Algérie: Abdelaziz Bouteflika, fin «pathétique et tragique» d’un dirigeant qui a marqué son temps
14:09 20.09.2021 (Mis à jour: 16:57 23.11.2021)
© AP Photo / Alfred de MontesquieuAbdelaziz Bouteflika en 2009
© AP Photo / Alfred de Montesquieu
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L’ancien Président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, est décédé à l’âge de 84 ans. Les autorités n’ont pas décrété de deuil national en l’honneur du dirigeant qui est resté au pouvoir durant 20 années. Bouteflika a été inhumé dans le carré officiel du cimetière algérois d’El Alia en présence de son successeur.
Strict minimum. Décédé vendredi 17 septembre 2021, l’ancien Président algérien n’a pas eu droit à des funérailles à la hauteur de ses ambitions. Pas de deuil national de huit jours ni de cérémonie de recueillement publique au palais du Peuple, comme le veut la tradition dans le pays. La Présidence de la République a tout juste décrété une mise en berne des drapeaux durant trois jours. Sa famille a pu organiser une veillée funéraire à la résidence de Zeralda, située à 25 kilomètres à l’ouest d’Alger, où il s’était reclus depuis l’aggravation de son état de santé en 2013. Condamné à plusieurs années de prison pour des affaires de corruption, Saïd Bouteflika, son plus jeune frère, a été autorisé à quitter la prison d’El Harrach pour se recueillir quelques heures sur le corps de celui qui a été quasiment un père pour lui. Dimanche 19 septembre, un cortège officiel composé de véhicules militaires a transporté le cercueil jusqu’au cimetière d’El Alia, dans la banlieue est d’Alger, où l’attendaient quelques centaines de personnes devant le portail, espérant lui rendre un dernier hommage. Abdelaziz Bouteflika a été inhumé quasiment à huis clos, dans le carré présidentiel, en présence de son successeur Abdelmadjid Tebboune, des membres du gouvernement et de l’état-major de l’armée. Le Président déchu a pris place aux côtés d’Ahmed Benbella, premier Président de l’Algérie indépendante qu’il avait participé à renverser le 19 juin 1965 au profit de son mentor Houari Boumediene.
Le «scoop» d’Alexandre Benalla
Depuis qu’il a été victime d’un ulcère hémorragique en novembre 2005, Abdelaziz Bouteflika a été la cible de rumeurs le donnant pour mort. Un phénomène qui a pris de l’ampleur après son AVC d’avril 2013 qui est intervenu une année avant sa réélection pour un 4e mandat. Durant la journée du vendredi 17 septembre, l’information sur son décès avait commencé à circuler dès le début de l’après-midi. En fait, c’est un tweet d’Alexandre Benalla qui a rendu publique en premier la mort de Bouteflika en fin de soirée. Il a fallu attendre plus d’une heure pour que la nouvelle soit confirmée par la télévision d’État. Le tweet de l’ancien responsable de la sécurité du Président Emmanuel Macron a été supprimé depuis.
Un djin a sûrement dû informer Benalla de la mort de Bouteflika
— 🇩🇿 🇵🇸 Villazón (ض) (@LanderLoit) September 19, 2021
L’ancien président Abdelaziz bouteflika est mort
— hafid Ait eldjoudi (@EldjoudiHafid) September 18, 2021
Le hic est comment Alexandre Benalla poste l’information beaucoup bien avant nos médias locaux ?
L’annonce officielle de sa mort a donné lieu, tard dans la nuit de vendredi à samedi, à une déferlante de réactions sur les réseaux sociaux. Abdelaziz Bouteflika qui a régné sans partage du 27 avril 1999 au 2 avril 2019 était un homme haï par beaucoup d'Algériens. «Au terme de 20 années de pouvoir, les Algériens gardent juste l’image d’un Président accroché à son fauteuil, le corps désarticulé, le visage livide, incapable de parler», explique à Sputnik Farid Allilat, journaliste à Jeune Afrique et auteur de «Bouteflika. L’histoire secrète», une des biographies les plus complètes consacrées au dirigeant algérien.
Je veux bien qu’on ne dise pas du mal des morts mais on n’est pas obligé d’en dire du bien pour autant #Bouteflika
— Kaouther Adimi كوثر عظيمي (@kaoutheradimi) September 18, 2021
L’ancien président #Bouteflika n’est plus. L’histoire le jugera. Son mandat de trop a accéléré sa chute et a créé une dynamique populaire inédite en #Algerie. #Bouteflika a été le président des occasions manquées. Sa fin ne signifie pas la fin de ses pratiques désastreuses. pic.twitter.com/kB9M7PcU2N
— Hasni Abidi (@hasniabidi) September 18, 2021
— le HIC (@HicCartoons) September 18, 2021
Abdelaziz Bouteflika au ciel en compagnie de Houari Boumediene
Le poids du Hirak
Âgé de 84 ans, Abdelaziz Bouteflika était devenu un boulet pour le pouvoir algérien. Depuis son éviction par le général Ahmed Gaïd Salah, le chef d’état-major décédé en décembre 2019, l’ancien chef de l’État a vu un grand nombre des acteurs politiques qui ont marqué son règne être déférés devant les tribunaux pour des dossiers de corruption. Parmi eux son frère Saïd, deux de ses anciens Premiers ministres, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, ainsi que de nombreux hommes d’affaires qui ont largement profité de son influence pour bâtir des fortunes colossales. Cependant, pour les autorités algériennes, il était inconcevable de le traduire en justice, malgré les demandes répétées de certains de ses anciens collaborateurs qui ont affirmé à la barre avoir agi sous ses ordres. Lors d’une interview accordée à France 24 en juillet 2020, le Président Abdelmadjid Tebboune avait annoncé qu’il s’opposait à toute action en justice contre Abdelaziz Bouteflika. Pour Farid Allilat, ce qui embarrassait le plus les gouvernants algériens, c’est «la manière avec laquelle il a été éjecté du pouvoir en 2019 ». Ce qui explique le refus d’organiser des funérailles officielles.
