La campagne électorale pour les élections législatives anticipées débutera vendredi 21 mai en Algérie. Prévues le 12 juin, elles interviennent dans un contexte tendu, marqué par la poursuite des marches populaires hebdomadaires des vendredis et mardis (sortie des étudiants) du Hirak, lors desquelles des arrestations ont lieu pratiquement chaque semaine. Dans le même sens, les autorités, qui ont imposé une demande d’autorisation pour chaque manifestation précisant les organisateurs et slogans qui seront scandés, ont empêché ces derniers jours plusieurs marches avec l’intervention des forces de police, notamment dans la capitale Alger.
Ainsi, la crise politique qui couve depuis février 2019, ajoutée à la dégradation de la situation économique et financière aggravée par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, a généré une sorte de désespoir et de démission au sein de la population algérienne qui présagent un taux d’abstention record lors de ce prochain scrutin, à l’instar de ce qui s’est passé lors du référendum sur la Constitution de décembre 2020, selon certains observateurs.
Dans ce contexte, quel impact auront ces élections législatives sur la situation dans le pays? Quelle sera la réaction des Algériens qui arpentent encore les rues des villes si les autorités valident les élections en dépit d’un faible taux de participation? Quelle serait la démarche la plus judicieuse à même de fédérer toutes les franges de la société autour d’une solution consensuelle à la crise?
Dans entretien accordé à Sputnik, l’ex-colonel des services de renseignement algériens Abdelhamid Larbi Chérif, également Président du parti Alliance nationale pour le changement (ANC) toujours en attente d’agrément, estime que «ces élections législatives ne seront d’aucune aide pour résoudre les problèmes gravissimes dont souffre l’Algérie, et ce pour plusieurs raisons».
«Les conditions ne s’y apprêtent pas»
À ses débuts le 22 février 2019, le Hirak, qui a mis fin à 20 ans de pouvoir de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika, avait suscité un énorme espoir de changement radical au sein de la société algérienne. En décembre 2019, l’élection d’Abdelmadjid Tebboune au poste de Président de la République a dégagé une configuration politique triangulaire au sein de la société algérienne. En effet, il y a ceux qui ont participé aux élections pour donner une solution à la crise dans un cadre constitutionnel. Il y a ceux qui ont refusé le processus électoral, estimant qu’une phase de transition était nécessaire et qui animent essentiellement la seconde vague du Hirak de février 2021. Enfin, il y a ceux qui se sont abstenus et qui représentent la majorité silencieuse.
«Quel que soit le bord où ils se trouvent, les Algériens aspirent à un changement radical pacifique du système afin de mettre le pays sur le chemin de la modernité et du développement», affirme l’ex-officier supérieur, soulignant que «malheureusement, près d’une année et demie après l’élection du Président Tebboune, pratiquement rien n’a changé». «Le champ politique et médiatique demeure verrouillé, empêchant tout débat démocratique dans la société sur la base de projets et de programmes capables de susciter l’adhésion de la population algérienne», ajoute-t-il, jugeant que «les conditions pour l’organisation de ces élections législatives ne s’y apprêtent pas».
Dans le même sens, M.Larbi Chérif rappelle qu’outre son parti, dix autres nouvelles formations politiques ayant émergé dans le sillage du Hirak de février 2019 n’ont toujours pas eu leur agrément. Il explique que «le pouvoir tente de passer en force en recyclant d’anciennes figures et en s’appuyant sur des partis politiques ayant pris part, dans le passé, à la gestion catastrophique du pays […]. À ceci s’ajoute également la tentation de l’élection d’une assemblée formée en bonne partie par des indépendants issus du milieu associatif et de la société civile, sans programme ni vision, qui in fine feront uniquement de la figuration face à l’exécutif et à la présidence de la République».
Quid de la situation après les élections?
