Déshabillée et filmée pour le vol d'un téléphone: au Cameroun, la folie de «la justice populaire»

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Smartphone - Sputnik Afrique, 1920, 14.07.2021
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Début juillet au Cameroun, une femme accusée de vol a été publiquement déshabillée en guise de punition. Molestés, brûlés vifs pour certains, de présumés hors-la-loi subissent souvent le verdict de la «loi» populaire. Les autorités semblent impuissantes face à un phénomène qui trahit la faillite de la justice et de la confiance.

Au Cameroun, les cas de vindicte populaire sont recensés quasi quotidiennement. Le plus récent et qui a eu le mérite de donner l'alerte et relancer le débat autour de ce phénomène social s’est déroulé début juillet.

Soupçonnée de vol de téléphone dans une banlieue de Yaoundé, une jeune femme a été déshabillée, en guise de punition, par une dizaine de personnes en furie et même forcée à exhiber son corps devant une caméra. Les images de cette humiliation ont vite fait d’atterrir sur les réseaux sociaux et sont devenues virales. Dégradante, la vidéo soulève une vague d’indignation dans l'opinion. De nombreuses personnalités et militants des droits de l’homme ont exprimé leur indignation face à une telle barbarie et exigé que les responsables soient punis.

Le tribunal de la rue

Arrêtée par la police dans un premier temps à la suite du vol qu'elle a reconnu, la jeune femme a été libérée sous caution. Elle porte alors plainte contre ses agresseurs dont certains sont arrêtés et placés sous mandat de dépôt le 9 juillet à la prison centrale de Yaoundé.

Cameroun: une femme qui a été déshabillée à Yaoundé au point de montrer sa nudité pour soupçons d'avoir volé un téléphone portable dans un magasin, a porté plainte. pic.twitter.com/uT2TgF8ouv

Si cette affaire a fait grand bruit dans le pays, les cas de vindicte ou «justice» populaire sont pourtant légions. Le scénario est digne d’un film d’horreur: Un présumé malfrat arrêté, le voisinage est alerté à coup de cris par la victime ou un témoin et en l’espace de quelques minutes le présumé hors-la-loi est réduit à néant, brûlé vif ou tué à coup de projectiles.

Dans la seule région de l'Extrême-Nord, au moins 11 présumés malfrats, accusés d’infractions de toute sorte, apprend-on des sources locales, ont été lynchés à mort pendant le mois de juin dernier. En avril dernier, face à la montée en puissance de la justice populaire et aux nombreuses dépouilles de victimes comptabilisées dans la région de l’Ouest du Cameroun, Augustine Awa Fonka, gouverneur de la région, avait mis en garde les populations contre ces actes de barbarie, les invitant «à faire preuve d'humanité, et de remettre les personnes arrêtées aux forces de sécurité et à la justice. Il est par ailleurs interdit par les lois camerounaises de se faire justice et même d'exercer quelque violence que ce soit, à une personne maîtrisée, en cas de vol ou d'agression».

La rupture du contrat de confiance

Le gouverneur de la région de l’Ouest rappelle à ceux qui seront pris en train de donner la mort à une personne prise en flagrant délit de vol ou d'agression, qu'ils seront traduits devant les tribunaux.

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Si les spécialistes de la justice et les défenseurs des droits de l’homme se battent pour sensibiliser les populations afin de faire entendre la voix de la justice, sur le terrain, la pratique est loin d’être abolie. Même si beaucoup n'ignorent pas l'interdiction de cette pratique, ils préfèrent tout de même se rendre justice eux-mêmes. La recrudescence de ce phénomène traduit «une rupture de confiance» entre justiciables et justiciers, analyse Pierre Menounga. Ce politologue approché par Sputnik est l'auteur du livre «La justice populaire au Cameroun: Entre logiques justifiées et politiques d'endiguement» (L’Harmattan, 2020).

«En situation normale, la justice institutionnelle est dans un État de droit reconnue et compétente pour connaître des infractions, condamner légalement après un procès juste et équitable. Hélas, le trafic d'influence, la corruption, les lenteurs/lourdeurs sont quelques aspects du chapelet de maux qui pour les acteurs-partisans de la justice populaire conduisent à la situation actuelle. De ce fait, laisser un individu qui a "violé", "volé une moto" à la justice et le voir deux jours plus tard libre est pour ces derniers inacceptable, source de tension et de rupture de confiance», poursuit l’auteur.

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Pour Pierre Menounga, la récurrence de cette pratique au Cameroun surtout dans les grandes métropoles est l’expression d’une tension sociale née de la défaillance des institutions compétentes. Une situation que s'emploient à combattre, au quotidien, les différents acteurs de la justice étatique, comme Me Léonce Mba. Bien qu'il adhère au constat dressé par Pierre Menounga, cet avocat camerounais estime que nonobstant cette crise de confiance «la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice», et «non le droit de se rendre justice», insiste-t-il au micro de Sputnik.

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