300 amendements discutés en 10 heures de débat: à l’Assemblée nationale, les nuits sont courtes pour les députés chargés d’examiner en urgence le millier d’amendements déposés pour le projet de loi relatif à «la gestion de la crise sanitaire».
Un texte rédigé par le gouvernement dans la foulée de l’allocution d’Emmanuel Macron du 12 juillet. Il prévoit notamment l’obligation vaccinale pour les soignants et personnels d’établissements recevant du public, l’extension du pass sanitaire à ces mêmes lieux (cafés, restaurants, musées, etc.) et l’isolement forcé des cas positifs.
Ce mercredi 21 juillet, la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été entendue par les membres de la commission des Lois du Sénat. De manière générale, Marie-Laure Denis invite les parlementaires à s’assurer que la restriction des libertés individuelles est «proportionnée». Une proportionnalité qui, selon la CNIL, dépend «grandement du caractère gratuit ou payant des tests de dépistage.» Or, le gouvernement avait déjà annoncé que les tests antigéniques et PCR allaient devenir payants à l’automne. Même son de cloche du côté du Défenseur des droits, Claire Hédon. Dans un avis rendu le 20 juillet dernier, celle-ci relève «dix points d’alerte» et s’interroge «tant sur la méthode que sur la proportionnalité de la plupart des dispositions et restrictions présentes dans le texte.»
«L’État de droit s’est éteint»
Pour l’avocat en droit de la santé publique Fabrice Di Vizio, en tête de cortège à Paris lors de la manifestation du 17 juillet dernier contre le pass sanitaire, l’heure est plus que jamais à la «mobilisation». Interview.
Sputnik: La présidente de la CNIL a estimé que le nouveau dispositif prévu par le gouvernement est une atteinte «particulièrement forte aux libertés et aux droits fondamentaux». Partagez-vous ce point de vue?
Contrôle des populations, «le rêve de la société moderne»
«Le gouvernement s’assied avec allégresse sur les institutions censées être gardiennes de l’équilibre des droits et des devoirs. Et ensuite, lorsque j’ose utiliser le terme de “tyrannie”, on me traite de tous les noms. Nous avons un renversement total des valeurs: l’État de droit s’est éteint. Le variant delta a été une circonstance bien commode pour venir asseoir un pouvoir totalitaire. Ceux qui ne sont pas d’accord n’ont qu’à reprendre le sens des mots! Un gouvernement qui utilise un pouvoir arbitraire et absolu, ça s’appelle une tyrannie.»
Sputnik: La CNIL recommande aussi aux parlementaires de contraindre le gouvernement à fournir une évaluation de l’efficacité des «différents dispositifs numériques» que celui-ci a mis en place pour lutter contre la pandémie. N’avez-vous pas le sentiment que l’on assiste plutôt à des lourdeurs bureaucratiques dont le sens échappe parfois aux citoyens?
Fabrice Di Vizio: «Les tyrannies technocratiques, ça existe aussi. La machine administrative, quand elle est au service d’une idéologie unique, fonde une tyrannie. Dans un État de droit, c’est le Parlement (donc la représentation nationale) qui décide. Dans la tyrannie, la bureaucratie nommée par le Prince s’auto-entretient sans aucun contrôle du Parlement et c’est elle qui décide de tout. N’est-ce pas ce qui se passe en ce moment?»
Sputnik: On pourrait vous rétorquer que le motif invoqué par le gouvernement est la santé publique et la protection de la population face à la pandémie.
Fabrice Di Vizio: «Quand on considère que les vaccinés ne sont plus cas contact, c’est encore de la santé publique? Face à un variant qu’on nous décrit comme plus contagieux, pour quelle raison les vaccinés seraient exonérés d’isolement s’ils sont cas contact? L’OMS et le CDC [agence gouvernementale américaine en matière de protection de la santé publique, ndlr] disent pourtant le contraire. Israël ferme ses frontières aux vaccinés et aux non-vaccinés, la quarantaine est obligatoire pour les gens qui arrivent en Angleterre en provenance de la France. Qui décide alors?
Ce n’est plus de la science, c’est de la tyrannie. Et la tyrannie naît quand la cause finale n’est plus la recherche du bien commun. Le pass sanitaire étendu à tous a-t-il jamais fait la preuve de son efficacité? A-t-on un exemple dans l’Histoire où une pandémie s’est arrêtée grâce à un dispositif pareil? Nous avons érigé le mensonge en règle de gouvernement. La vérité, c’est que la santé des Français est devenue une variable d’ajustement.»
Sputnik: L’Assemblée nationale a rejeté un amendement de la députée Emmanuelle Ménard qui visait à mettre fin au pass sanitaire une fois la pandémie sous contrôle. Pensez-vous vraiment que ce dispositif est voué à perdurer?
Vers une société à deux vitesses?
«On nous parle de l’équilibre entre une société de droits et une société de devoirs. Sauf qu’aujourd’hui, des droits, j’en vois très peu. Le seul droit que les citoyens aient depuis un an et demi, c’est de se taire et de subir les vicissitudes de ce gouvernement incapable de gérer la crise. L’heure n’est plus à discuter, elle est à se mobiliser et à récupérer un pouvoir qui nous a été retiré depuis maintenant un an et demi. Nous allons lutter avec les armes du droit et de la démocratie.
Au titre de ces armes figure le fait de bloquer le pays, s’il le faut. Il y a une abdication totale des contre-pouvoirs et de toute forme d’opposition dans ce pays. Pardonnez mon indignation, mais il faut arrêter de faire de la liberté une discussion de salon. Des gens sont morts pour la liberté. La tyrannie prend toujours le même chemin: celui d’une abdication de l’opposition, du bon sens et de la critique du pouvoir.»
Sputnik: Pensez-vous que nous sommes à l’aube d’un nouveau mouvement social, de l’ampleur des Gilets jaunes, voire plus large encore?
Fabrice Di Vizio: «C’est aux Français de savoir dans quel monde eux et leurs enfants veulent vivre. J’en profite pour dire que le traitement médiatique de la manifestation du 17 juillet a été indigne.
Le problème, au fond, c’est que l’on va créer une société de classes. Vous pensez que les gens qui ont de l’argent vont se laisser intimider et pénaliser? Concrètement, ce sont ceux que l’on qualifie avec mépris de “petites gens” qui subissent la crise. C’est une lutte des classes, rien d’autre. On se demande encore ce qu’attendent les syndicats, visiblement apeurés à l’idée de froisser le pouvoir. Rappelez-vous Péguy: “Il faut toujours dire ce que l’on voit; il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit”. Est-ce qu’on ne voit pas que c’est une société à deux vitesses que l’on est en train de créer?»