Les Algériens qui participent au Hirak jurent de ne jamais s’arrêter jusqu’à ce qu’il y ait un changement réel de système à même d’ouvrir une nouvelle ère de gouvernance politique et économique du pays. Mais sans direction ni projet clair, ce mouvement s’est laissé infiltré par des organisations aux agendas extérieurs autres que les objectifs pour lesquels les millions de citoyens algériens sont sortis en février 2019. En effet, l’apparition de slogans qualifiant l’armée et les services de renseignement «d’organisations mafieuses et terroristes» laisse penser que certaines parties cherchent à aller vers l’affrontement avec les forces de l’ordre dans le but de semer le chaos dans le pays.
Cependant, cet état de fait ne saurait servir d’alibi pour étouffer toute contestation populaire, sous le prétexte de la manipulation du Hirak par des forces étrangères. En effet, les arrestations les semaines dernières de Hosni Kitouni, chercheur en histoire et d’Abderrahmane Hadj-Nacer, ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, dont la probité morale et intellectuelle ainsi que le patriotisme ne sauraient être remis en cause (tous relâchés depuis, mais dont certains seront convoqués par la justice), en sont des exemples. Ceci en plus des dizaines d’étudiants, de journalistes et de militants.
لمن يسال عن النخبة،قل لهم ذابوا في الحراك
— ⵣ Algerian dzⵣ 🇩🇿 🇪🇭 🇵🇸 (@samgroom2) May 16, 2021
عينة فقط من معتقلي قسنطينة
البروفيسور جمال ميموني:أستاذ قسم الفيزياء
وهاب بوشارب،سعاد ساسي:أساتذة كلية الهندسة المعمارية
رشيدة عصابة:أستاذة قسم الكيمياء
المؤرخ حسني كيتوني
ناصر جبار:أستاذ قسم التاريخ
علي بولطيف:أستاذ بقسم الفيزياء pic.twitter.com/iaYPgEdkOy
Ainsi, pour l’interlocuteur de Sputnik, «en dehors des tentatives de dévoiement du Hirak dans sa nouvelle version par des acteurs nettement identifiés [dont l'organisation Rachad et certaines ONG financées par NED américaine, ndlr], la majorité des Algériens ne cherchent pas à brûler leur pays, bien au contraire. Ils veulent un changement salutaire du système à même de libérer toutes les forces vives et créatrices patriotiques».
«Il y a certainement nécessité de faire barrage à toutes les manipulations servant des agendas étrangers. Néanmoins, il n’est pas possible de balayer d’un revers de main toutes les causes internes politiques et économiques qui poussent les Algériens à la révolte». À ce propos, Abdelhamid Larbi Chérif pointe «la misère, la hausse vertigineuse de la pauvreté suite à la dépréciation de la monnaie nationale et aux poussées inflationnistes, le chômage, le délitement du service public, de l’école et de l’hôpital, le manque d’horizons pour les jeunes, notamment diplômés, et enfin la déconfiture du tissu industriel de l’économie algérienne qui demeure liée à 98% aux exportations d’hydrocarbures».
Quelle solution à ce blocage?
Dans une vidéo publiée sur sa page Facebook, Réda Deghbar, professeur en droit constitutionnel, propose une solution de sortie de crise qui s’articule autour de trois vecteurs. Selon lui, le Hirak, qui fait face à une réelle contrerévolution qui cherche à le faire imploser, «est une partie de la solution et pas toute la solution».
Dans ce sens, le constitutionnaliste appelle le Président Tebboune à organiser des élections présidentielles anticipées d’ici une année et demie. Entretemps, il suggère le report des législatives du 12 juin, la mise en place d’une nouvelle composition de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) formée par des personnalités nationales indépendantes, et la levée de tous les obstacles pour l’organisation d’élections libres. Enfin, une fois les conditions réunies, il propose d’organiser des législatives pour élire une assemblée qui se chargera d’offrir une nouvelle Constitution au pays, consacrant les libertés, le droit et une réelle séparation des pouvoirs, et ce avant l’échéance fixée à la présidentielle anticipée.
Pour l’ex-officier supérieur, «quelle que soit la solution proposée, si les champs politique et médiatique demeurent fermés devant les nouvelles forces politiques jeunes, crédibles et intègres, il n’y a aucune chance pour que les choses changent». «Sans cette condition préalable, de nouvelles élections présidentielles ou législatives aboutiront au même statu quo», conclut-il.