Quatre experts nommés par le tribunal de Marseille dans le cadre de l’enquête sur des effets indésirables du Levothyrox, médicament du groupe pharmaceutique Merck destiné aux patients qui souffrent de troubles de la thyroïde et dont une nouvelle formule a été mise sur le marché français en septembre 2017, ont préparé un rapport d’expertise auquel Les Jours a pu accéder.
Le document dément la version de l’effet «nocébo» pour révéler des manquements sérieux du géant pharmaceutique et des insuffisances réglementaires de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Les problèmes révélés
Le rapport liste plusieurs questions problématiques relatives aux effets secondaires de la nouvelle formule du médicament au niveau pharmacologique et à l’évaluation des informations déposées par Merck auprès de l’ANSM.
Les experts notent un risque de non-respect des conditions de fabrication identiques sur deux différents sites de Merck en Allemagne et en Espagne qui explique une action modifiée de la lévothyroxine, principe actif du Levothyrox, chez des patients.
Autre problème: le changement de la composition opéré sur la nouvelle formule, qui devrait permettre «l’obtention d’un médicament plus stable et qui présenterait la même efficacité thérapeutique», mais qui donne un effet plutôt inverse, selon les experts citant des études.
Le rapport critique également l’absence de «superposition des courbes de dissolution» du principe actif dans l’organisme dont la vitesse a changé dans la nouvelle formule par rapport à l’ancienne.
L’ANSM informée des problèmes?
Parlant d’«une similarité des profils de dissolution» dans les deux formules du Levothyrox, non prouvée par Merck, les experts se demandent pourquoi l’ANSM n’a pas effectué son propre test dont la méthode diffère de celle de la compagnie pharmaceutique.
Au cours de l’analyse du Levothyrox, médicament à marge thérapeutique étroite, quant à des failles réglementaires, le rapport estime que l’étude de «bioéquivalence moyenne» présentée par Merck au régulateur français est insuffisante pour démontrer que la nouvelle formulation est «interchangeable avec l’ancienne, pour un patient donné» et répondre au critère primordial de substituabilité.
Sur la base d’une note rédigée par l’ANSM elle-même stipulant que les génériques du Levothyrox ne sont pas substituables, les spécialistes désignés par le tribunal concluent que l’agence était dès 2017 «consciente» des problèmes potentiels de la mise sur le marché d’un nouveau Levothyrox.
Crise de confiance en pleine crise sanitaire
Les questions que le rapport d’expertise de l’enquête sur le Levothyrox a posées risquent de donner un nouveau souffle à cette affaire sanitaire qui s’ajoute aux scandales de la Dépakine, de l’essai mortel du Biotrial et de l'Uvestérol D au milieu desquels l’ANSM s’est retrouvée ces dernières années.
Sans oublier, dans le contexte de la pandémie de coronavirus, les déclarations de l’ancien directeur général de l’ANSM, Dominique Martin, qui a justifié l’autorisation temporaire d'utilisation (ATU) accordée au Remdesivir, antiviral produit et vendu à prix d'or par le laboratoire américain Gilead et déconseillé par l’Organisation mondiale de Santé (OMS) qui juge le médicament inefficace.
Commission d'enquête sénatoriale le 22 octobre : "cette grande étude extrêmement solide qui a montré cette réduction d'hospitalisation", Dominique Martin justifiant l'ATU de cohorte accordée au #remdesivir.#COVID19france #Gilead 🤡
— Anne-Cécile Chaudré (@ACChaudre) November 27, 2020
Via @seb75300. pic.twitter.com/65hCZU4NZg
Dans une société tourmentée par le Covid-19, l’affaire du Levothyrox – avec le principal acteur du système français de pharmacovigilance en vedette – est l’épisode de trop qui apporte non seulement de l’eau au moulin des vaccino-sceptiques, mais accentue aussi une crise de crédibilité dans un domaine qui a pourtant besoin de confiance.