En cas de refus de se soumettre à la vaccination obligatoire, risque-t-on le licenciement? Oui, déclarent des députées. Non, corrigent les sénateurs. Possible, rétorque Élisabeth Borne, ministre du Travail, à peine 24 heures après l’adoption du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire par le Parlement.
«Historiquement, et depuis plus de 100 ans, la santé des salariés n’est pas sous le contrôle des patrons. C’est du ressort de la médecine du travail, indépendante juridiquement, et qui n’a pas de comptes à rendre à l’employeur.»
L’ancien inspecteur du travail n’exclut pas que les entreprises du secteur privé puissent «interpréter la loi de la même manière qu’Élisabeth Borne». Néanmoins, le système de protection de santé «a été fait pour que les salariés, subordonnés à leur employeur pour le travail», ne le soient pas pour leur santé.
«Il y a le secret médical. Il y a l’intimité. La dignité. Si quelqu’un a une maladie auto-immune grave, il ne va pas le dire à son employeur ni à ses collègues. C’est son droit. Parce que ça peut avoir beaucoup de conséquences dans son rapport avec les autres», détaille Gérard Filoche.
Reste à voir comment le Conseil constitutionnel «s’en arrangera» lors de l’examen de la loi. Des discussions houleuses autour de la question du licenciement ont secoué le Sénat, traditionnellement plus conservateur que l’Assemblée nationale.
«Ingérable du point de vue du respect du droit»
Une autre «règle» est également mise à mal, tient à rappeler Gérard Filoche: la procédure administrative de licenciement, très encadrée en France. Le règlement intérieur de l’entreprise prévoit une échelle graduée de sanctions −avertissement, mise à pied temporaire, etc.− allant jusqu’au licenciement. Pour ce dernier, la France est couverte par la convention N558 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui stipule que tout licenciement doit être motivé.
«Le fait de ne pas être vacciné, est-ce “motivé”? On ne peut pas griller les étapes, surtout s’il s’agit d’un motif qui ne concerne pas l’employeur: la santé. Je ne sais pas comment ils vont s’en sortir avec cette immense contradiction», fustige-t-il.
L’Article 6 de la convention de l’OIT dit que «l’absence temporaire de travail en raison d’une maladie ou d’un accident ne devra pas constituer une raison valable de licenciement».
«La convention de l’OIT dit qu’il doit y avoir une procédure. Comment tout cela va-t-il s’appliquer dans le contexte d’urgence, où tout doit s’arrêter le 15 novembre? Il y a quelque chose d’ubuesque là-dedans. C’est ingérable du point de vue du respect du droit, du respect du Code du travail.»
Notifications écrites, rencontre au sein de l’entreprise pour que le salarié soit averti et puisse se défendre, recours à l’extérieur de l’entreprise, aux Prud’hommes, autant de garde-fous mis en place pour empêcher un licenciement abusif. Seront-ils respectés dans le cadre des nouvelles mesures prises au nom de la lutte contre le Covid-19?
L’employé a droit de se défendre
«On arrive à un phénomène un peu totalitaire du point de vue de la sanction du licenciement», accuse l’ancien inspecteur du travail.
Pour lui, on jette aux oubliettes tout le système qui a fonctionné «dans le passé»: en cas d’inaptitude du salarié, le médecin du travail a été consulté, suivi d’un rappel auprès d’un médecin régional du travail. Il rappelle que «face à l’inaptitude, l’employeur a des obligations, le reclassement, la prise en compte du problème posé au salarié».
«Jamais, en France, il n’a été autorisé de licencier pour raisons de santé.»
«Prouver que ça nuit à l’entreprise», «prouver» qu’il est impossible de reclasser l’employé, ont toujours fait partie des obligations de base de l’employeur, rappelle Filoche. Et c’est seulement après que le licenciement pouvait intervenir.
«On ne peut pas licencier parce qu’on est malade. Il faut prouver en quoi ça peut nuire, quand il y a la possibilité de faire du télétravail, de s’organiser autrement. Ça me semble bien coûteux, tout ça», conclut Gérard Filoche.