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Précarité, inégalités et corruption: l'Afrique du Sud, une bombe à retardement?
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Le Président sud-africain Ramaphosa a été auditionné de nouveau devant la commission chargée d’enquêter sur la corruption des années Zuma. Si la question revêt... 13.08.2021, Sputnik Afrique
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C’est un Cyril Ramaphosa coopératif et serein qui a répondu, ce mercredi 11 août 2021, à la salve de questions provenant des membres de la commission chargée de faire la lumière sur la corruption généralisée qui a marqué l’ère de l’ancien Président Jacob Zuma (2009-2018). Une position de témoin inconfortable pour celui qui y a occupé le poste de vice-Président de mai 2014 à février 2018. Ce faisant, il ne pouvait donc pas ignorer que le gouvernement auquel il appartenait s’adonnait à des actes relevant de la corruption, selon les lois sud-africaines.À la différence de son prédécesseur qui a défié plus d’une fois la commission en refusant d’y comparaître, Cyril Ramaphosa s’est prêté au jeu des questions-réponses non sans difficulté. Interrogé sur les décisions qu’il avait ou aurait dû prendre face à la corruption ambiante qui régnait à l’époque au sommet de l’État, il a déclaré avoir exploré plusieurs options: démissionner; parler; acquiescer et encourager; rester et garder le silence ; ou rester et résister. Selon lui, démissionner de son poste aurait «considérablement entravé» sa capacité «à contribuer à mettre fin à la corruption», a-t-il fait valoir. Affronter le mal de l’intérieur du système lui a paru être la meilleure solution pour «résister à certains abus du pouvoir les plus flagrants et les plus évidents».Des propos qui n’ont pas convaincu une partie de l’opposition, laquelle a reproché à Ramaphosa d’être évasif sur un certain nombre de sujets. John Steenhuisen, le chef de l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition, est de ceux qui ont critiqué sa posture. «C’est une bonne chose que le Président comparaisse devant la commission», a-t-il déclaré. «Mais sur un certain nombre de questions très précises, il est resté vague. Et malgré le remaniement qu’il a opéré la semaine dernière, on voit bien qu’il n’est pas prêt à faire un grand ménage», a-t-il poursuivi dans une déclaration aux médias sud-africains.Le passage du Président Ramaphosa devant la commission intervient près de trois semaines après plusieurs jours de violences résultant de l’incarcération de son prédécesseur, Jacob Zuma, 78 ans, le 8 juillet. Ce dernier a refusé de comparaître devant la commission et a été condamné à 15 mois de prison pour outrage à la justice.Quand la rue grondeL’annonce de la condamnation de l’ancien chef de l'État a provoqué des tensions et des heurts en pays zoulou, sa région natale située à l'est de l’Afrique du Sud. Les violences se sont ensuite propagées à Johannesburg, principalement dans les quartiers les plus défavorisés, perturbant l’accès aux services de santé, à la nourriture, au carburant et aux produits essentiels. Le gouvernement a annoncé un total de 337 morts, ce qui en fait les violences les plus meurtrières qu'a connues le pays depuis la fin de l'Apartheid au début des années 1990.Selon le Président Ramaphosa, les violences auraient été «planifiées» par des gens qu’il n’a pas nommément désignés. Il y a eu de nombreuses arrestations, et depuis, la situation est revenue au calme...Si la condamnation de Jacob Zuma constitue l’élément déclencheur des violences et des pillages qui s’en sont suivis, il n’en demeure pas moins que la racine du mal réside dans l’état de précarité où vivent des millions de Noirs sud-africains. Le fait que les violences se soient concentrées dans les quartiers les plus déshérités est une indication claire que le moteur de la révolte reste la pauvreté. En outre, l’arrestation de l’ancien Président n’a fait qu’offrir aux laissés-pour-compte l’opportunité de s’offrir ce qu’ils n’auraient pu obtenir dans des conditions normales.