Éric Zemmour, «intellectuel de salon» ou dynamiteur de la droite en 2022?
15:54 07.09.2021 (Mis à jour: 16:10 19.11.2021)
© AFP 2024 JOEL SAGETLe polémiste et écrivain Eric Zemmour, avril 2021
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Alors qu’il s’apprête à publier «La France n’a pas dit son dernier mot», Éric Zemmour continue d’être testé par les instituts de sondage. Verdict: il pourrait bien jouer les trouble-fête en 2022. Frédéric Saint Clair, politologue, et Stanislas Rigault, président de Génération Z, s’opposent sur la capacité du polémiste à rassembler la droite.
«Un candidat attrape-tout.» C’est ainsi que Frédéric Dabi, directeur de l’Ifop, qualifie Éric Zemmour. Si le polémiste ne s’est pas encore déclaré dans la course à l’Élysée, sa candidature ne semble plus faire l’ombre d’un doute. Ce dimanche 5 septembre, un sondage Ifop-Fiducial pour LCI et Le Figaro crédite Éric Zemmour de 7% d’intentions de vote au premier tour. Si l’auteur du Suicide français ne progresse pas significativement, voire baisse légèrement dans les sondages, il ferait néanmoins perdre 2 points à Xavier Bertrand. Et rallierait 14% de l’électorat filloniste de 2017.
«Je vois une très belle dynamique: Éric Zemmour n’est toujours pas candidat et il arrive à faire des scores équivalant à ceux de Jean-Luc Mélenchon, dont c’est la troisième participation à une élection présidentielle», se félicite au micro de Sputnik Stanislas Rigault, président de Génération Z, un mouvement de jeunes soutiens à Éric Zemmour.
En outre, les désistements de Laurent Wauquiez et de Bruno Retailleau, deux figures de l’aile droite des Républicains, pourraient élargir le couloir dévolu au polémiste. «Avec les LR qui n’ont toujours pas désigné leur candidat, il y a un espace qui peut s’ouvrir pour Éric Zemmour: il ne reste que des candidats de centre droit chez les LR», observe Stanislas Rigault.
Une «rhétorique qui peut séduire»
Tant et si bien que, à droite, on commence à s’agiter autour de la candidature du «Z», ainsi que le surnomment ses soutiens. «Il peut devenir le candidat des déçus de la droite et des orphelins de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. Ce qu’il disait il y a cinq ans était horrifiant; ce qu’il disait il y a deux ans était stupéfiant; ce qu’il dit aujourd’hui est dans l’air du temps! De toute façon, à la fin, on va perdre, on n’a aucune chance», confie en off une figure du parti Les Républicains au magazine Le Point.
Quelques remarques pour nuancer le sondage Ipsos qui vient de sortir et donne Eric Zemmour à 8%. Il y a quelques choix méthodologiques qui, selon moi, devraient conduire à nuancer les conclusions que l'on tire de cette étude. pic.twitter.com/QdBnN8kRAY
— Hadrien Mathoux (@hadrienmathoux) September 3, 2021
Surtout, selon le baromètre de l’IFOP, le futur ex-chroniqueur du Figaro obtient le même score auprès des catégories populaires que supérieures (7% dans les deux cas). «On a rarement vu des hommes politiques toucher de façon équivalente ces deux catégories. Éric Zemmour a sa rhétorique qui peut séduire», précise au Figaro Frédéric Dabi. «C’est quelque chose qu’il peut faire. Et surtout qu’il est le seul à pouvoir faire. Les propos d’Éric Ciotti le prouvent», s’enthousiasme Stanislas Rigault. Le député des Alpes-Maritimes a déclaré sur RTL ce dimanche 5 septembre qu'en cas de second tour entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour, il voterait pour le second. Un signe que certains du côté de LR seraient prêts à franchir le Rubicon et à rallier l’essayiste?
«Je pense que les gens vont se rendre compte qu’Éric Zemmour n’est pas un si petit candidat que cela et qu’il a une vraie base. On espère que cela va encourager des personnalités et des militants à nous rejoindre», glisse Stanislas Rigault.
Pour le politologue Frédéric Saint Clair en revanche, la capacité de Zemmour à séduire aussi bien l’électorat LR que RN est chimérique. «Cette jonction est un mythe. Les préoccupations des deux blocs ne sont pas compatibles. Éric Zemmour peut toucher une partie du “bloc populaire” pour certaines raisons, et une partie du “bloc bourgeois” ou “intellectuel” pour d’autres», avance-t-il à notre micro.
«Zemmour sera contraint comme les autres de segmenter son discours»
De fait, si Éric Zemmour grappille des voix un peu partout à droite (Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Xavier Bertrand, Jean-Frédéric Poisson), le fait qu’il ne soit pas encore –officiellement– entré en campagne joue en sa faveur, estime l’analyste politique.
«N’étant pas encore un candidat déclaré, Éric Zemmour ne s’est toujours pas aventuré sur un certain nombre de sujets qui sont des lieux communs concernant la conduite du pays. S’il décide de devenir un homme politique, Zemmour sera contraint comme les autres de segmenter son discours afin de répondre aux attentes des différentes fractions de la population», prédit le politologue.
