En RDC, l’armée gangrenée par une mafia qui ne dit pas son nom

© AFP 2024 JOHN WESSELSDes soldats des Forces armées de République démocratique du Congo, octobre 2018
Des soldats des Forces armées de République démocratique du Congo, octobre 2018 - Sputnik Afrique, 1920, 30.07.2021
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Plusieurs officiers des Forces armées de la RDC ont été arrêtés pour détournement de fonds destinés aux militaires déployés dans l’est du pays dans le cadre de l’état de siège. Un phénomène qui gangrène l’armée et explique en partie son inefficacité. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.

Depuis la mi-juillet, l’inspection générale des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) a procédé à l’arrestation d’une dizaine de militaires soupçonnés d’avoir détourné des fonds destinés aux soldats déployés dans l’est du pays, notamment au Nord-Kivu et en Ituri, dans le cadre de l’état de siège. La dernière arrestation en date remonte au 27 juillet 2021. Six militaires, dont cinq officiers supérieurs basés dans la ville de Beni, dans le Nord-Kivu, ont été mis à la disposition de la justice militaire. Selon le porte-parole de l’inspection générale des FARDC, le major Gery Gbelo Pazonga, ils auraient détourné des fonds destinés aux militaires qui sont aux fronts.

​Une semaine auparavant, l’auditorat supérieur près la cour militaire de la province de l’Ituri avait appréhendé trois officiers, accusés de malversation dans la gestion des effectifs de l’armée. Selon le colonel Kumbu Ngoma, avocat général militaire à l’auditorat, ils auraient gonflé les effectifs militaires au sein des unités engagées dans les opérations contre les groupes armés en Ituri. Parmi les officiers appréhendés, il y a un lieutenant-colonel, directeur adjoint chargé de l’administration de la 32e région militaire et deux majors.

Les arrestations de ce genre se sont multipliées ces dernières semaines, révélant un mal profond auquel les FARDC sont confrontées.

Un phénomène ancien

Si le phénomène de détournement de fonds et de gonflement des effectifs des forces armées se pose avec acuité aujourd’hui sous la présidence de Félix Tshisekedi, il n’en demeure pas moins que le problème remonte à l’époque de son prédécesseur, Joseph Kabila. C’est sous son règne qu’ont été signés les accords de paix de Sun City, en Afrique du Sud, en 2003, pour mettre fin à la deuxième guerre du Congo. Ces accords prévoyaient la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et «la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée». Autrement dit, l’intégration des éléments armés issus des diverses rébellions dans les FARDC.

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La nécessité d’intégrer tous ces groupes armés dans les FARDC a constitué un défi non négligeable pour les autorités congolaises et les partenaires de la RDC en matière de gouvernance du secteur de la sécurité et de la gestion efficace des ressources de l’armée, surtout quand on sait que chaque mouvement avait intérêt à exagérer le nombre de ses combattants pour des raisons politico-militaires et financières.

Au début de la mission EUSEC (Mission de conseil et d’assistance de l’Union européenne en matière de réforme du secteur de la sécurité), un audit opérationnel avait été réalisé afin d’élaborer le futur programme de travail de la mission. L'évaluation avait identifié les mauvaises conditions de travail et de vie des troupes, ainsi qu'un système de collecte d'informations centralisé limité, comme une faiblesse clé plombant l'efficacité des FARDC.

Même si à l’époque les questions de gouvernance au sein de l’armée congolaise n’avaient pas été abordées, la mission EUSEC avait tout de même identifié des problèmes relatifs aux effectifs et à la gestion des salaires des militaires. Le premier recensement organisé au sein des FARC avait permis de découvrir plus de 70.000 soldats fantômes (c'est-à-dire des soldats qui recevaient un salaire, mais n’étaient pas en service actif, n’étaient pas enregistrés ou n’existaient tout simplement pas).

En dépit des mesures mises en place en termes de bancarisation, par exemple, pour éviter certaines malversations, le phénomène s’est amplifié avec le temps à cause, entre autres, de la mauvaise gouvernance et de l’affairisme de certains hauts gradés proches de Joseph Kabila...

