Avec Zemmour probable candidat, la présidentielle 2022, à droite toute?
17:26 17.09.2021 (Mis à jour: 16:12 19.11.2021)
© AFP 2024 LUDOVIC MARINDes affiches «Zemmour président» à Paris
© AFP 2024 LUDOVIC MARIN
S'abonner
L’hypothèse d’une candidature Zemmour électrise le débat politique et inquiète en haut lieu du côté du RN et de LR. Le polémiste parviendra-t-il à imposer ses sujets de prédilection en 2022? Éléments de réponse.
«Depuis qu’il y a une rumeur de ma candidature, tout le monde se met à parler comme moi». La petite phrase est signée Éric Zemmour. S’il n’a pas (encore) confirmé sa candidature à l’élection présidentielle, le polémiste en a toutefois posé les jalons. «Celui qui gagne la Présidentielle, c’est celui qui impose sa question» et qui «a la réponse», a-t-il ainsi affirmé au micro de RTL. L’essayiste en est persuadé: l’élection présidentielle de 2022 se jouera sur le thème de l’immigration. «Ça fait 20 ans qu’aucune Présidentielle ne se fait là-dessus», alors que c’est pourtant une «question fondamentale qui taraude les Français», veut-il croire.
«Les thèmes de la sécurité et de l’immigration sont depuis longtemps centraux dans les campagnes présidentielles, ils le seront encore en 2022», reconnaît Pierre Bréchon, professeur émérite de science politique, au micro de Sputnik.
Initialement regardée avec une indifférence affectée, la (probable) candidature d’Éric Zemmour semble en tout cas inquiéter une bonne partie de la droite. «Le jour où le point de bascule entre Marine Le Pen et Éric Zemmour se produira dans les sondages –et il se produira–, le camp patriote se rangera derrière lui et Marine sera finie», nous confie sous couvert d’anonymat un ancien cadre du Rassemblement national, séduit par la candidature du polémiste. La dynamique semble en tout cas profiter à l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot (éd. Rubempré), qui gagne trois points dans le dernier baromètre Harris Interactive, publié ce jeudi 16 septembre. Désormais crédité de 10% d’intentions de vote, Éric Zemmour chipe trois points à Marine Le Pen (à 19% dans l’hypothèse où Zemmour serait candidat, contre 22% sans lui) et se permet même de prendre un point à Xavier Bertrand et un autre à Emmanuel Macron.
15 Septembre 2021, 13:14
«Ils sont tous terrorisés par Zemmour»
À tel point que du côté du RN, on n’hésite plus à égratigner l’écrivain-polémiste. «Il ne me semble pas aujourd’hui prêt à faire les compromis nécessaires pour gagner», juge ainsi sur BFMTV Robert Ménard, élu à Béziers avec le soutien du RN. «Souvent Ménard varie, bien fol qui s’y fie», lui a répliqué Zemmour sur le plateau de France 2. «Le véritable “suicide français”, c’est la division du camp national», déclarait de son côté Marine Le Pen dans les colonnes du Figaro, dans une allusion à peine voilée à son potentiel rival.
Même son de cloche chez Les Républicains. «C’est un grand diviseur. Ses propos sont monstrueux, l’histoire des prénoms [M. Zemmour veut interdire les prénoms étrangers, ndlr], ça en dit long…», assène Xavier Bertrand. «Je pense qu’il n’est pas qualifié pour présider la République et pour devenir chef de l’État, parce que je pense que sur le fond, le projet qu’il porte n’est pas de nature à réconcilier les Français», explique sur France Info Guillaume Larrivé, député LR de l’Yonne. «En réalité, ils sont tous terrorisés par Zemmour», glisse à micro fermé un autre ex-cadre local du RN, rompu à l’exercice des campagnes électorales.
De fait, Éric Zemmour pourrait profiter d’un alignement des planètes en 2022. Chez les LR, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, deux figures de l’aile droite du parti, ont renoncé à se porter candidats. De son côté, la présidente du Rassemblement national tente de lisser au maximum son image et d’apparaître comme la candidate la plus crédible à droite. «Marine Le Pen se “chiraquise” de plus en plus et n’est plus du tout perçue comme la candidature légitime du camp patriote. Elle ne pourra jamais gagner et ça, les militants et les électeurs du RN le savent très bien», insiste l’ancien cadre local du RN.
Une «droitisation» de l’électorat français?
Reste une question, plus théorique, mais dont la réponse pourrait bien conditionner l’élection présidentielle: la société française penche-t-elle de plus en plus à droite? Selon une étude de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) réalisée en mai dernier, la proportion de Français se situant à droite de l’échiquier politique «s’est accrue de manière continue, passant de 33% en 2017 à 38% en 2021». Sur la même période, la proportion des citoyens se situant à gauche est quant à elle restée stable (25% en 2017 et 24% en 2021).
