Rien ne permettait de deviner, avant son élection à la tête de la République en 2019, sa capacité de démarrer au quart de tour un propos au ton courroucé aux limites de l’étranglement et de l’embrouille.
Ceux qui ont eu l’occasion de l’aborder pour une conversation privée bien avant son investiture, décrivent un homme doté d'une calme courtoisie, d'une bonhomme intelligence drapée d’une blanche ingénuité. Pendant ses fréquentes apparitions à la télévision, consulté par les journalistes sur divers points polémiques de droit constitutionnel, il conservait, invariable et comme figée, la même étonnante image de maître des oracles.
Celui-ci, nous apprennent les lointaines antiquités, recevait la question adressée à la divinité conjurée par le visiteur, actionnait dans la pénombre de sa retraite un système d’étranges bruitages dont il délivrait l’interprétation au demandeur comme la réponse sans appel du dieu interrogé. Ainsi en était-il du temps où nul Tunisien ordinaire ne pouvait prévoir sa candidature et son ambition; ainsi s’explique, en grande partie, son franc triomphe dans son ascension vers le sommet de l’État, loin devant près d’une trentaine de personnalités souvent de premier ordre. Porté par une campagne des plus atypiques, autant dire une «non campagne», son image et le capital de confiance dont il jouit depuis un an et demi ne connaissent que peu d’érosion dans les sondages, quand d’autres leaders et hautes figures actives dans le champ politique se déprécient régulièrement ou, au mieux, enregistrent de faibles remontées.
Le mystère reste entier pour commentateurs et analystes de la chose politique et commence à agiter une grande partie de l’opinion publique, celle-là même qui lui a accordé sa confiance via les urnes.
Kant, certes, «a les mains pures, mais il n’a pas de mains», lançait le poète français Charles Péguy en se moquant de l’idéalisme trop stérile à son goût du grand philosophe allemand…Nombreux seraient les observateurs des gestes et paroles du Robinson de Carthage, même parmi les simples citoyens qui lui restent fidèles, qui trouveraient cette cruelle boutade conforme à la brumeuse personnalité du Président!
Jour après jour, un mois après l’autre, la population «réelle», celle un peu partout sur le territoire, à laquelle il se mêle lors de visites inopinées dans tel hameau, tel quartier ou tel rassemblement dans telle modeste mosquée pour la prière du vendredi, cette population-ci semble lui dire qu’elle lui accordait de larges délais pour s’assurer les meilleures conditions avant d’entamer un gros et salutaire coup de balai.
À chaque «bain de foule» qu’il s’offre dans les paysages les plus divers, au cœur de la capitale, dans la proche périphérie où se trouve son domicile privé, dans des espaces ruraux ou villageois, la doléance le plus souvent scandée dans les ovations qui l’accueillent exigent de lui la dissolution du parlement. Le tatillon «prof» de droit constitutionnel sait parfaitement que ces voix sont dénuées de sens, qui s’élèvent dans des mises en scène et en ondes vraisemblablement voulues par les services de communication de la présidence.
Simples et vains slogans qui servent seulement de prétexte à Kaïs Saïed, et à tous les coups, pour qu’il manifeste son refus sans nuances d’une assemblée de députés commandée par une majorité de «brigands, de repris de justice et de corrompus» protégés par le chef d’Ennahda Rached Ghannouchi également président de ce même parlement, un manœuvrier de haute voltige!
Kais Saied furieux : "La situation est extrêmement dangereuse en Tunisie" https://t.co/PwErPNvOnq #Tunisie
— webdo (@webdo_tn) June 11, 2021
En substance, ses propos tournoient souvent autour des thèmes suivants: «Afin que nul n’ignore, que cela soit dit urbi et orbi, il ne peut y avoir dans ce pays qu’un seul État, qu’un seul chef à sa tête…Que la Tunisie est en réalité "un pays riche" et prospère mais appauvri par autant de "voleurs" et de responsables pourris…Des "luçûç" (voleurs) qui se moquent des "nuçûç" (textes de lois), etc.»
La litanie, çà et là, fleurie de quelques jeux de mots bien roulés, de références littéraires ou coraniques, s’achève immanquablement par la promesse de l’instant où «sa responsabilité devant Dieu, l’Histoire et le peuple» lui dictera de sévir. Cet instant, décisif entre tous, le «Temps propice», seul, le fera advenir!