Au Cameroun, les cas de vindicte populaire sont recensés quasi quotidiennement. Le plus récent et qui a eu le mérite de donner l'alerte et relancer le débat autour de ce phénomène social s’est déroulé début juillet.
Soupçonnée de vol de téléphone dans une banlieue de Yaoundé, une jeune femme a été déshabillée, en guise de punition, par une dizaine de personnes en furie et même forcée à exhiber son corps devant une caméra. Les images de cette humiliation ont vite fait d’atterrir sur les réseaux sociaux et sont devenues virales. Dégradante, la vidéo soulève une vague d’indignation dans l'opinion. De nombreuses personnalités et militants des droits de l’homme ont exprimé leur indignation face à une telle barbarie et exigé que les responsables soient punis.
J'ai vu la vidéo d'une femme hier, qui a reconnu avoir volé un téléphone dans une boutique. On l'a déshabillé et on lui a demandé de s'asseoir à même le sol et d'ouvrir ses jambes, les mains sur la tête. On a filmé et publié sur les RS.
— Tina Songue🔥 (@Tina_Esbi) July 7, 2021
C'est immorale.
Le tribunal de la rue
Arrêtée par la police dans un premier temps à la suite du vol qu'elle a reconnu, la jeune femme a été libérée sous caution. Elle porte alors plainte contre ses agresseurs dont certains sont arrêtés et placés sous mandat de dépôt le 9 juillet à la prison centrale de Yaoundé.
Cameroun: une femme qui a été déshabillée à Yaoundé au point de montrer sa nudité pour soupçons d'avoir volé un téléphone portable dans un magasin, a porté plainte. pic.twitter.com/uT2TgF8ouv
— lopinionplus.net (@Lopinionplus) July 8, 2021
Si cette affaire a fait grand bruit dans le pays, les cas de vindicte ou «justice» populaire sont pourtant légions. Le scénario est digne d’un film d’horreur: Un présumé malfrat arrêté, le voisinage est alerté à coup de cris par la victime ou un témoin et en l’espace de quelques minutes le présumé hors-la-loi est réduit à néant, brûlé vif ou tué à coup de projectiles.
Dans la seule région de l'Extrême-Nord, au moins 11 présumés malfrats, accusés d’infractions de toute sorte, apprend-on des sources locales, ont été lynchés à mort pendant le mois de juin dernier. En avril dernier, face à la montée en puissance de la justice populaire et aux nombreuses dépouilles de victimes comptabilisées dans la région de l’Ouest du Cameroun, Augustine Awa Fonka, gouverneur de la région, avait mis en garde les populations contre ces actes de barbarie, les invitant «à faire preuve d'humanité, et de remettre les personnes arrêtées aux forces de sécurité et à la justice. Il est par ailleurs interdit par les lois camerounaises de se faire justice et même d'exercer quelque violence que ce soit, à une personne maîtrisée, en cas de vol ou d'agression».
La rupture du contrat de confiance
Le gouverneur de la région de l’Ouest rappelle à ceux qui seront pris en train de donner la mort à une personne prise en flagrant délit de vol ou d'agression, qu'ils seront traduits devant les tribunaux.
«En situation normale, la justice institutionnelle est dans un État de droit reconnue et compétente pour connaître des infractions, condamner légalement après un procès juste et équitable. Hélas, le trafic d'influence, la corruption, les lenteurs/lourdeurs sont quelques aspects du chapelet de maux qui pour les acteurs-partisans de la justice populaire conduisent à la situation actuelle. De ce fait, laisser un individu qui a "violé", "volé une moto" à la justice et le voir deux jours plus tard libre est pour ces derniers inacceptable, source de tension et de rupture de confiance», poursuit l’auteur.