La rivalité entre Paris et Moscou en Afrique est de nouveau mise en avant pour tenter d’expliquer les dessous de la crise politique malienne. Selon certains médias locaux, Bah N’Daw désormais ex-président de transition, aurait écarté Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministre de la Défense et ministre chargé de la Sécurité, sur instruction de L’Élysée. L’objectif étant d’empêcher la conclusion d’un «accord d’achat d’armement avec la Russie». L’éviction, lundi 24 mai, de ces deux colonels lors du remaniement gouvernemental a donné lieu, dès le lendemain, à un «coup d’État dans le putsch» ordonné par le colonel Assimi Goita, véritable détenteur du pouvoir depuis le renversement de président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020. Houssine Ag Aïssa, journaliste malien spécialisé dans les questions politiques du Mali et des pays du Sahel, a indiqué à Sputnik que cette histoire de blocage de l’accord d’armement a fait réagir, jeudi 27 mai, «un groupe de citoyens maliens qui a organisé une manifestation de soutien devant l’ambassade de Russie à Bamako».
#Mali Devant l’ambassade de Russie à #Bamako une centaine de personnes manifestent pour réclamer la départ de la France et réclamer une aide de la Russie au pays. pic.twitter.com/f8iAmdeYzh
— Morgane Le Cam (@MorganeLeCam) May 27, 2021
La colère des colonels
Houssine Ag Aïssa explique que l’ex-Président de transition, Bah N’Daw, a procédé à un remaniement du gouvernement dès son retour du Sommet sur le financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris du 17 au 20 mai.
«C’est lors de ce sommet que Bah N’Daw a rencontré le Président Emmanuel Macron et lui a remis des documents sur cet accord d’armement entre le Mali et la Russie. Cet accord était supervisé par le ministre de la Défense Sadio Camara, qui a été écarté lors du remaniement du gouvernement. C’est ce qui a provoqué la colère des militaires maliens. Le colonel Assimi Goita a donc organisé un second putsch contre Bah N’daw et son Premier ministre Moctar Ouane», souligne Houssine Ag Aïssa.
«Ce contrat d’armement avait été négocié en juin 2019, lors de la signature d’un accord stratégique entre le Mali et la Russie. L’accord n’a d’ailleurs jamais été remis en cause. L’achat d’hélicoptères et les contrats de maintenance avaient été engagés. Il n’y a aucune volonté de la France de casser cela car, bien évidemment, Paris encourage Bamako à se doter d’équipements. Donc je ne crois pas du tout à la thèse selon laquelle ce contrat d’armement serait la cause de cette situation d’instabilité politique. Cette histoire est une tentative de diluer les raisons de ce second putsch», insiste-t-il.
«Grosse maladresse»
Pour Emmanuel Dupuy, sur le plan opérationnel, «la France n’a aucun intérêt à bloquer un contrat d’armement russe au Mali, qui permet aux forces armées maliennes de se doter de nouveaux équipements. De plus, Paris ne pouvait pas se permettre et ne souhaitait pas fournir ces armes vu leur prix (élevé, ndlr)». Selon lui, il est important que l’armée malienne s’autonomise et puisse mettre en pratique la formation et l’entraînement que les Européens ont prodigué à ses soldats, à travers le programme de l’European Union Training Mission in Mali (EUTM) et les forces françaises Serval et Barkhane. Toutefois, il considère que l’éviction des deux colonels «est une grosse maladresse commise par le président N’Daw» qui pourrait être le résultat d’un changement «d’attitude du Président de transition et de son Premier ministre».
«Il a toujours été question d’un changement de gouvernement, il était souhaité de tous, à commencer par les militaires. Les véritables questions à se poser actuellement sont les suivantes: qui a donné l’impression à Bah N’Daw et à Moctar Ouane qu’ils pouvaient aller à l’encontre des lignes rouges qu’avaient tracées les militaires? Est-ce au niveau malien que certains ont fait passer un message pour ’’démilitariser le coup d’Etat’’ ? S’agit-il d’ambassadeurs à Bamako qui ont fait comprendre que, dans le cadre du processus électoral devant conduire à une normalisation politique, il fallait marginaliser les militaires? Ou bien encore, l’invitation du Président Macron au Président N’Daw à assister au sommet de Paris a-t-elle été interprétée comme une autorisation tacite d’agir ?», s’interroge le président de l’IPSE.
«Le président Macron a brandi la menace d’éventuelles sanctions contre les militaires maliens. Ce serait tout à fait hallucinant de passer à l’acte car c’est avec ces militaires que la France combat les terroristes. De plus, les autorités françaises ne peuvent pas tenir un double discours. Lors du Sommet de Paris, le Président français et son ministre des Affaires étrangères ont vanté les exemples positifs de transitions militaires au Tchad et au Soudan, puis quelques jours tard, se sont offusqués que des militaires maliens reprennent un pouvoir qu’ils avaient déjà. Il ne faut pas oublier que la France a justifié le modèle tchadien en disant que le modèle de transition militaire malien fonctionne», note-t-il.
Emmanuel Dupuy rejette également l’idée soutenue par certains officiels français selon laquelle l’action politique des militaires «est dangereuse et remet en cause l’efficacité de la lutte contre les groupes armés terroristes». «La preuve contraire est intervenue, lorsque l’armée malienne a éliminé Oumar Sambangna, chef djihadiste du fief djihadiste du Markaz, au centre de Bamako, et qui avait pris le maquis dans la région du Macina. Cette opération importante s’est déroulée le 23 mai, en pleine crise politique», ajoute-t-il.