"Un complot dirigé contre l'unité algérienne": le MAK et le Maroc pointés par Tebboune

© AFP 2023 RYAD KRAMDIAbdelmadjid Tebboune
Abdelmadjid Tebboune  - Sputnik Afrique, 1920, 11.10.2021
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Le Président algérien a dénoncé un "complot" dirigé contre son pays et dans lequel "le Maroc est partie prenante". En cause, le soutien de Rabat apporté, par la voix de son ambassadeur à l'Onu, au séparatisme kabyle, une cause portée par le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation classée "terroriste" en Algérie.
C’est un chef de l’État algérien, particulièrement remonté contre le Maroc, qui est apparu dans la soirée du 10 octobre à la télévision publique. Le Président Abdelmadjid Tebboune a une nouvelle fois accusé les autorités marocaines de soutenir activement le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, classé par Alger sur une liste des organisations terroristes créée le 30 mai 2021. Il a indiqué qu’il existe des preuves qui confirment que "le Maroc est partie prenante dans tout ce qu’a fait le MAK en Kabylie" dans le cadre d’un "complot dirigé contre l’unité de la Nation algérienne".
Le Président Tebboune estime que l’existence même du MAK doit faire tourner dans leurs tombes les martyrs originaires de la région de la Kabylie qui ont lutté contre la France coloniale.
Le 24 août 2021, lors de l’annonce de la rupture des relations avec le Maroc, le ministre algérien des Affaires étrangères avait placé ce soutien à l’organisation séparatiste kabyle en tête de liste des arguments qui ont provoqué la prise de cette mesure extrême. Ramtane Lamamra faisait notamment référence à la "provocation" de l’ambassadeur Omar Hilale, le représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies, lors d’une réunion du Mouvement des non-alignés (MNA) organisée les 13 et 14 juillet 2021. Lors de cette rencontre, qui s’est tenue par vidéoconférence, le diplomate marocain avait distribué aux représentants des pays membres du MNA une note diplomatique annonçant le soutien du Maroc "au droit à l’autodétermination du peuple kabyle". Sans la nommer, c'est bien à l'organisation séparatiste kabyle, le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie, que Rabat apporte son soutien.

Question vitale

Cette sortie inattendue de la diplomatie marocaine a été fermement condamnée par le gouvernement algérien qui a considéré le document distribué par le diplomate marocain comme "un soutien apparent et explicite à ce qu'il prétend être le droit à l'autodétermination du peuple kabyle". Pour Alger, Rabat ne s’est pas contenté de reconnaître une organisation séparatiste, mais également "une organisation terroriste qui représente une menace pour sa sécurité". Le gouvernement algérien décide de rappeler son ambassadeur pour consultation. Notons que l’action de l’ambassadeur Omar Hilale est intervenue quelques jours avant les révélations sur les opérations d’espionnage téléphonique de hauts responsables algériens par le Maroc, dans le cadre de l'affaire Pegasus, alors que Rabat a nié avoir eu recours au logiciel israélien. Contacté par Sputnik, Mustapha Adib, ancien officier marocain et actuellement militant des droits de l’homme, explique que "la question du Sahara occidental est vitale pour le régime marocain".
"Pour le palais, la perte du Sahara occidental provoquerait la chute de la monarchie. Il faut comprendre que les autorités marocaines ont dépensé des milliards de dollars pour garder ce territoire et ont offert de nombreux avantages à des familles marocaines pour qu’elles s’installent dans les villes sahraouies. Le Maroc n’hésite pas à s’en prendre frontalement à tous ceux qui remettent en cause sa souveraineté sur le Sahara occidental et qui soutiennent son ennemi le Front Polisario. Le premier pays qui est dans cette position d’adversité c’est bien évidemment l’Algérie qui a d’ailleurs inscrit dans sa constitution son soutien aux peuples qui luttent pour le droit à l’autodétermination", note-t-il.
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Selon Mustapha Adib, cette reconnaissance publique du MAK est à mettre sur le compte des conseillers du roi Mohammed VI. "À mon avis, le soutien marocain aux séparatistes kabyles est une faute qui démontre que le roi Mohammed VI est très mal conseillé. C’est une réaction puérile aux conséquences fâcheuses, car il est incongru de mettre sur le même pied d’égalité la Kabylie avec le dossier du Sahara occidental qui est une question de décolonisation. Le roi Hassan II s’est toujours opposé à l’Algérie, mais à mon avis il n’aurait jamais commis une telle faute en soutenant le MAK", ajoute l’ancien officier.
Reste que l’action de soutien internationale du Maroc a été saluée par les responsables du MAK. Ferhat Mehenni, fondateur et président du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie et actuellement président du gouvernement provisoire kabyle (GPK) en exil en France, a réagi publiquement pour qualifier cette reconnaissance "de bénédiction, un souffle d’air nouveau". Ferhat Mehenni a cependant appelé le Maroc "à aller plus loin". Le 22 juillet, Aksel Améziane, porte-parole du GPK, adressait une lettre de remerciement à l’ambassadeur du Maroc à Paris dans laquelle il a fait part de la volonté de Ferhat Mehenni de rencontrer le roi du Maroc.

