Depuis le 21 mai, la campagne électorale pour les élections législatives anticipées du 12 juin bat son plein en Algérie. Les partis politiques et les candidats libres qui participent à ce scrutin ont du mal à susciter l’intérêt des Algériens ce qui, selon beaucoup d’observateurs, présage d’un nouveau record d’abstention à l’instar de ce qu’il s’est passé lors du référendum sur la Constitution en décembre 2020.
Les raisons en sont multiples. En effet, en plus des revendications politiques relatives notamment à un changement radical du système de gouvernance, la difficile situation économique et financière du pays y est pour beaucoup. La chute des prix du pétrole en 2014 a mis en difficulté l’économie algérienne qui a connu une fusion de réserves de changes, passées de près 180 milliards de dollars à la fin de cette même année à moins de 50 milliards actuellement. Ceci, dans un contexte difficile généré par la crise sanitaire du Covid-19, marqué par une érosion du pouvoir d’achat, une inflation des prix des produits alimentaires, une importante dépréciation de la monnaie nationale et une fulgurante augmentation du chômage.
Ainsi, dans sa dernière mise à jour, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface) a classé l’Algérie dans la catégorie D des pays à «risque très élevé» estimant «incertaines» ses perspectives économiques et financières.
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) May 31, 2021
Alors que l’Algérie n’a pratiquement pas d’endettement extérieur, qu’est-ce qui motive donc la notation de la Coface qui aura certainement un impact négatif sur la possibilité de retour de ce pays à l’emprunt sur les marchés financiers internationaux? Sachant que son évaluation sera prise en considération par ses consœurs de tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France cherche-t-elle à user du lever financier pour faire pression sur l’Algérie? À quels fins?
Dans un entretien accordé à Sputnik, l’ex-colonel des services de renseignement algériens, Abdelhamid Larbi Chérif, également président du parti Alliance pour le changement (ANC) en attente d’agrément, estime que «la France a choisi de ne pas soutenir l’Algérie dans cette phase, contrairement à sa position à l’égard du Maroc et de la Tunisie». Pour ce spécialiste des questions sécuritaires et des politiques de défense, cette «position a des justifications économiques endogènes liées à ces trois pays, mais elle offre également à la France un important levier pour négocier avec l’Algérie, notamment sur le dossier sécuritaire au Sahel».
«Une économie qui boit son pétrole jusqu’à la lie»
«Nous avons une économie qui boit son pétrole jusqu’à la lie sans développer par ailleurs l’industrie dans tous ses segments, l’agriculture et l’agroalimentaire, la recherche et le développement, une éducation de qualité, un système de santé viable, etc.», ajoute l’expert, rappelant que «le pouvoir de Bouteflika avait dilapidé plus de 1.000 milliards de dollars dont au moins 700 milliards sont allés à l’importation de biens et de services d’Europe, en particulier de France».
Ainsi, M.Larbi Chérif explique que de ce point de vue, «la Coface a tout à fait raison d’attribuer la note D à l’Algérie, en dépit du fait que le pays n’a pratiquement pas d’endettement extérieur, mais qui a une dette interne de près de 70% du PIB». Ceci se justifie par le fait que «l’économie algérienne, dont les hydrocarbures constituent l’essentiel des exportations, est considérée comme insolvable suite à la chute des prix du pétrole, au moment où les autres secteurs productifs qui auraient pu prendre la relève sont toujours à un état embryonnaire».
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Quid du Maroc et de la Tunisie?
Selon les notes de la Coface, la dette publique marocaine est de 76% du PIB, dont 67% est extérieure. La Tunisie, quant à elle, a une dette publique de 91% du PIB dont 67% est également extérieure. En dépit du niveau de leur endettement extérieur, la Coface a accordé la note B au Maroc et la C à la Tunisie, concernant le risque en matière de perspectives économiques et financières.
Sur le registre du climat des affaires, l’Algérie a eu la note C, contre A-4 pour le Maroc et B pour la Tunisie. Ainsi, au vu de ces évaluations, la Coface juge les économies marocaine et tunisienne comme plus solides et plus solvables que l’algérienne.
