Pass sanitaire validé par le Conseil d’État: «Nous entrons dans une société d’autorisation et non plus de liberté»

Certificat de vaccination (image d'illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 20.07.2021
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Le Conseil d’État a approuvé dans les grandes lignes le projet de loi sur l’extension du pass sanitaire et la vaccination obligatoire de certaines catégories de population. Pour l’avocat René Boustany, la passivité des Sages laisse planer une menace sans précédent sur les libertés fondamentales des Français.
«La décision du Conseil d’État n’a rien de surprenant: depuis le début de la crise sanitaire, il n’y a pas vraiment eu de contrôle de celui-ci sur les mesures prises par le gouvernement. Les modifications s’effectuent vraiment à la marge», fustige le juriste René Boustany au micro de Sputnik.

Lundi 19 juillet, le Conseil d’État a validé en grande partie le projet de loi du gouvernement sur l’extension du pass sanitaire, ainsi que la vaccination obligatoire des soignants. L’avis consultatif émis par les hauts fonctionnaires du Palais-Royal ne modifie en effet que très partiellement les dispositions prévues par le gouvernement.

L’opposition n’a d’ailleurs pas manqué d’épingler le fait que l’un des rapporteurs de l’avis délibéré et adopté par la Commission permanente du Conseil d’État n’était autre que Matthieu Schlesinger, tête de liste dans le Loiret pour les régionales en région Centre-Val-de-Loire sur liste… LREM. Un «conflit d’intérêts effrayant» pour l’eurodéputé (RN) Gilbert Collard.

Dans le détail, l’un des seuls motifs d’inquiétude selon le Conseil d’État est la présentation du pass sanitaire dans les centres commerciaux, «susceptible de concerner tout particulièrement l’acquisition de biens de première nécessité, notamment alimentaires.» La juridiction y voit «une atteinte disproportionnée aux libertés», notamment pour les personnes ne pouvant être vaccinées pour des raisons médicales et qui devront donc se faire «tester très régulièrement» pour accéder à ces galeries marchandes. L’exécutif avait proposé de limiter cette obligation aux structures de plus de 20.000 m2. «Ce sont bien des décisions de technocrates parisiens», raille René Boustany, cofondateur du réseau de juristes Cercle droit et liberté. «En province et en périphérie, il n’y a quasiment que de grands centres commerciaux!»

«La liberté n’est plus la norme»

Les Sages se sont également émus des sanctions prévues dans le projet de loi pour les particuliers qui ne présentent pas de pass (six mois de prison et 10.000 euros d’amende) et pour les exploitants en cas d’absence de contrôle (un an de prison et 45.000 euros d’amende), les jugeant excessives.

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Une remarque qu’a prise en compte le gouvernement, puisqu’à l’issue d’un Conseil des ministres décalé ce lundi 19 juillet, il a annoncé que pour les particuliers, la sanction au premier défaut de présentation du pass sanitaire serait de 1.500 euros. À la troisième récidive, «cela passe à un délit qui peut aller jusqu’à un an de prison et 9.000 euros d’amende», a indiqué Gabriel Attal. Pour le commerçant qui ne contrôlerait pas ses clients, la note s’étale de 7.500 euros d’amende à la première incartade à «un an [de prison, ndlr] et 45.000 euros», a ajouté le porte-parole du gouvernement. Des amendes volontairement élevées et dissuasives, mais surtout contraires aux règles fixées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), fait observer René Boustany:

«Il y a eu un arrêt de la CEDH en avril 2021 qui limite de manière drastique l’obligation vaccinale. Elle mentionne un régime de sanctions mesurées et limitées, de quelques centaines d’euros. On est bien loin des milliers d’euros d’amende et des peines de prison que le gouvernement prévoit!», lance René Boustany.

Dans le même ordre d’idées, le Conseil de l’Europe, dans une résolution du 27 janvier dernier, demandait aux États membres de l’Union européenne de «s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales […] pour se faire vacciner, s’il ne souhaite pas le faire.» Or, pour notre interlocuteur, le pass sanitaire est à n’en pas douter «un moyen détourné pour le gouvernement de contraindre à la vaccination.»

