Sur la question du rapatriement des djihadistes, l’Administration Biden est sur les traces de celles de Trump. C’est avec insistance qu’Antony Blinken a réitéré, à l’occasion de la réunion de la coalition anti-Daech* à Rome, l’appel de «rapatrier, réhabiliter et, le cas échéant, poursuivre en justice leurs citoyens» présents dans les geôles et les camps tenus par les Forces démocratiques syriennes (FDS). «Cette situation est tout simplement intenable. Elle ne peut pas persister indéfiniment», a déclaré le chef de la diplomatie américaine s’adressant à ses partenaires occidentaux. Une position que Pascal Le Pautremat juge «compréhensible» car ce sont les États-Unis «qui arment et financent les forces kurdes».
Le successeur de Mike Pompeo a tenu à saluer à cette occasion les efforts italiens, mais aussi ceux des pays d’Asie centrale comme le Kazakhstan qui aurait ramené 600 combattants et les membres de leurs familles en les plaçant dans des programmes de réhabilitation.
La France est l’un des principaux États à être visés par l’appel de la diplomatie américaine et elle est la plus hostile au rapatriement de terroristes. Et pour cause: les sanglants attentats qu’a connus le pays ces dernières années sont encore durement ancrés dans la mémoire collective.
Difficile dans ces conditions de vendre une politique de rapatriement pour les quelque 80 femmes françaises qui avaient rejoint l’État islamique* et les 200 enfants détenus dans les camps kurdes de Syrie. Sans même considérer les dizaines, voire les centaines, d’hommes adultes dans les prisons.
C’est pour cette raison que «la situation des djihadistes français et de leurs familles emprisonnés dans le nord-est syrien ne risque pas de changer de sitôt», estime le géopolitologue Pascal Le Pautremat. «Nous sommes à un an du scrutin présidentiel», rappelle-t-il au micro de Sputnik.
Alors que s’amorce une séquence électorale cruciale pour le chef de l’État français, «Emmanuel Macron ne prendra pas ce risque», assure le spécialiste.
«J’avais l’impression d’être dans une ville de l’État islamique*»
D’autant que la situation sur place est extrêmement délicate. Aussi bien les mères de famille que les enfants ne semblent pas avoir été désendoctrinés. Après s’être rendu dans ces camps des rescapés du djihad dans le cadre d’un documentaire qu’il réalisait sur les résidus de Daech*, le journaliste Kamal Redouani décrivait à Sputnik la réalité des lieux:
«J’avais l’impression d’être dans une ville de l’État islamique*. Ce qu’on découvre dans le camp d’Al-Hol, concernant les femmes et les enfants occidentaux, c’est qu’ils se sont gravement radicalisés. Ces gens n’ont plus rien à voir avec les civils apeurés arrêtés après la chute de l’EI*.»
Dans les prisons où sont enfermés les hommes, la situation est similaire, sinon pire: ce seraient effectivement des califats entre quatre murs. Les gardiens ne sont là que pour s’assurer que les djihadistes ne s’enfuient pas. En dehors de cela, ils font la loi dans la prison. À l’automne 2020, la situation était devenue tellement incontrôlable que les autorités kurdes avaient relâché près de 600 prisonniers de Daech*.
Pression sur les forces kurdes
Pas question donc pour le gouvernement français de faire revenir des bombes à retardement de ce type en France. Au moins pour le moment. Et peu importe si cela va à l’encontre de certains engagements politiques qu’avaient pris des membres de ce même gouvernement.
«Je serai un militant infatigable pour défendre des Français –car ils sont Français qu’on le veuille ou non– qui encourent la peine de mort. Nous continuerons d’agir en ce sens auprès des pays concernés», déclarait Éric Dupond-Moretti il y a un an.
Mais le risque est que ces éléments dangereux s’enfuient. Un scénario qui n’a rien de fictif: des mutineries et des évasions ont déjà eu lieu. Et malgré le soutien américain, «les Kurdes sont extrêmement isolés au niveau régional».
«Ils ont la pression des Turcs, des différentes katibas clandestines qui existent dans la région, et en plus ils doivent gérer la pression interne de ces camps et des prisons où vivent des milliers de djihadistes en puissance», décrit Pascal Le Pautremat.
Si «le camp présidentiel ne veut pas de vagues» à l’approche de l’élection de 2022, la question pourrait être remise à l’ordre du jour à son lendemain. Paris tiendra-t-il alors le coup face à des pressions américaines?
*Organisation terroriste interdite en Russie