan global, des progrès ont été actés ces dernières années, notamment avec l’adoption de la résolution 2467 du Conseil de sécurité qui reconnaît que les femmes victimes de violences sexuelles ont le droit à la réparation, ce qui est fondamental; en outre, la reconnaissance des enfants issus du viol constitue un grand progrès. Des avancées importantes sont en train de changer le paradigme partout à travers le monde, notamment grâce aux mouvements comme #MeToo. Nous sentons très bien que les gens sont plus enclins à parler du fléau des violences sexuelles, en temps de paix comme en période de conflit. En outre, la création du Mouvement international des survivantes de violences sexuelles liées aux conflits (SEMA) a marqué une étape décisive: en se mettant en réseau ensemble, les survivantes partagent leurs expériences, s’encouragent et se renforcent mutuellement dans leurs efforts de plaidoyer. Ces progrès sur le plan international se reflètent au niveau national: les femmes congolaises s’expriment aujourd’hui beaucoup plus! Elles prennent le devant de la scène pour dénoncer les exactions et pour réclamer justice, des réparations et la non-répétition des violences et des atrocités de masse. Ces progrès dans l’activisme des survivantes de violences sexuelles, tant au niveau international que national, sont remarquables et nous les soutenons pleinement dans leurs efforts."Sputnik: Grâce à vous, le rapport Mapping du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme est aujourd’hui discuté dans les enceintes internationales. Vous militez pour que les recommandations dudit rapport connaissent une suite. Qu’en est-il aujourd’hui, 11 ans après la publication du rapport onusien?Denis Mukwege: "En 2010, alors que la publication du rapport par le HCDH était annoncée, divers États impliqués dans les conflits en RDC ont fait une forte pression au niveau de l’Onu et des organisations régionales pour qu’il ne soit pas publié et, malgré la publication du rapport Mapping, la communauté internationale a malheureusement cédé aux pressions en l’enterrant. 11 ans après, nous sommes heureux qu’il y ait une victoire d’étape: ce rapport est aujourd’hui discuté et fait partie du débat public, en RDC et même au-delà. Même s’il n’est pas encore réellement déterré par ceux qui ont cherché à l’enterrer, la population se mobilise et réclame la vérité et la justice, ce qui entraîne une pression grandissante sur les autorités et les institutions tant congolaises qu’internationales. À titre d’exemple, nous avons salué l’adoption de la résolution du Parlement européen de septembre 2020 qui a demandé la mise en œuvre des recommandations du rapport Mapping, ce qui est très encourageant. De plus, en amont du 1er octobre de cette année – [anniversaire de la publication du rapport, ndlr], les députés de la province du Sud Kivu ont fait une caravane de la paix et de la justice transitionnelle; ils se sont déplacés dans divers territoires du Sud Kivu pour parler avec les victimes et les survivants des conflits qui ont ravagé notre région et pour exiger que la justice transitionnelle soit mise en œuvre. Nous encourageons pleinement ces démarches de nos élus, même si nous attendons aujourd’hui la réalisation de la promesse du Président de la République qui s’est engagé à ce que la justice transitionnelle figure à l’agenda du gouvernement. Malgré la lenteur du processus, nous espérons que le gouvernement traduira ses engagements en résultats et ne se mette pas en position d’insubordination par rapport à la demande du chef de l’État. Nous sommes dans l’expectative de réalisations concrètes et poursuivons inlassablement notre plaidoyer à l’échelle tant nationale qu’internationale."Sputnik: Qu’est-ce qui manque aujourd’hui pour qu’un tribunal pénal international pour le Congo puisse voir le jour?Denis Mukwege: "Nous rencontrons dans le cadre de nos efforts de plaidoyer des responsables des organisations internationales et régionales ainsi que des représentants de divers gouvernements pour nous soutenir dans ces efforts d’instauration de la justice transitionnelle en RDC. Après 25 ans de conflits qui persistent jusqu’à ce jour — conflits qui coûtent cher aux contribuables de plusieurs pays pour soutenir la mission onusienne la plus importante du continent africain sans qu’il n’y ait de résultat — on sent très bien dans l’opinion que la pièce manquante au puzzle, c’est le leadership des autorités congolaises! Telle est la raison pour laquelle nous exhortons le chef de l’État ou du gouvernement congolais à faire une demande expresse au Conseil de sécurité pour établir un tribunal pénal international pour la RDC. La société civile ne peut prendre le "lead" pour ces questions!"Sputnik: Il y a peu, vous avez reçu plusieurs menaces et certains pays de la région des Grands Lacs ont été pointés du doigt; ce qui a poussé les chancelleries occidentales à demander que votre sécurité soit renforcée. Où en est-on aujourd’hui?Denis Mukwege: "Nous continuons à recevoir des menaces par plusieurs voies. Ces menaces sont toujours actuelles et réelles."Sputnik: Avez-vous un mot de la fin?Denis Mukwege: "Il n’y aura pas de paix sans justice et la justice ne se négocie pas!"