«En dépit des disparités sociales qui marquent les économies des trois pays, la Coface estime que prêter au Maroc et à la Tunisie est plus sûr pour les banques françaises et européennes que d’accorder des crédits à l’Algérie», constate Abdelhamid Larbi Chérif, soulignant que «la raison est claire: ces deux pays arrivent à exporter des produits industriels et agroalimentaires, même si près de 70% des intrants sont importés. Du moment que ces deux pays arrivent à engranger des devises au-dessus de ce qu’ils importent, ils sont considérés comme solvables, ce qui n’est pas le cas de l’Algérie».
«La dette, un instrument de chantage redoutable»
Outre la situation financière difficile dans laquelle se trouve l’économie algérienne, il n’en demeure pas moins que ce pays a un énorme potentiel de développement qui pourrait bien être valorisé. Pour quelle raison donc la Coface, qui est un organisme public français, assène-t-elle un coup dur à l’Algérie à la veille des élections législatives?
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«Deux raisons importantes sont à évoquer», estime l’interlocuteur de Sputnik: «la première, est que depuis l’élection du Président Tebboune en décembre 2019, il n’y a pas de changements palpables dans la gestion de l’économie et de la gouvernance du pays en général».
«La majorité écrasante des Algériens considèrent le gouvernement actuel comme l’un des plus mauvais depuis l’indépendance du pays en 1962, alors que la situation est gravissime en termes d’explosion de la pauvreté, de recul du service public et de manque d’horizon pour les jeunes, notamment les diplômés».
Dans ce contexte, il rappelle que «le Président de la République et son gouvernement ont fait le choix d’arrêter les grands projets, de baisser drastiquement les importations, du moins les compressibles, pour compenser le déficit budgétaire, sans grand succès. Ceci les a conduits à puiser dans ce qui reste comme réserves de changes. Par ailleurs, le chômage a augmenté, la monnaie s’est encore dépréciée, affaiblissant davantage le pouvoir d’achat des Algériens, sans compter le nombre d’entreprises qui ont déposé le bilan».
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— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) May 31, 2021
Ainsi, pour Abdelhamid Larbi Chérif, tout économiste sérieux qui a un tant soit peu de compétence en macroéconomie, reconnaîtra que «les déclarations des autorités algériennes concernant le non recours à l’endettement extérieur ou à la planche à billet sont tout simplement intenables et à très court terme, deux ans au plus tard!» «Et c’est comme ça que la dette extérieure deviendra un instrument de chantage redoutable, en plus de tous les autres moyens de pression dont dispose la France».
Que fera l’Algérie après le 12 juin?
Et d’expliquer que «l’Algérie a une facture d’importations incompressible de plus de 30 milliards de dollars. Que se passera-t-il quand elle n’aura plus les moyens d’y faire face? Elle sera tout simplement contrainte d’emprunter sur les marchés internationaux. Or, la note qui lui a été accordée par la Coface va lui rendre la tâche très difficile pour ne pas dire impossible, en plus du fait qu’elle n’a plus les compétences d’avant pour négocier ce genre de prêts. Et c’est là où toutes les portes au chantage seront ouvertes aux grandes puissances occidentales, notamment la France».
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En effet, «l’embrasement du Sahel, où l’armée française est engagée dans le cadre de l’opération Barkhane qui a succédé à Serval, serait probablement l’un des dossiers contre lequel la France va troquer un éventuel prêt financier de la part de banques françaises ou européennes. La France ne manquerait pas d’exiger l’intervention de l’armée algérienne pour sécuriser toute la région du Sahel où les gouvernements sont fragilisés soit par des coups d’État, soit par la prolifération du terrorisme et du banditisme transnational. Pour l’instant, l’armée algérienne continue de refuser ce scénario».
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Enfin, Abdelhamid Larbi Chérif s’interroge: que fera l’Algérie après le 12 juin? Alors que la plus grande partie des listes électorales sont issues de la société civile et que les partis qui y participent n’ont plus de crédibilité auprès des Algériens, il est clair que la prochaine Assemblée sera faible. Sera-t-elle capable de dire non à tout aventurisme militaire en dehors de nos frontières tout en sachant que les capacités financières de l’État sont en train de fondre comme neige au soleil?» «L’avenir nous le dira!», conclut-il.
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) May 31, 2021