«Tout cela a un parfum d’élections présidentielles. Les jeux étant probablement plus incertains que d’habitude, c’est un pare-feu supplémentaire afin que les braves gens puissent comprendre où est leur intérêt et qu’ils votent dans le bon sens», estime d’emblée Claude Chollet, président de l’Observatoire du journalisme (OJIM).
La création d’une agence nationale de lutte contre les manipulations de l’information en provenance de l’étranger a été annoncée le 2 juin par Stéphane Bouillon, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Cet office de lutte contre les fake news dépendra de la SGDSN, une agence intergouvernementale placée sous l’autorité du Premier ministre. L’organisme, qui n’a donc rien d’indépendant, verra le jour d’ici les élections législatives allemandes, le 26 septembre, qui feront ainsi office de test.
«Un prétexte pur et simple»
«À tout seigneur, tout honneur, c’est dirigé contre la Russie», réagit le président de l’OJIM, qui s’amuse aussi du calendrier de cette annonce, qui intervient juste après les révélations de la télévision danoise sur une nouvelle affaire d’espionnage par la NSA de hauts responsables européens, notamment français. Ne faudrait-il pas mieux créer une agence contre «les manipulations de l’info et l’espionnage en provenance des États-Unis?», ironise Claude Chollet.
Le président de l’OJIM voit surtout dans cette initiative gouvernementale une «fusée à étages», qui «va se révéler au fur et à mesure que le mois de mai va se rapprocher en envoyant un certain nombre de satellites protecteurs dans l’espace.» Des satellites qui pourraient par exemple prendre la forme d’une nouvelle proposition de loi Avia.
Extension du domaine de la censure?
Celle-ci, dite contre «les discours de haine sur Internet», visait à pousser les plateformes en ligne à supprimer tout contenu signalé comme haineux en moins de 24h. Bien que retoquée en juin 2020 par le Conseil constitutionnel, elle pourrait bien revenir d’ici les Présidentielles, pense notre intervenant. Une loi, «sortie par la porte» et qui reviendrait «par la fenêtre» en somme.
«C’est faire d’une pierre deux coups. On dénonce des tweets provenant de certaines organisations contre lesquelles tout le monde est d’accord de lutter puis, par ricochet, vous allez pouvoir surveiller un certain nombre de sites, de médias, de personnes.»
S’ajoute à la loi avortée la création fin 2019 par l’exécutif d’un Conseil de déontologie de la profession de journaliste (CDJM). Son ambition: émettre des avis sur les «fautes éthiques» et «déontologiques» commises par des journalistes, sur la base de signalements. Pour l’heure, un «flop».
La nouvelle initiative n’est donc aux yeux de Claude Chollet qu’«un prétexte pur et simple» pour donner un tour de vis sur le contrôle de l’information et par extension sur le débat démocratique. «c’est une fois de plus un nouveau déni de démocratie, une tentative de contrôler le débat et la liberté d’expression, qui n’en ont pas vraiment besoin en ce moment», estime-t-il.
«Un nouveau déni de démocratie»
Suffira-t-il de tweets émis de l’étranger critiquant l’exécutif ou soutenant un opposant pour constituer une «manipulation» et qualifier une personnalité politique française «d’agent de l’étranger»? Un cas de figure qui pourrait directement concerner Marine Le Pen ou Thierry Mariani, aujourd’hui candidat RN aux élections régionales en PACA.
Une accusation confortée par les propos de l’eurodéputé LREM Stéphane Séjourné. Dans L’Opinion, celui qui est aussi conseiller politique du Président de la République, estimait nécessaire de revoir «l’arsenal législatif et réglementaire» pour contrôler le contenu éditorial de CNews. Le média, qui se fait remarquer par la présence de Pascal Praud et d’Éric Zemmour, serait en effet, à en croire l’élu, «entré dans une politisation à outrance».
Un coup de semonce qui serait loin d’être un hasard, selon Claude Chollet:
«CNews, on aime ou on n’aime pas, mais ils ont le mérite d’introduire un peu de pluralisme. Et c’est cette petite dose de pluralisme qui devient insupportable. C’est un signe que les médias de grand chemin, leurs commanditaires, les autorités, s’en inquiètent», estime Claude Chollet, avant de conclure, malicieux: «… ce qui est peut-être un bon signe».
Depuis le début du mois de mai, la chaîne du groupe Canal+ s’est en effet hissée pour la première fois depuis sa création en tête des audiences des chaînes d’info et continue de réduire l’écart avec sa grande concurrente, BFMTV, dirigée par Marc-Olivier Fogiel, qui se définit lui-même comme «très proche» d’Emmanuel Macron.