À la différence des violences xénophobes qui ont frappé le pays par le passé, les violences de juillet dernier ciblaient principalement les grandes surfaces, les restaurants et autres magasins. Des actes de pillage qui se sont déroulés sur fond de chômage endémique et de nouvelles restrictions relatives à la pandémie de Covid-19.Cette dernière a eu un impact majeur sur l'économie sud-africaine. La Banque mondiale estime que l’économie s’est contractée de 7% en 2020, car la pandémie a pesé lourdement sur la demande extérieure et l’activité intérieure, alors que le gouvernement mettait en œuvre des mesures de confinement. Cette récession sévère devrait accroître la pauvreté de deux millions de personnes, toujours selon la Banque mondiale. Dans un pays où des millions de gens cherchaient déjà à survivre avant le coronavirus, c’est une catastrophe.Mais par-delà la pandémie, la colère et les actes de pillages auxquels le pays vient d’être confronté restent la conséquence d’une gestion problématique de l’ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir. Une gestion marquée par la corruption, qui est loin d’être un phénomène nouveau en Afrique du Sud. Lors de sa première comparution devant la commission en avril dernier, Cyril Ramaphosa avait admis qu'elle avait pris racine au sein même de l’ANC, qui gouverne le pays depuis 1994, après la fin de l’Apartheid.Un extrait de l'audition du Président Ramaphosa devant la commission en avril dernierInterroger l’héritage de l’ANCEn Afrique du Sud, la population noire se réfère davantage à l’arrivée au pouvoir de l’ANC en 1994 qu’à la fin officielle de l’Apartheid en juin 1991. Pour nombre d’entre eux, cette arrivée aux affaires des dirigeants noirs, qui avaient combattu le régime raciste blanc de l’époque, devait marquer le début d’une nouvelle ère pour eux. Nelson Mandela, figure historique de la lutte anti-apartheid et premier Président démocratiquement élu du pays, avait fait savoir que le logement pour tous constituait une «promesse inviolable».Trente ans plus tard, la pauvreté y reste noire. Il y a certes eu des améliorations dans certains secteurs, mais les inégalités raciales et les disparités restent importantes. Ce qui a souvent provoqué des centaines de manifestations, souvent pacifiques, chaque année. L’une des explications de cette situation tient aux décisions prises par les leaders de l’ANC au lendemain de l’abolition de l’Apartheid. Souvent sous-estimées dans l’analyse de la situation que connaît l’Afrique du Sud aujourd’hui, celles-ci permettent pourtant de comprendre l’orientation qu’a prise le pays dès l’arrivée de ce parti au pouvoir.Une fois aux affaires en effet, ses dirigeants ont rapidement mis de côté la «Charte pour la liberté» (document résumant les grandes lignes du programme politico-économique de l’ANC) pour adopter, sur conseil de certains grands industriels du pays tels que les Oppenheimer, un plan économique conforme aux desiderata du milieu des affaires. Bien plus encore, Nelson Mandela prit soin, lors de sa première interview en tant que chef de l'État, de se distancier publiquement de ses déclarations précédentes en faveur des nationalisations. Ce qui lui a valu d’être comparé à Margaret Thatcher par le Wall Street Journal.En clair, l’ANC était engagé sur la voie du libéralisme en total déphasage avec les promesses faites par Mandela à son peuple au moment de son élection. S’il est vrai que certaines de ses politiques ont permis de sortir un certain nombre de Noirs sud-africains de la pauvreté, il n’en demeure pas moins que sa gestion du pouvoir, comme celle de tous ses successeurs, reste profondément marquée par la persistance d’un système inégalitaire. Dominé par les adeptes de la mondialisation qui contrôlaient et contrôlent encore l’économie nationale, ce système a fait et continue de faire la part belle à une minorité de privilégiés, tout en favorisant l’émergence d’une bourgeoisie noire déconnectée des réalités des quartiers populaires. Une situation qui, en elle-même, constitue une vraie bombe à retardement pour l’avenir de l’Afrique du Sud...
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Précarité, inégalités et corruption: l'Afrique du Sud, une bombe à retardement?