En attendant de dévoiler un éventuel programme présidentiel, Éric Zemmour a choisi de maintenir sa participation à l’émission «Face à l’info» sur CNews. Une présence quotidienne qui fait d’ailleurs grincer des dents chez certains politiques.
Je vous annonce le début de ma tournée en France.
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) September 4, 2021
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Un Français sur cinq ne connaît pas Éric Zemmour
Dans une lettre adressée au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le 2 septembre dernier, le député écologiste Matthieu Orphelin a demandé la suspension des chroniques d'Éric Zemmour sur CNews. «Qu'il profite de son statut de chroniqueur pour disposer d’une telle visibilité médiatique en précampagne est une première en France. Cela ne peut pas perdurer», s’insurge ainsi le transfuge de LREM. Mais, pour Frédéric Saint Clair, Éric Zemmour risque surtout de souffrir de l’image d’«intellectuel de salon» qui lui est parfois accolée. «On parle d'un chroniqueur, d'un journaliste polémiste qui n'est même pas candidat pour l'instant», a sèchement rétorqué au micro de France Info Michel Barnier, candidat LR à l’investiture, au sujet de son potentiel rival. Un faux débat, estime Stanislas Rigault:
«Le jour où il sera candidat, Éric Zemmour aura accès à tous les médias. L’élection présidentielle sera pour lui l’occasion de s’adresser à tous les Français. Je suis persuadé que les gens qui ne connaissent pas encore Éric Zemmour sont davantage des gens de droite que de gauche, donc susceptibles d’élargir son électorat», ose-t-il espérer.
Selon le baromètre Elabe paru le 2 septembre dernier, un Français sur cinq (19%) dit avoir une «image positive» du polémiste. A l’inverse, 61% des personnes interrogées disent avoir de lui une image «négative» de lui et près d'un sur deux (47 %) une image «très négative». Enfin, 1 personne sur 5 dit «ne pas connaître» l’écrivain.
«Même s’il est populaire depuis un an ou deux, Zemmour reste en réalité assez peu connu. Un million de téléspectateurs, ça ne représente finalement pas grand-chose sur 45 millions d’électeurs. Par ailleurs, je ne suis pas sûr qu’il parle tant que ça à la France périphérique, contrairement à Marine Le Pen», avance Frédéric Saint Clair.
La présidente du Rassemblement national, quant à elle, se maintient pour l’heure autour de 23-24% dans les intentions de vote. Et ce malgré les attaques frontales du polémiste, qui déclarait fin août lors d’un déplacement en Provence que «tout le monde a compris au RN que Marine Le Pen ne gagnera jamais». Dans le camp mariniste, on tente en tout cas de minimiser le phénomène Zemmour. «Quand il n’aura plus CNews, il n’y aura plus de Zemmour. Il va mettre un pied à terre et se faire lapider. Il sera politiquement flingué», estime dans Le Monde l’eurodéputé Philippe Olivier, conseiller spécial de Marine Le Pen.
«Zemmour veut rejouer le coup de Macron en 2017»
«Les socles idéologiques de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour sont totalement compatibles. Ils se superposent presque entièrement! En réalité, son électorat est celui de Marine Le Pen», assure pourtant Frédéric Saint Clair. Comment expliquer dès lors la faible percée de l’éditorialiste dans l’électorat frontiste? Un début de réponse se situe peut-être dans l’absence totale d’expérience politique d’Éric Zemmour, journaliste politique de formation, qui n’a de fait jamais été élu.
«Éric Zemmour a un point commun avec Emmanuel Macron: il s’apprête à devenir candidat à la présidentielle sans avoir été élu auparavant. Cela va finir par lui porter préjudice. Les gens se sont bien rendu compte que les non-élus, c’était d’abord de l’amateurisme», veut croire Saint Clair.
Ironiquement, la trajectoire politique d’Éric Zemmour pourrait bien ressembler à celle de celui qu’il conspue régulièrement, Emmanuel Macron. «Zemmour veut rejouer –à droite et en plus difficile– le coup de Macron en 2017», glisse ainsi le politologue. Bien décidé à profiter des atermoiements du camp LR et de la déconvenue du RN aux régionales, Zemmour pourrait être dès lors tenté de jouer les candidats «disruptifs» à droite, imagine notre interlocuteur. Reste à savoir si le polémiste parviendra à séduire les abstentionnistes. Alors que près de deux électeurs sur trois ne s’étaient pas rendus aux urnes lors des dernières élections régionales, ce potentiel de voix s’annonce comme la grande inconnue de la course à l’Élysée.
«L’abstention pour l’élection présidentielle ne sera pas la même que pour les régionales. Mais parmi cette abstention résiduelle, Zemmour a une carte à jouer car c’est un électorat qui aspire à quelque chose de radical. De son côté, Marine Le Pen n’a plus prise sur ces abstentionnistes, car elle s’est d’une certaine manière “normalisée”», conclut Frédéric Saint Clair.