Quand le Président dénonce

À son arrivée au pouvoir en janvier 2019, Félix Tshisekedi, qui avait promis de pacifier l’est de la RDC, semblait ne pas prendre la mesure du problème... jusqu’à l’instauration de l’état de siège, en mai dernier, avec pour objectif de mettre fin aux interminables violences qui secouent cette partie du territoire.

En effet, les dysfonctionnements observés au niveau des unités de l’armée déployées au Nord-Kivu et en Ituri ont suscité de nombreuses interrogations aussi bien dans l’opinion publique qu’au niveau du pouvoir. Comment comprendre que les FARDC, avec plus de 20.000 soldats, ne soient pas capables de mettre au pas des groupes armés qui excèdent à peine 700 hommes en termes d’effectifs?

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Durant son séjour dans l’est congolais, Félix Tshisekedi s’est aperçu que les effectifs déclarés des hommes de troupe n’étaient pas conformes à la réalité des faits. Alors que le gouvernement congolais avait déclaré en octobre 2019, au moment du lancement des opérations militaires contre les rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF), que les effectifs des FARDC dans la région avaient été doublés, passant de 11.000 à 21.000 hommes, on s’est aperçu que cela n’était pas le cas. En fait, il n’y avait que 9.000 soldats sur les 21.000 déclarés. Aux habitants de la ville martyre de Beni, Félix Tshisekedi dira alors avoir compris: «Il fallait un représentant du Président de la République qui soit militaire pour percer ces secrets, ces confidences, ces magouilles, disons-le comme ça, ces magouilles. Il y a des gens qui trouvent plaisir à jouer avec la vie des autres pour leurs propres intérêts».

Le défi de la réforme

La problématique des effectifs fictifs et du détournement des soldes des militaires constitue une énorme épine dans le pied du pouvoir congolais. Il permet également de comprendre pourquoi les FARDC se révèlent inefficaces dans la restauration de la stabilité dans les parties agitées de la République, notamment dans le Kivu et l’Ituri. Pourquoi les militaires sacrifieraient leurs vies pour un État qui ne se soucie pas de leurs conditions de vie?

À ce stade de la situation, Félix Tshisekedi semble s’être engagé à prendre le taureau par les cornes. Les audits et les missions de contrôle lancés par l’inspection générale de l’armée témoignent de la volonté de l’exécutif d’assainir les FARDC. Mais les défis restent énormes. Le phénomène de gonflement des effectifs et du détournement des soldes des militaires sont des maux qui, avec le temps, sont devenus une culture. C’est tout un réseau mafieux qui gangrène l’armée à tous les échelons. Le système de détournement organisé se nourrit de lui-même et s’étale à plusieurs niveaux de la hiérarchie militaire. Joseph Kabila fermait les yeux en échange de la loyauté de certains hauts gradés qui vivaient sur le dos de la bête. Félix Tshisekedi, qui est conscient qu’il ne peut compter sur la loyauté de tous au sein des FARDC pour le moment, devra user de tact pour mettre fin à ce système. Car bousculer cette mafia, c’est aussi prendre le risque de se mettre à dos des officiers supérieurs dont la loyauté et le patriotisme sont déjà sujets à caution.

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L’enjeu est aussi structurel. La RDC est pauvre. Elle n’a pas les moyens de ses ambitions. Du moins pour le moment. Le budget de l’exercice 2021 est de 6,9 milliards de dollars, soit une régression de 23,2% par rapport au budget de l’exercice 2020 chiffré à 10,99 milliards de dollars. Un budget à l’image du pays qui boucle ses fins du mois non sans difficultés. Un haut gradé gagne un salaire de misère qui varie entre 500 et 1.300 dollars selon le grade. Beaucoup usent de méthodes très peu orthodoxes pour se faire une santé financière. Tant que cette situation de précarité ne sera pas corrigée, la mafia, qui gangrène les FARDC tout en se nourrissant de la situation calamiteuse dans laquelle se trouve le pays, aura de beaux jours devant elle...

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