16:02 13.08.2021 (Mis à jour: 16:56 23.11.2021) Le Président sud-africain Ramaphosa a été auditionné de nouveau devant la commission chargée d’enquêter sur la corruption des années Zuma. Si la question revêt une importance aux yeux de l'opinion, le problème de fond reste la pauvreté de la population majoritairement noire. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de la région.
C’est un Cyril Ramaphosa coopératif et serein qui a répondu, ce mercredi 11 août 2021, à la salve de questions provenant des membres de la commission chargée de faire la lumière sur la corruption généralisée qui a marqué l’ère de l’ancien Président Jacob Zuma (2009-2018). Une position de témoin inconfortable pour celui qui y a occupé le poste de vice-Président de mai 2014 à février 2018. Ce faisant, il ne pouvait donc pas ignorer que le gouvernement auquel il appartenait s’adonnait à des actes relevant de la corruption, selon les lois sud-africaines.
À la différence de son prédécesseur qui a défié plus d’une fois la commission en refusant d’y comparaître, Cyril Ramaphosa s’est prêté au jeu des questions-réponses non sans difficulté. Interrogé sur les décisions qu’il avait ou aurait dû prendre face à la corruption ambiante qui régnait à l’époque au sommet de l’État, il a déclaré avoir exploré plusieurs options: démissionner; parler; acquiescer et encourager; rester et garder le silence ; ou rester et résister. Selon lui, démissionner de son poste aurait «considérablement entravé» sa capacité «à contribuer à mettre fin à la corruption», a-t-il fait valoir. Affronter le mal de l’intérieur du système lui a paru être la meilleure solution pour «résister à certains abus du pouvoir les plus flagrants et les plus évidents».
Des propos qui n’ont pas convaincu une partie de l’opposition, laquelle a reproché à Ramaphosa d’être évasif sur un certain nombre de sujets. John Steenhuisen, le chef de l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition, est de ceux qui ont critiqué sa posture.
«C’est une bonne chose que le Président comparaisse devant la commission», a-t-il déclaré.
«Mais sur un certain nombre de questions très précises, il est resté vague. Et malgré le remaniement qu’il a opéré la semaine dernière, on voit bien qu’il n’est pas prêt à faire un grand ménage», a-t-il poursuivi dans une déclaration aux médias sud-africains.
Le passage du Président Ramaphosa devant la commission intervient près de trois semaines après plusieurs jours de violences résultant de l’incarcération de son prédécesseur, Jacob Zuma, 78 ans, le 8 juillet. Ce dernier a refusé de comparaître devant la commission et a été condamné à 15 mois de prison pour outrage à la justice.
L’annonce de la condamnation de l’ancien chef de l'État a provoqué des tensions et des heurts en pays zoulou, sa région natale située à l'est de l’Afrique du Sud. Les violences se sont ensuite propagées à Johannesburg, principalement dans les quartiers les plus défavorisés, perturbant l’accès aux services de santé, à la nourriture, au carburant et aux produits essentiels. Le gouvernement a annoncé un total de 337 morts, ce qui en fait les violences les plus meurtrières qu'a connues le pays
depuis la fin de l'Apartheid au début des années 1990.
Selon le Président Ramaphosa, les violences auraient été «planifiées» par des gens qu’il n’a pas nommément désignés. Il y a eu de nombreuses arrestations, et depuis, la situation est revenue au calme...
Si la condamnation de Jacob Zuma constitue l’élément déclencheur des violences et des pillages qui s’en sont suivis, il n’en demeure pas moins que la racine du mal réside dans l’état de précarité où vivent des millions de Noirs sud-africains. Le fait que les violences se soient concentrées dans les quartiers les plus déshérités est une indication claire que le moteur de la révolte reste la pauvreté. En outre, l’arrestation de l’ancien Président n’a fait qu’offrir aux laissés-pour-compte l’opportunité de s’offrir ce qu’ils n’auraient pu obtenir dans des conditions normales.
