Québec: la vaccination en contrepartie de vols en jet privé, voyages et bourses d’études crée la polémique
11:57 04.08.2021 (Mis à jour: 19:56 03.01.2024)
© AFP 2024 LOIC VENANCEUne infirmière prépare une injection
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Au Québec, la vaccination ne progresse toujours pas assez vite selon le gouvernement provincial. Entre autres incitations, une (sic) «loto-vaccin» a été lancée à la mi-juillet, puis bonifiée tout récemment. Mais, selon Frankie Bernèche, professeur de psychologie, les mesures du genre sont contre-productives, car «les gens se sentent infantilisés».
Le gouvernement du Québec prend-il ceux qui hésitent à se faire vacciner pour des «idiots»? C’est du moins le point de vue de Frankie Bernèche, professeur de psychologie au collège d'enseignement général et professionnel (Cégep) de Saint-Jean-sur-Richelieu. À notre micro, il dénonce la stratégie de persuasion déployée en direction des sceptiques et autres «anti-vaccin»:
«Les mesures comme la loto-vaccin [féminin au Québec, ndlr] sont infantilisantes et paternalistes. Plus les gens se sentent pris pour des imbéciles, plus ils se braquent et font preuve de ce qui est appelé réactance en psychologie. […] La résistance au vaccin relève moins d’une opposition au produit comme tel que d’un réflexe cognitif face à ce qui est perçu comme quelque chose d’imposé et non choisi.»
L’enseignant constate que le «climat de peur» alimenté par certains médias pourrait aussi avoir favorisé cette «réactance» face à la vaccination.
«Sur certains plans, le ‘‘complotisme’’ est une réaction au sentiment de peur suscité durant la pandémie. On rejette une société de plus en plus aseptisée […] Les réfractaires au vaccin ne sont pas du tout idiots. Ils se sentent rabaissés et réagissent. La réactance est liée au sentiment de ne pas avoir le contrôle sur sa vie, d’être privé de son libre arbitre et de son autonomie», poursuit l’enseignant.
Chaque jour depuis des mois, ou presque, le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, rappelle aux Québécois l’importance de se faire doublement inoculer.
Un voyage en jet privé ajouté aux grands prix
Devant des résultats jugés insuffisants, à la mi-juillet, le gouvernement de François Legault a lancé en grande pompe une «loto-vaccin» pour inciter les gens à relever leur manche. Le concours est officiellement appelé «Gagner à être vacciné». Lors de son lancement, 72,3% des Québécois avaient reçu au moins une dose d’un vaccin contre le Covid-19, alors qu’ils sont 73,7% aujourd’hui.
Le 29 juillet, Québec a annoncé qu’il ajoutait un voyage vers une «destination soleil», une dizaine de vols gratuits et un trajet en jet privé dans la liste des prix mis en jeu par tirage au sort pour ceux qui ont reçu deux doses. Plus d’un million de Québécois se sont déjà inscrits à cette «loto-vaccin», dont les prix varient en fonction du nombre d’injections reçues. Quant à eux, les jeunes entre 12 et 17 ans qui ont reçu une dose peuvent espérer recevoir une bourse d’études de 10.000 dollars (6.725 euros), et ceux qui ont reçu deux doses, une bourse d’études de 20.000 dollars (14.445 euros).
Concours vaccinal « Gagner à être vacciné »!
— Christian Dubé (@cdube_sante) July 16, 2021
On veut récompenser les Québécois qui sont vaccinés et augmenter le taux de vaccination dans chacun de nos groupes d’âge.
Bonne chance à tous! pic.twitter.com/caxSTjyN9s
Malgré son esprit ludique, la loterie vaccinale n’est pas synonyme d’un apaisement des tensions. L’opposition d’une minorité à la vaccination est de plus en plus décriée au gouvernement, de même que dans les médias de la Belle Province.
«Le moment est venu pour le gouvernement de hausser le ton. […] Après plus d’un an et demi de pandémie, il y a des limites aux droits et libertés des récalcitrants qui risquent d’affecter le bien-être général des citoyens du Québec», tranche l’ex-députée Véronyque Tremblay, le 2 août dans «Le Journal de Montréal».
Loto en été, passeport vaccinal à la rentrée
Dans un article publié dans La Presse le 27 juillet dernier, Frankie Bernèche analyse ce mouvement d’opposition suscitant toujours plus la controverse. «Les gens ne s’opposent pas au vaccin, mais bien au fait qu’on leur demande d’être vaccinés. Et plus on met en place des mesures contraignantes, plus ils s’y opposeront», écrit-il.
Cependant, l’instauration d’un passeport vaccinal pour conditionner l’accès aux établissements comme les restaurants et les commerces apparaît comme la meilleure solution aux yeux du professeur de psychologie. Prévue pour le 1er septembre, cette mesure permettra, selon notre intervenant, d’atteindre un équilibre entre le laisser-faire et la vaccination obligatoire pour certaines catégories de personnes comme le personnel hospitalier, voire pour toute la population.
«Le passeport vaccinal laisse quand même un certain choix aux gens opposés à la vaccination. C’est une mesure plus respectueuse que la vaccination obligatoire. Le gouvernement prend ses responsabilités en matière sanitaire, mais évite d’adopter des mesures trop polarisantes qui ont finalement l’effet contraire au résultat escompté», conclut Frankie Bernèche.