«On constate en effet que les partisans et sympathisants des partis de gauche sont à la baisse. Dès 2017, l’électorat potentiel de la gauche au sens large s’est réduit à hauteur de 30% environ. Ce n’est donc pas un phénomène nouveau», observe le Pr Pierre Bréchon.
Dans le détail, l’étude de la Fondapol montre notamment que 63% des Français se déclarent réfractaires à l’ouverture sur le plan migratoire. 62% des personnes interrogées estiment que l’islam «représente une menace pour la République». Contre toute attente, 45% des sympathisants de gauche partagent cette opinion (55% des sympathisants PS, 48% de ceux du PCF et de LFI, et 42% de ceux d’EELV).
«C’est un chiffre assez élevé. Une peur de l’islam s’est développée en France depuis une vingtaine ou une trentaine d’années. Celle-ci a déjà été porteuse pour l’extrême droite, plus que pour la droite d’ailleurs. C’est une préoccupation qui fait dériver des gens de gauche vers des thématiques plus droitières», fait remarquer Pierre Bréchon.
Islam, sécurité, immigration, identité… Autant de thématiques sur lesquelles Éric Zemmour prend régulièrement parti. De là à dire qu’il pourrait mobiliser un électorat très large sur ces sujets en 2022? Frédéric Gonthier, professeur de science politique à Sciences Po Grenoble, n’y croit pas.
«L’effet des campagnes politiques est plus limité qu’on ne le croit. Seuls les électeurs les plus volatiles et les moins intéressés par la politique y sont sensibles; les autres changent peu de positionnement politique. Les campagnes renforcent plutôt qu’elles ne convertissent les positions des électeurs», analyse le chercheur au laboratoire «Pacte».
«Surtout dans un contexte de forte abstention où les plus mobilisés sont les plus politisés, et donc aussi les moins susceptibles de changer d’avis», renchérit notre interlocuteur.
«Le centre de gravité idéologique de la société française est plutôt à gauche»
Car rien ne dit –pour l’heure– que l’élection se jouera exclusivement sur des thématiques marquées à droite. «L’écologie sera à n’en pas douter un élément important de la campagne. Or, sur ce sujet, la gauche est traditionnellement plus porteuse que la droite», relève Pierre Bréchon. Et quand bien même les sujets régaliens accapareraient l’attention médiatique pendant la campagne, ce ne serait pas un déterminant lors du scrutin, prolonge Frédéric Gonthier. «Il y a effectivement un glissement vers la droite de l’offre politique, notamment sur les questions culturelles et identitaires. Mais ce n’est pas parce que certains partis de gauche droitisent leur discours que leur électorat suit la même tendance», avance le chercheur.
Si elle se confirmait, la candidature d’Éric Zemmour renforcerait en tout cas une droite radicale déjà très représentée électoralement. «La présence d’un bloc de droite radicale de l’ordre de 30% (si l’on additionne les intentions de vote Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignan) rend la précampagne assez inédite», souligne Frédéric Gonthier. Mais pour le chercheur, la supposée «droitisation» de l’électorat serait un trompe-l’œil.
«La jeunesse étant peu mobilisée électoralement tandis que les seniors plus conservateurs boudent moins les urnes, cela conduit à un paradoxe: l’électorat français penche à droite, mais le centre de gravité idéologique de la société française est plutôt à gauche», estime l’auteur de «L’État providence face aux opinions publiques» (Éd. PUG).
«La société française est marquée par le libéralisme des mœurs, avec l’idée de liberté individuelle dans tous les domaines de la vie», abonde Pierre Bréchon. Reste que le sempiternel clivage gauche/droite n’est peut-être plus tout à fait pertinent aux yeux des Français. L’étude «Fractures françaises» de l’IPSOS en septembre 2020 révélait que 71% des Français jugeaient «dépassées» les notions de droite et de gauche. «Ceci s’explique par une raison simple: les Français n’ont pas observé tellement de différences entre des gouvernements de gauche et des gouvernements de droite lorsqu’ils ont été au pouvoir», décrypte Pierre Bréchon. «Mais les Français estiment toujours qu’il y a des idées de droite et des idées de gauche», poursuit le chercheur en sciences politiques.
Reste à savoir qui pour les incarner aux yeux des Français en 2022. Pour notre ancien cadre local du RN, la question ne fait pas un pli à droite:
«Zemmour va mettre Marine Le Pen à 10% et pourrait même se retrouver en tête au premier tour.»