Le Président tunisien en Égypte: au-delà des paradoxes

© AFP 2024 Tunisian presidency Facebook page / AFPLe Président tunisien Kaïs Saïed et le Président égyptien Abdel Fatah al-Sissi au Caire, le 9 avril 2021
Le Président tunisien Kaïs Saïed et le Président égyptien Abdel Fatah al-Sissi au Caire, le 9 avril 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 16.04.2021
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Saluée en Égypte, la récente visite du Président tunisien Kaïs Saïed au Caire a aussi marqué les esprits en Tunisie où le pouvoir d'Al-Sissi, tombeur des islamistes en 2013, ne suscite pas l'unanimité. De retour à Tunis, Saïed lâche dans sa première sortie publique une pique bien sentie contre l'islamisme. Analyse du philosophe Youssef Seddik.

Comme à son habitude, le palais de Carthage n’a annoncé le déplacement du Président Kaïs Saïed pour une visite officielle de trois jours en Égypte, du 9 au 11 avril, que la veille du départ. Le groupe réduit et tout aussi discret de conseillers diplomatiques autour du chef de l’État entend ainsi prévenir le danger des commentaires polémiques qui ne manqueraient pas de fuser de partout au sujet d’une visite qui suscite, pour le moins, de nombreuses interrogations dans l’opinion publique en général et au sein des courants idéologiques liés par conviction ou par alliance à l’islamisme politique, plus particulièrement.

Depuis la prise du pouvoir par le général Al-Sissi en effet, le discours ambiant autour de l’Égypte évite soigneusement, dans les médias comme dans les tribunes partisanes, d’approfondir l’analyse des perspectives politiques des relations tuniso-égyptiennes, si bien que seuls les échos des contacts footballistiques emplissent les colonnes des gazettes, les programmes de l’audiovisuel et les bavardages dans les cafés de commerce.

L’accueil au Caire a eu lieu, chaleureux et même pompeux selon certains observateurs et voilà que reprennent cris et chuchotements, critiques et condamnations épinglant le personnage du Président égyptien, rappelant qu’il a brutalement mis fin à l’aventure démocratique engagée en 2011 dans le sillage de la révolution tunisienne.

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Sur ce point, dirigeants politiques et citoyens avertis n’ont nul besoin de ce rappel. Les Tunisiens ont bien suivi, devant leurs petits écrans, à l’écoute de leurs postes-radios et dans les journaux, la chute en 2013 du régime islamiste de Mohamed Morsi, pourtant issu des urnes et l’avènement, suite à un coup d’État militaire, du général Abdel Fattah al-Sissi.

De la Libye… aux sources du Nil

Seulement, il y a eu comme un tacite consensus afin que soit tu un tel sujet, au sein des principales formations politiques. Certes, Ennahdha, principal courant islamiste, alignant alors le plus grand nombre de députés à l’Assemblée législative, a clairement condamné «sur le coup» le coup d'État.

Mais les assassinats politiques de deux figures de la gauche tunisienne, qui l'affaiblirent politiquement, et son souci de maintenir et de sauvegarder son entente avec le Président Béji Caïd Essebsi et le parti Nidaa Tounes que celui-ci venait de créer pour conquérir la présidence, l'amenèrent bientôt à faire preuve de retenue. De fait, Ennahdha, à contre cœur, s’est abstenu de voler au secours des «Frères» de la vallée du Nil autrement que par une position de principe et quelques sorties médiatiques sporadiques. Les islamistes patentés ayant fait montre, ainsi, d'une certaine prudence, ce sont les assimilés qui se sont déchaînés pourfendant, depuis lors, «la dictature militaire» du «général putschiste». Des attaques qui se sont cristallisées, plus tard, avec la crise du Golfe de 2017, quand les amis du Qatar et ceux des Émirats et de l'Arabie saoudite se sont alors livrés en Tunisie à une rude bataille par médias et réseaux sociaux interposés.

L'heureux épilogue qu'a connu cette dernière crise ne pouvait permettre à Ennahdha de revoir son ton à la hausse. On a même entendu le 13 avril un cacique de ce parti, Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice et à présent président du groupe parlementaire d'Ennahdha, nier l’appartenance de son parti à l’organisation des Ikhwan al-muslimin (Frères musulmans*) fondée en 1928 par l’Égyptien Hassan al-Banna! Une déclaration concomitante avec le réchauffement des relations entre l'Égypte et la Turquie d'Erdogan, allié sempiternel d'Ennahdha. En revanche, ce sera à l'ancien Président Moncef Marzouki et aux mouvances islamo-révolutionnaires de jeter l'opprobre sur Kaïes Saïed qui «ne représente pas la révolution qui lui a permis d'arriver au pouvoir».

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La Tunisie entre l’encre de la pieuvre et l’encre du scribe
Le retour d’Égypte du chef de l’État a confirmé son désir d’inscrire la diplomatie de la Tunisie au cœur des grandes questions qui agitent et préoccupent l’ensemble des pays de la région, la situation en Libye, l’apaisement des tensions entre l’Égypte et la Turquie ou la crise grande ouverte entre l’Éthiopie et les deux pays arabes de la vallée du Nil à propos du barrage dit d’Ennahdha en Abyssinie qui menace d’assoiffer dangereusement et l’Égypte et le Soudan.

Rejet de l'islamisme

Toutefois, à part ces points d’accord avec son homologue égyptien autour des principaux problèmes de la région d’Afrique et du Proche-Orient, Kaïs Saïed a attendu d’être dans ses pénates pour révéler la teneur de ce que les deux chefs d'État se sont dit quant au souci que constitue pour chacun d’eux la présence et l’impact de l’islam politique.

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Le Président tunisien et les Belles-lettres
Tout le monde, en Tunisie et ailleurs, sait de quelle manière Al-Sissi fait face à un tel souci, par l’éradication impitoyable de toute activité ou manifestation de ce qu’on appelle «l’islamisme». Le Président tunisien est, certes, loin de vouloir s'engager sur le même chemin, mais c’est par une violence rhétorique et lexicale qu’il répond. Depuis la grande mosquée Zitouna à Tunis et en marge d'une allocution solennelle à l’occasion du premier jour du mois de ramadan, il décrète que la Tunisie ne connaît ni ne reconnaît le terme «d’islamiste». Cette dichotomie musulman-islamiste n'est qu'une «manœuvre dont l'objectif est de semer la discorde et la division dans la société». Seul le mot «musulman» a un sens, «et nous avons toujours été musulmans». Cela est confirmé comme un constat serein dès l’article inaugural de la Constitution, et la Tunisie n’a nul besoin de la voix redondante d’un parti politique qui userait de cet islam comme d’une enseigne ou d’une patente.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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