Imbroglio

Cependant, à Rabat, l’affaire a été différemment appréciée dans les milieux politiques. C’est ainsi que Saad Dine El Otmani, chef du gouvernement marocain au moment des faits, s’est désolidarisé publiquement de l’ambassadeur Omar Hilale. "Le discours de l’ambassadeur du Maroc aux Nations unies sur l’autodétermination des +Kabyles+ était une réaction contre-argumentaire. Si vous dites cela, nous disons ceci. Mais, ce n’est pas une position politique de l’État marocain", a déclaré l’ex-chef du gouvernement dans une interview accordée au média en ligne le 26 août 2021. La politique étrangère étant du ressort exclusif du palais, la déclaration de Saad Dine El Otmani a peu de valeur. D’ailleurs, pour Alger, l’absence de réaction du roi Mohammed VI a été perçue comme étant le véritable instigateur du casus belli qu’a été le soutien public au MAK. D’ailleurs, lundi 30 août, soit une semaine après la rupture des relations décidée par l’Algérie, l’ambassadeur Omar Hilale est revenu à la charge en soutenant une nouvelle fois le MAK, à travers l'affirmation du "droit" à l'autodétermination du "peuple kabyle", lors du séminaire du Comité spécial de la décolonisation des Caraïbes en Dominique. Il répondait alors à l’ambassadeur algérien Sofiane Mimouni qui rappelait que la question de la décolonisation du Sahara occidental "demeure inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée générale de l’Onu, depuis 1963, et qu’elle a bénéficié de l’appui de trois pays voisins, à savoir, l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie".
"Le peuple kabyle, qui existait bien avant la création de l’État algérien, a le droit lui aussi de s’autodéterminer. Pourquoi l’Algérie lui dénie ce qu’elle exige pour les Marocains du Sahara, en allant jusqu’à imposer au royaume un conflit depuis 45 ans, par un groupe armé séparatiste? Et pourquoi les représentants du peuple kabyle n’ont pas le droit d’être présents dans cette réunion du C24? Ils ont eux aussi le droit de s’exprimer librement sur leur avenir", a déclaré le diplomate marocain.
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Levier de pression

Journaliste et expert international en management et communication, Amine Naït Djoudi suit le développement du MAK depuis sa création en 2001. Il explique à Sputnik que cette organisation constitue "pour le Maroc, mais aussi pour Israël et la France, un levier de pression contre l’Algérie".
"Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces trois pays s'inscrivent en porte-à-faux avec le principe de l’autodétermination. La France, qui protège le président du MAK, le fait saillant de son histoire est la colonisation et l’expropriation des territoires et des biens des peuples. Pour le Maroc, c'est l'annexion du Sahara occidental et la répression féroce des mouvements de protestation de la population du Rif et pour Israël c'est les tentatives d’extermination du peuple palestinien et l'expropriation des territoires appartenant aux pays arabes. Pour ces trois pays, le MAK a très vite constitué un moyen de déstabiliser et d’affaiblir l'Algérie", note-t-il.
Amine Naït Djoudi estime que les relations du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie avec le Maroc et Israël sont prouvées et remontent à plusieurs années. Il cite notamment "les révélations d’Idir Djouder, ancien responsable du MAK, qui avait affirmé que Ferhat Mehenni recevait mensuellement la somme de 250.000euros de la part du Maroc pour financer son organisation". Des chiffres qui n'avaient pas été confirmés par des sources officielles marocaines, et qui avaient donné lieu à une polémique au sein du MAK. À propos d’Israël, Amine Naït Djoudi précise que le président du MAK avait bénéficié d’un soutien ouvertement affiché "par l’entité sioniste lors d’un séjour en Palestine occupée". Dans une interview accordée à une chaîne d’information israélienne, Ferhat Mehenni a fait part de son rêve de voir la Kabylie semblable "à Israël dans 10 ou 15 ans".
Lors de sa sortie médiatique du dimanche 10 octobre, le Président Abdelmadjid Tebboune a impliqué ouvertement Paris dans le dossier du MAK qui, selon lui, n’a toujours pas remis Ferhat Mehenni à la justice algérienne. "Nous demandons le chef de file des terroristes du MAK. Il faut qu’il nous soit livré. C’est un terroriste", a martelé Abdelmadjid Tebboune. Sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Ferhat Mehenni est accusé d’être un des instigateurs des incendies qui ont ravagé la région de Tizi Ouzou et de l’assassinat de Djamel Bensmaïl, un bénévole engagé dans la lutte des incendies dans la région de Larbaâ Nath Irathen.
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