C’est un scandale qui tient en haleine les médias du monde entier, et l'Afrique subsaharienne n'est pas en reste. L’affaire Pegasus, du nom du puissant logiciel d’espionnage israélien utilisé par certains États pour espionner des journalistes, des militants des droits de l’homme, des personnalités et responsables politiques, voire des chefs d’État, continue de révéler ses petits secrets. Selon le consortium des médias internationaux - réunis au sein d'un réseau coordonnée par l'ONG Forbidden Stories et assisté par l'ONG Amnesty International - qui a révélé l’affaire, le Rwanda aurait mis sur écoute les conversations de hauts fonctionnaires et responsables politiques ougandais, burundais, congolais et sud-africains. Des révélations que les autorités rwandaises ont vivement contestées et qui risquent de mettre à mal les relations déjà problématiques entre Kigali et certains des pays susmentionnés.
WHO WAS TARGETED FROM RWANDA? - More than 3,500 phone numbers of activists, journalists, exiles, foreign politicians, and diplomats identified as having been targeted from Rwanda with Israeli NSO Pegasus spyware since 2016. Below is a sample from the global 50,000 total pic.twitter.com/RKVLbMVgfC
— The Chronicles (@ChroniclesRW) July 20, 2021
Multirécidiviste?
Il ne s'agit pas de la première fois que le Rwanda, petit pays enclavé d’Afrique de l’Est de 26.338 km2, se fait épingler dans une affaire d'espionnage.
En effet, depuis l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame en juillet 1994, le pays des mille collines s’est beaucoup investi dans l’espionnage, au point d’être considéré comme l’un des pays africains les plus avancés en la matière. L’actuel Président du Rwanda est lui-même un ancien du renseignement militaire ougandais, où il occupait le poste de directeur adjoint des services. Si le scandale qui a éclaté dans le sillage de l’affaire Pegasus surprend plus d’un, au Rwanda même ainsi que dans la région des Grands Lacs, il doit sûrement susciter des haussements d’épaules et des rires sous cape.
Il y a deux ans, le Financial Times révélait l’espionnage de plusieurs membres de l’opposition en exil à l’aide de Pegasus. Leurs téléphones et surtout leurs comptes WhatsApp avaient été pistés par les services rwandais à l’aide de ce puissant logiciel. Mis au point et vendu par le groupe israélien NSO basé à Herzliya et détenu en partie par un groupe de capital-investissement britannique appelé Novalpina Capital, Pegasus a été conçu pour s'introduire dans des téléphones portables et commencer à transmettre à des serveurs du monde entier l'emplacement du propriétaire, ses conversations cryptées, pour ne pas dire tout le contenu de l’appareil. Officiellement, le logiciel est destiné à lutter contre la grande criminalité et le terrorisme. Mais la réalité est aux antipodes de cette prétention.
À l’époque où le Financial Times avait révélé l’affaire, le Président Kagame avait réagi aux allégations en niant les faits, arguant qu’il n’avait pas assez de moyens pour s’offrir un tel logiciel…
Target it!
Seulement voilà! Son régime vient d’être pris la main dans le sac à en croire le consortium des médias internationaux et d'ONG qui a enquêté sur Pegasus et a eu accès à près de 50.000 numéros de téléphone potentiellement ciblés par le puissant logiciel. Parmi les personnes ciblées par les espions rwandais, il y a Carine Kanimba, la fille de l’opposant Paul Rusesabagina, incarcéré et jugé aujourd’hui à Kigali après avoir été kidnappé à Dubaï il y a quelques mois, des responsables politiques et militaires ougandais, burundais et congolais. Comme Alain-Guillaume Bunyoni, Premier ministre du Burundi, Joseph Ocwet et le général David Muhoozi, respectivement patron des renseignements extérieurs et ministre de l’Intérieur ougandais, ou encore Ruhakana Rugunda, qui était jusqu’à tout récemment le Premier ministre de l’Ouganda.
Caricatures sur le scandale de Pegasus qui éclabousse Kagame contre ses pairs Africains Museveni & Ramaphosa. Des incidents qui assombrissent le ciel à l'horizon de la diplomatie rwandaise. J'en ai profité pour actualiser l'album Rwanda sur Google Photos: https://t.co/wSVH8AJn6i pic.twitter.com/tIuS8WUjqX
— SIBOMANA Jean Bosco (@sibomanaxyz987) July 28, 2021
Selon le collectif du Projet Pegasus, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa figure également parmi les hautes personnalités africaines ciblées par les services rwandais via Pegasus. Dès l’annonce de la nouvelle, le gouvernement sud-africain n’a pas tardé à réagir en chargeant les agences de renseignement du pays de faire toute la lumière sur l’espionnage du portable personnel du Président Ramaphosa.
Il a enfin été établi par le Projet Pegasus que les services secrets rwandais ont espionné près de 3.500 téléphones à l’aide de ce logiciel depuis 2016.
Risque de tensions supplémentaires
Bien entendu, le Rwanda a vivement rejeté toutes les allégations le visant. «Ces fausses accusations font partie d’une campagne permanente visant à provoquer des tensions entre le Rwanda et d’autres pays, et à semer la désinformation sur le Rwanda au niveau national et international», a déclaré le gouvernement rwandais dans une déclaration adressée à l’équipe des journalistes qui a travaillé sur le Projet Pegasus.
L’affaire Pegasus pourrait ralentir le processus de normalisation engagé avec les pays susmentionnés - processus auquel le Rwanda tient beaucoup. Elle risque aussi de raviver les tensions entre Kigali et le trio Gitega-Kampala-Pretoria. C’est, en effet, une couche supplémentaire de suspicion qui s’ajoute dans les relations déjà problématiques entre ces capitales et Kigali. Certains États de la région des Grands Lacs ainsi que l’Afrique du Sud vont finir par se convaincre que le Rwanda n’est pas un partenaire fiable.