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15:12 13.10.2021 (Mis à jour: 17:42 10.01.2022) Il s'est fait connaître comme "l'homme qui répare les femmes". Le gynécologue congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018, évoque pour Sputnik son combat de toujours contre les violences sexuelles envers les femmes au Kivu, mais aussi, la nécessité de désigner les responsables des malheurs de la RDC.
Le gynécologue congolais Denis Mukwege, 66 ans, s’est fait connaître pour
son combat contre les mutilations génitales pratiquées sur les femmes et les enfants lors du conflit armé meurtrier qui a dévasté son pays natal, la République démocratique du Congo (RDC). Il a obtenu plusieurs distinctions à travers le monde. En 2014, le Parlement européen lui a décerné le Prix Sakharov, et en 2018, il a reçu le prix Nobel de la paix avec Nadia Murad, pour leurs efforts pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre. Denis Mukwege a reçu la médaille de citoyen d’honneur de la ville de Montpellier, le samedi 9 octobre 2021. Il s’est également vu remettre le titre de docteur honoris causa de l’Université de Montpellier. Il revient sur son combat dans un entretien accordé à Sputnik.
Sputnik: Comment se présente la situation à l’hôpital Panzi, à Bukavu [Est]? Continuez-vous toujours de recevoir des femmes victimes de viol? Si oui, à quelle fréquence?
Denis Mukwege: "La fréquence des femmes victimes de viol à
Panzi est cadencée par les foyers de conflits dans la région. L’hôpital de Panzi est devenu un véritable baromètre de la situation sécuritaire qui prévaut dans l’Est de la RDC. À chaque fois qu’il y a un nouveau conflit qui se déclenche, le nombre de viols augmente. Nous faisons donc face à une évolution en dents de scie mais, malheureusement, les violences sexuelles se poursuivent toujours en RDC. En moyenne, nous recevons quatre à sept victimes de viol chaque jour. Nous sommes aujourd’hui très inquiétés par la situation des viols des enfants. Leur nombre a significativement augmenté ces dernières années et nous observons également une inquiétante progression du nombre de mineurs qui accouchent à l’hôpital de Panzi. L’année écoulée, nous sommes arrivés jusqu’à 30% du nombre de cas total traité à la maternité, ce qui est énorme."
Sputnik: Cela fait des années que vous militez pour la cause des femmes victimes de violences sexuelles en RDC, mais aussi à travers le monde. Quel bilan faites-vous après tant d’années d’implication, notamment en ce qui concerne votre pays?
Denis Mukwege: "Le bilan que nous faisons est très encourageant car il y a 20 ans, on ne parlait pas des violences sexuelles en RDC. Quand cette question était soulevée, cela dérangeait. Aujourd’hui, cette question est discutée beaucoup plus ouvertement, à tous les niveaux de la société. Au plan global, des progrès ont été actés ces dernières années, notamment avec l’adoption de la résolution 2467 du Conseil de sécurité qui reconnaît que les femmes victimes de violences sexuelles ont le droit à la réparation, ce qui est fondamental; en outre, la reconnaissance des enfants issus du viol constitue un grand progrès. Des avancées importantes sont en train de changer le paradigme partout à travers le monde, notamment grâce aux mouvements comme #MeToo. Nous sentons très bien que les gens sont plus enclins à parler du fléau des violences sexuelles, en temps de paix comme en période de conflit. En outre, la création du Mouvement international des survivantes de violences sexuelles liées aux conflits (SEMA) a marqué une étape décisive: en se mettant en réseau ensemble, les survivantes partagent leurs expériences, s’encouragent et se renforcent mutuellement dans leurs efforts de plaidoyer. Ces progrès sur le plan international se reflètent au niveau national: les femmes congolaises s’expriment aujourd’hui beaucoup plus! Elles prennent le devant de la scène pour dénoncer les exactions et pour réclamer justice, des réparations et la non-répétition des violences et des atrocités de masse. Ces progrès dans l’activisme des survivantes de violences sexuelles, tant au niveau international que national, sont remarquables et nous les soutenons pleinement dans leurs efforts."