À la différence des violences xénophobes qui ont frappé le pays par le passé, les violences de juillet dernier ciblaient principalement les grandes surfaces, les restaurants et autres magasins. Des actes de pillage qui se sont déroulés sur fond de chômage endémique et de nouvelles restrictions relatives à la pandémie de Covid-19.
Cette dernière a eu un impact majeur sur l'économie sud-africaine. La Banque mondiale estime que
l’économie s’est contractée de 7% en 2020, car la pandémie a pesé lourdement sur la demande extérieure et l’activité intérieure, alors que le gouvernement mettait en œuvre des mesures de confinement. Cette récession sévère devrait accroître la pauvreté de deux millions de personnes, toujours selon la Banque mondiale. Dans un pays où des millions de gens cherchaient déjà à survivre avant le coronavirus, c’est une catastrophe.
Mais par-delà la pandémie, la colère et les actes de pillages auxquels le pays vient d’être confronté restent la conséquence d’une gestion problématique de l’ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir. Une gestion marquée par la corruption, qui est loin d’être un phénomène nouveau en Afrique du Sud. Lors de sa première comparution devant la commission en avril dernier, Cyril Ramaphosa avait admis qu'elle avait pris racine au sein même de l’ANC, qui gouverne le pays depuis 1994, après la fin de l’Apartheid.
Un extrait de l'audition du Président Ramaphosa devant la commission en avril dernier
Interroger l’héritage de l’ANC
En Afrique du Sud, la population noire se réfère davantage à l’arrivée au pouvoir de l’ANC en 1994 qu’à la fin officielle de l’Apartheid en juin 1991. Pour nombre d’entre eux, cette arrivée aux affaires des dirigeants noirs, qui avaient combattu le régime raciste blanc de l’époque, devait marquer le début d’une nouvelle ère pour eux. Nelson Mandela, figure historique de la lutte anti-apartheid et premier Président démocratiquement élu du pays, avait fait savoir que le logement pour tous constituait une «promesse inviolable».
Trente ans plus tard, la pauvreté y reste noire. Il y a certes eu des améliorations dans certains secteurs, mais les inégalités raciales et les disparités restent importantes. Ce qui a souvent provoqué des centaines de manifestations, souvent pacifiques, chaque année. L’une des explications de cette situation tient aux décisions prises par les leaders de l’ANC au lendemain de l’abolition de l’Apartheid. Souvent sous-estimées dans l’analyse de la situation que connaît l’Afrique du Sud aujourd’hui, celles-ci permettent pourtant de comprendre l’orientation qu’a prise le pays dès l’arrivée de ce parti au pouvoir.
Une fois aux affaires en effet, ses dirigeants ont rapidement mis de côté la «Charte pour la liberté» (document résumant les grandes lignes du programme politico-économique de l’ANC) pour adopter, sur conseil de certains grands industriels du pays tels que les Oppenheimer, un plan économique conforme aux desiderata du milieu des affaires. Bien plus encore, Nelson Mandela prit soin, lors de sa première interview en tant que chef de l'État, de se distancier publiquement de ses déclarations précédentes en faveur des nationalisations. Ce qui lui a valu d’être comparé à Margaret Thatcher par le Wall Street Journal.
En clair, l’ANC était engagé sur la voie du libéralisme en total déphasage avec les promesses faites par Mandela à son peuple au moment de son élection. S’il est vrai que certaines de ses politiques ont permis de sortir un certain nombre de Noirs sud-africains de la pauvreté, il n’en demeure pas moins que sa gestion du pouvoir, comme celle de tous ses successeurs, reste profondément marquée par la persistance d’un système inégalitaire. Dominé par les adeptes de la mondialisation qui contrôlaient et contrôlent encore l’économie nationale, ce système a fait et continue de faire la part belle à une minorité de privilégiés, tout en favorisant l’émergence d’une bourgeoisie noire déconnectée des réalités des quartiers populaires. Une situation qui, en elle-même, constitue une vraie bombe à retardement pour l’avenir de l’Afrique du Sud...