Relations Turquie-Algérie: «il y a un degré de "sultanisme" dans ces investissements turcs»

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Rencontre entre le Président Tebboune et le Président Erdogan  - Sputnik Afrique, 1920, 04.06.2021
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Le Président algérien Tebboune n’a pas tari d’éloges en évoquant les relations de la Turquie avec son pays. Une position peu étonnante, juge le géopolitologue Yahia Zoubir, qui explique à Sputnik comment Ankara est dans un jeu de séduction politico-économique visant à étendre l’influence turque au Maghreb.

«L’Algérie a d’excellents rapports avec les Turcs», s’est félicité le Président algérien Abdelmajid Tebboune dans les colonnes du Point, le 3 juin.

Comment d’ailleurs ne pas chérir cette relation? Ankara a «investi près de cinq milliards de dollars en Algérie sans aucune exigence politique en contrepartie», se félicite le chef d’État algérien. Et tant pis pour les cyniques, critiques de cette entente: «ceux que cette relation dérange n’ont qu’à venir investir chez nous!», a taclé Tebboune.

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En 2018 déjà, l’Agence nationale pour le développement des investissements déclarait que la Turquie avait dépassé la France en tant que premier investisseur étranger en Algérie. L’écart n’a cessé de se creuser depuis. L’Algérie est aujourd’hui le deuxième partenaire commercial de la Turquie en Afrique, tandis qu’Ankara se classe au premier rang des pays ayant le plus investi en Algérie ces dernières années. Lors de sa visite en Algérie en janvier 2020, Recep Tayyip Erdogan avait fait état de 377 projets d’investissements turcs en Algérie.

«Il y a effectivement une importante coopération sur le plan économique, notamment dans le domaine de la construction ou des énergies. Cinq milliards de dollars d’investissements, c’est énorme», insiste Yahia Zoubir, géopolitologue algérien, au micro de Sputnik.

Celui-ci n’est pour autant pas dupe. Il n’y a pas «d’argent magique», diraient certains. La manne financière turque en Algérie n’est pas, comme l’affirme le Président Tebboune, «sans aucune exigence politique en contrepartie

«Il y a un degré de “sultanisme” dans ces investissements turcs. Ils souhaitent reprendre de l’influence dans les anciennes zones ottomanes du Maghreb», affirme le professeur en relations internationales à la Kedge Business School et spécialiste du Grand Maghreb.

Pour lui, la Turquie est en train de reprendre pied dans ce qui s’appelait jadis la régence d’Alger, état vassal de l’Empire ottoman. Au-delà de l’aspect économique, certes central, Ankara dispose de nombreux arguments pour atteindre ses objectifs dans sa relation bilatérale avec Alger.

Jeu de séduction politique et culturel

Au niveau de leurs dirigeants pour commencer, les deux pays entretiennent des relations très cordiales. Les ministres et autres diplomates des deux pays se reçoivent régulièrement. Le Président Tebboune a d’ailleurs affirmé le 3 juin avoir été invité par la Turquie pour une prochaine visite officielle.

«Les rapports de gouvernement à gouvernement sont très bons, il y a une réelle entente entre les dirigeants des deux pays», confirme Yahia Zoubir.

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À titre d’exemple, la Turquie a remis en 2020 l’adjudant-chef à la retraite Guermit Bounouira aux autorités algériennes. Cet ex-cadre militaire algérien en fuite disposait de nombreux secrets d’État algériens et tentait de négocier sa naturalisation en Turquie. «C’est un signal fort des autorités turques de leur volonté de coopérer avec Alger», estime le géopolitologue.

Le degré de pénétration des moyens culturels et politiques turcs dans la société algérienne est également considérable. Il y a par exemple «une importante présence de la Turkish Airlines», et ce «dans des villes ou d’autres compagnies présentes en Algérie ne vont pas.» La compagnie aérienne turque achemine également des courriers de l’Algérie vers La Mecque et inversement, un fait significatif dans un pays toujours très attaché à sa religion.

Le Soft Power turc en action

Sur le plan culturel également, les échanges sont nombreux. Des mosquées datant de l’époque ottomane sont encore présentes dans le paysage algérien, rappelle le chercheur. Les deux parties n’hésitent d’ailleurs pas à rappeler les plus de 500 ans d’histoire qui lient les deux pays. En 2016, ils ont d’ailleurs célébré 500 ans de relations bilatérales.

Comme une considérable partie du monde arabe, les Algériens sont d’avides amateurs de séries télévisées turques. Véritable instrument du Soft Power d’Ankara dans la plupart des pays de l’ancien Empire ottoman, l’impact des séries turques a été théorisé par de nombreux articles académiques, comme celui de Nehir Ağirseven et Armağan Örki, Évaluation des séries télévisées turques en tant qu’instruments de Soft Power.

Divergences géopolitiques et idéologiques?

Il existe également d’importants liens familiaux entre les deux pays. «Il y a même désormais une diaspora algérienne en Turquie», souligne le professeur de la Kedge Business school.

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Des questions méritent toutefois d’être posées sur cette alliance qui semble au premier abord idéologiquement contre nature. En effet, la Turquie est un soutien fidèle du mouvement islamiste des Frères musulmans*. Une faction politique qui peut représenter un danger pour le pouvoir algérien, souvent perçu comme loyal à une doctrine nationaliste arabe, véritable antithèse idéologique du mouvement frériste. Et pourtant, l’obstacle ne semble pas poser de souci insurmontable:

«L’Algérie n’a pas de problème avec les Frères musulmans*, elle a un problème avec les islamistes radicaux et salafistes radicaux violents. Pour les islamistes qui ne sont pas violents, il n’y a pas de problème, les Frères ont d’ailleurs un parti politique, le mouvement de la société et la paix», relativise Yahia Zoubir.

Tant qu’ils ne sont pas violents donc, circulez, il n’y a rien à voir. Tout n’est toutefois pas rose dans les relations entre les deux pays. En particulier aux yeux d’une importante partie de l’opinion publique algérienne, qui reproche à Ankara certains choix géopolitiques.

«De nombreux Algériens regrettent le fait que la Turquie entretienne des relations, si minimes soient-elles, avec l’État d’Israël», rappelle le professeur en relations internationales.

Très attachés aux combats d’autodétermination des peuples et d’émancipation face au colonialisme du fait de leur histoire, les Algériens regardent d’un œil sceptique le développement de relations avec un pays qui entretient des liens avec Tel Aviv.

De même, «les Algériens reprochent à Ankara son appartenance à l’Otan», organisation qu’ils ne goûtent que très peu et à qui ils reprochent massivement son intervention en Libye, explique le spécialiste du Grand Maghreb.

Des divergences qui ne semblent toutefois pas être d’importance pour les dirigeants algériens qui voient, pour l’heure, le verre des relations bilatérales à moitié plein. Voire plein.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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