Sputnik: Grâce à vous, le rapport Mapping du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme est aujourd’hui discuté dans les enceintes internationales. Vous militez pour que les recommandations dudit rapport connaissent une suite. Qu’en est-il aujourd’hui, 11 ans après la publication du rapport onusien? Denis Mukwege: "En 2010, alors que la publication du rapport par le HCDH était annoncée, divers États impliqués dans les conflits en RDC ont fait une forte pression au niveau de l’Onu et des organisations régionales pour qu’il ne soit pas publié et, malgré la publication du rapport Mapping, la communauté internationale a malheureusement cédé aux pressions en l’enterrant. 11 ans après, nous sommes heureux qu’il y ait une victoire d’étape: ce rapport est aujourd’hui discuté et fait partie du débat public, en RDC et même au-delà. Même s’il n’est pas encore réellement déterré par ceux qui ont cherché à l’enterrer, la population se mobilise et réclame la vérité et la justice, ce qui entraîne une pression grandissante sur les autorités et les institutions tant congolaises qu’internationales. À titre d’exemple, nous avons salué l’adoption de la résolution du Parlement européen de septembre 2020 qui a demandé la mise en œuvre des recommandations du rapport Mapping, ce qui est très encourageant. De plus, en amont du 1er octobre de cette année – [anniversaire de la publication du rapport, ndlr], les députés de la province du Sud Kivu ont fait une caravane de la paix et de la justice transitionnelle; ils se sont déplacés dans divers territoires du Sud Kivu pour parler avec les victimes et les survivants des conflits qui ont ravagé notre région et pour exiger que la justice transitionnelle soit mise en œuvre. Nous encourageons pleinement ces démarches de nos élus, même si nous attendons aujourd’hui la réalisation de la promesse du Président de la République qui s’est engagé à ce que la justice transitionnelle figure à l’agenda du gouvernement. Malgré la lenteur du processus, nous espérons que le gouvernement traduira ses engagements en résultats et ne se mette pas en position d’insubordination par rapport à la demande du chef de l’État. Nous sommes dans l’expectative de réalisations concrètes et poursuivons inlassablement notre plaidoyer à l’échelle tant nationale qu’internationale."
Sputnik: Qu’est-ce qui manque aujourd’hui pour qu’un tribunal pénal international pour le Congo puisse voir le jour?
Denis Mukwege: "Nous rencontrons dans le cadre de nos efforts de plaidoyer des responsables des organisations internationales et régionales ainsi que des représentants de divers gouvernements pour nous soutenir dans ces efforts d’instauration de la justice transitionnelle en RDC. Après 25 ans de conflits qui persistent jusqu’à ce jour — conflits qui coûtent cher aux contribuables de plusieurs pays pour soutenir la mission onusienne la plus importante du continent africain sans qu’il n’y ait de résultat — on sent très bien dans l’opinion que la pièce manquante au puzzle, c’est le leadership des autorités congolaises! Telle est la raison pour laquelle nous exhortons le chef de l’État ou du gouvernement congolais à faire une demande expresse au Conseil de sécurité pour établir un
tribunal pénal international pour la RDC. La société civile ne peut prendre le "lead" pour ces questions!"
Sputnik: Il y a peu, vous avez reçu plusieurs menaces et certains pays de la région des Grands Lacs ont été pointés du doigt; ce qui a poussé les chancelleries occidentales à demander que votre sécurité soit renforcée. Où en est-on aujourd’hui?
Denis Mukwege: "Nous continuons à recevoir des menaces par plusieurs voies. Ces menaces sont toujours actuelles et réelles."
Sputnik: Avez-vous un mot de la fin?
Denis Mukwege: "Il n’y aura pas de paix sans justice et la justice ne se négocie pas!"