«Bouteflika n’est pas parti de son plein gré ou après avoir fini un mandat, il a été chassé du pouvoir. Cette disgrâce qui a accompagné la fin de son règne a mis son successeur Abdelmadjid Tebboune dans l’embarras. Organiser des funérailles officielles dans le cadre d’un deuil national serait prendre un risque de se mettre à dos celui qui a évincé Bouteflika, c’est-à-dire le peuple algérien. On ne peut pas dire d’un côté le "Hirak béni" qui a fait tomber le régime et mis un terme aux actions de la issaba (le gang en arabe) et d’un autre décréter un deuil national en faveur du chef de la issaba. Tebboune ne pouvait pas se mettre en porte-à-faux avec ces millions d’Algériens qui ont chassé Bouteflika», indique le journaliste.
Farid Allilat estime que Bouteflika n’aurait jamais imaginé «une telle sortie pathétique». «Il a toujours voulu mourir Président, avoir des funérailles nationales qui dépasseraient celles du Président Houari Boumediene en 1978». L’homme qui a toujours rêvé d’obtenir le prix Nobel de la paix pour son projet de Réconciliation nationale était persuadé «d’avoir l’hommage de la Nation, des monarques et des chefs d’État étrangers».
«Il n’a pas eu cette fin de vie car il s’est tellement accroché au pouvoir que cela ne pouvait se terminer que de cette façon. Une fin pathétique et tragique. À la fin de son règne, il est devenu un Président fantomatique», ajoute Farid Allilat.
Natif d’Oujda, ville marocaine frontalière avec l’Algérie, en 1937, Abdelaziz Bouteflika a su profiter de toutes les opportunités. Adolescent, il rejoint les troupes de l’Armée de libération nationale dont une partie du commandement était installé à Oujda. Il parvient à devenir officier sans trop d’efforts en profitant de sa proximité avec le colonel Boumediene. Après l’indépendance, il est nommé ministre de la Jeunesse et des Sports et devient ensuite ministre des Affaires étrangères suite à l’assassinat de Mohamed Khemisti. Dandy à la réputation sulfureuse, il marque de son empreinte la scène internationale lorsqu’Alger était la Mecque des révolutionnaires. À la mort de Houari Boumediene, il est marginalisé par le Front de libération nationale et par l’armée, alors qu’il est persuadé d’être l’héritier du Président. Puis c’est une longue traversée du désert qui va le mener au Moyen-Orient et en Suisse. En 1994, au moment où l’Algérie faisait face au terrorisme islamiste, le commandement militaire avait tenté de le persuader d’accepter le poste de chef d’État, mais il avait préféré partir se réfugier en catimini à Genève. Finalement, il est revenu sur la scène politique en 1999 au terme d’un scrutin présidentiel dont il a été le seul candidat. Depuis il n’a pas lâché le pouvoir jusqu’en mars 2019, au terme de 20 années de règne sans partage. Dans une réaction publiée sur les réseaux sociaux, Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate et ministre de la Communication dans le premier gouvernement formé par Bouteflika en 1999, résume le parcours de l’ancien chef de l’État.
«Bouteflika a été un témoin privilégié et un acteur influent dans l'histoire de l'Algérie indépendante. À ce titre il est l'un des primogéniteurs d’un système politique marqué par l'autoritarisme, la corruption et la résistance systémique à toute forme de changement et de modernité. Bouteflika n’avait pas d'ambitions pour une Algérie forte et prospère car il était un homme de pouvoir par nature au détriment des institutions au moment où le pays avait grandement besoin d'hommes d'État capables de faire entrer le pays dans le concert des grandes nations. L’Algérie a les atouts pour se réconcilier avec son destin de grandeur historique en respectant les critères exigeants de la bonne gouvernance et des droits humains. Il est difficile de considérer que ces conditions étaient des priorités de Bouteflika. Paix à son âme».
Le plus grand défi pour ses successeurs sera de sortir du mode de gouvernance qu’il a imposé durant deux décennies. À ce titre, Farid Allilat rappelle le rôle de l’armée dans la gestion politique du pays. «Il ne faut pas oublier un élément essentiel: Bouteflika a gouverné avec le soutien et l’onction de l’armée car elle est la colonne vertébrale du pouvoir. Il a su habilement modeler l’institution militaire pour mieux gouverner ». Mais c’est finalement cette même armée qu’il a voulu instrumentaliser qui a fini par se retourner contre lui et mettre un terme à son règne.