«Je suis désolée, mais, “aimez-vous les uns les autres”, c’est bon pour les curés. La loi républicaine ne peut pas vous obliger à aimer les autres. Ne pas aimer, critiquer, cela n’est pas provoquer à la haine, ni au meurtre, ni à quoi que ce soit!», réagit auprès de Sputnik Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université Rennes-I et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel.
Du côté des politiques, les réactions vis-à-vis de la censure de ce texte particulièrement controversé ne se sont pas fait attendre: «il n’y a quasiment que le titre qui est constitutionnel» ironisait sur Twitter le chef de file des Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, à l’origine de la saisine de l’institution.
«Laissez-nous mal penser!»
Le Conseil constitutionnel «se serait déshonoré» à donner son aval à une telle loi, affirme quant à elle Anne-Marie Le Pourhiet. Si le style et le fond de cette réponse des juges «manque de panache» à ses yeux, la juriste confie néanmoins sa «bonne surprise» à l’annonce d’une telle décision de l’institution du Palais Royal. Notre interlocutrice estime en effet que cette dernière avait jusqu’à présent «tout laisser passer» en matière de délits de presse.
«La presse, les médias, doivent vivre avec une quantité raisonnable de propos injurieux, calomnieux et qui déplaisent. Il faut qu’on puisse vivre avec un minimum de politiquement incorrect, voire très incorrect!», martèle Anne-Marie Le Pourhiet.
Au-delà d’un potentiel pied de nez au Conseil d’État, qui «n’avait rien trouvé à redire» au texte, cette décision du Conseil constitutionnel est à ses yeux une véritable «gifle» pour la députée de la majorité Laetitia Avia et pour le gouvernement qui a soutenu un tel projet.
Revenant sur les délais intenables de retrait, de 24h voire d’une heure suivant le contenu, Anne-Marie Le Pourhiet estime qu’une telle loi aurait placé les opérateurs dans une situation intenable et n’aurait débouchée que sur une systématisation de l’autocensure.
«On n’est pas obligé d’aimer tout le monde»
Un argument, à propos duquel la LICRA avait d’ailleurs écrit au Conseil constitutionnel. Dans un courrier en date du 15 juin et ajouté aux «contributions extérieures» de la décision du Conseil, le président de l’association antiraciste estimait qu’«à supposer ces arguments fondés, ils n’entrent pas dans le champ de votre saisine». La LICRA estimait ainsi qu’il n’appartenait pas au Conseil constitutionnel «de mesurer la faisabilité technique et le niveau de confort de mesures de contrainte dont la charge incombera à un opérateur privé». La plus haute juridiction du pays en a visiblement décidé tout autrement.
Du côté de la majorité, ce n’est que partie remise, à en croire le communiqué de presse de Leatitia Avia, publié dans la foulée de la décision du Conseil du constitutionnel. Cette dernière constitue, pour la députée de Paris, une «feuille de route pour améliorer un dispositif»: «il ne s’agit pas de renoncer à ce combat pour la protection des internautes, victimes ou témoins de la haine en ligne», assure-t-elle.
Bien qu’Anne-Marie Le Pourhiet ne porte pas les réseaux sociaux dans son cœur, les contrôler sans abus lui apparaît comme «impossible»: «Le mental de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui est profondément illibéral», regrette-t-elle.
«On n’est pas obligé d’aimer tout le monde, […] la liberté, c’est ça! J’ai le droit de ne pas aimer tout le monde et personne ne peut m’y obliger […] personne ne peut nous obliger à approuver tel ou tel comportement. On nom de quoi serais-je tenu d’approuver le comportement de mon voisin?» se demande la juriste au micro de Sputnik.
Dans le détail des votes du 13 mai au Palais Bourbon, qui a vu le texte de loi l’emporter à 355 voix contre 150 et 47 abstentions, tous les députés LREM, Modem, UDI, Agir et indépendants, ont à de rares exceptions près voté le texte. Seuls Les Républicains et la France insoumise– à l’exception de quatre abstentionnistes LR– ont voté contre le texte. Les socialistes quant à eux, se sont contentés de s’abstenir.