«Il y a un déficit démocratique total. C’est un changement de paradigme dans notre société, où la liberté n’est plus la norme. Il y a un effet cliquet: à partir du moment où ces mesures sont acceptées, on ne reviendra pas là-dessus», avertit René Boustany.

Concernant l’avis du Conseil constitutionnel (qui peut être saisi à l’initiative de soixante députés ou sénateurs), le juriste du Cercle droit et liberté ne se fait guère d’illusion, les Sages de la rue Montpensier ayant selon lui «laissé une grande marge de manœuvre au gouvernement» depuis le début de la crise sanitaire. «Il y aura éventuellement des ajustements à la marge», anticipe-t-il.

Le Conseil d’État se déjuge!

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Gabriel Attal a en outre rappelé que le pass sanitaire sera étendu aux activités de loisirs, dans les cafés, bars, restaurants, aux foires et salons ou encore les trains et certains centres commerciaux début août. Un décret pris par le gouvernement permet même de rendre le pass sanitaire obligatoire dès ce mercredi 21 juillet, à partir de cinquante personnes dans les lieux de culte, les salles de conférences, de spectacles, les cinémas, les chapiteaux, les salles de jeux et de danse, les foires-expositions ou les salons ayant un caractère temporaire, ainsi que les établissements sportifs couverts et les piscines.

Pour René Boustany, qui cite une décision contentieuse du 6 juillet dernier prise par le Conseil d’État, ce dernier déjuge son propre juge des référés. «La section “contentieux” du Conseil d’État avait précisé que le pass sanitaire n’était pas une atteinte disproportionnée tant qu’il ne concernait pas la vie quotidienne. La section “Conseil” en a manifestement décidé autrement», souligne l’avocat, atterré.

Saisi par l’association La Quadrature du Net qui avait exigé la suspension de la première version du pass sanitaire, adoptée le 30 mai, le juge des référés avait alors estimé que celui-ci ne posait pas de problème tant que «son usage [était] restreint à l’accès à des lieux de loisirs, sans que soient concernées les activités quotidiennes». Or, dans l’actuel projet de loi, l’extension du pass sanitaire concerne la vie de tous les jours.

«Ce pass sanitaire est parfaitement liberticide: nous entrons dans une société d’autorisation et non plus de liberté. La liberté n’est plus la règle, l’exception c’est le pass sanitaire. Par essence, vous ne pouvez pas aller au restaurant, sauf si vous avez un pass sanitaire!»

En outre, le «code de la santé publique», principe retenu par le Conseil d’État pour valider le projet de loi sur l’extension sanitaire ne tient pas la route, poursuit René Boustany. En effet, le texte du gouvernement comprend également l’obligation vaccinale pour les soignants et le prolongement du «régime de gestion de la sortie de crise» jusqu’à la fin de l’année. Un régime qui laisse en place l’essentiel des mesures de l’état d’urgence sanitaire, comme la possibilité pour le Premier ministre de décider par décret de restreindre les déplacements, d’imposer le port du masque ou de fermer certains commerces.

«Au bout d’un an et demi, ce n’est plus temporaire. Quand cela rentre dans la loi, ce n’est plus temporaire. Après la “santé publique”, quel sera le prochain motif invoqué pour empêcher de vivre? “L’urgence climatique”, pour interdire aux gens de prendre leur voiture si ce n’est pas une électrique?», fait-il mine de s’interroger.

Pour autant, conclut René Boustany, malgré «l’absence totale de consensus démocratique et de discussion au Parlement», «on ne tombe pas dans une “dictature” à proprement parler», selon lui. «Si les gens refusaient ce qu’on leur impose, ce serait tout à fait possible. Le problème, c’est qu’ils l’acceptent», glisse-t-il. Jusqu’à subir «un test PCR pour changer le pneu de son vélo chez Décathlon»?

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