«Le SCAF, avance! L’Europe de la défense se construit», s’est félicité Emmanuel Macron dans un tweet, espérant tacler ceux qui «pensaient impossible» un tel projet de coopération militaro-industrielle.
«Un grand pas a été franchi» s’enorgueillit, dans une vidéo pédagogique sur le projet, un porte-parole de la Direction générale de l’armement, responsable de la coordination de l’effort industriel côté français. Même son de cloche dans les rangs de la majorité à l’Assemblée.
Silence de plomb sur la préservation des intérêts tricolores
Reste pourtant à savoir quel est le contenu de ce fameux accord, dont rien ou presque n’a filtré. Le contenu du communiqué ne saurait être plus vague, s’apparentant à un simple satisfecit au sujet de cette «opportunité inédite de renforcer les atouts industriels des trois pays participants» à travers un «partenariat équilibré, large et approfondi». Peu loquace sur ce sujet, la ministre des Armées a fait savoir sur BFMTV que les détails de cet accord seraient communiqués «en temps voulu».
L’accord semble de plus avoir été obtenu au forceps, deux semaines après la date limite que s’étaient fixée Florence Parly et son homologue allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK)… le 20 avril. Cet accord politique est pourtant censé reprendre celui auquel étaient parvenus les industriels au début du même mois, selon La Tribune.
De fait, l’opacité entourant l’accord ne rassure guère les défenseurs des intérêts français. «Un “accord”, mais quel accord?» titre-t-on notamment du côté de L’Obs, où l’on rappelle à juste titre les réserves des industriels français sur ce projet. Rangés ces derniers mois derrière Dassault Aviation, désigné maître d’œuvre du projet, ces derniers ont fait part de plus en plus bruyamment de leurs craintes face aux coups de boutoir conjugués de leurs partenaires allemands et espagnols afin d’obtenir un large accès à leurs technologies.
Quand le politique l’emporte sur l’opérationnel
La tension avait atteint son paroxysme lorsqu’à l’issue d’un conseil de défense Franco-allemand début février, Angela Merkel avait déclaré face à la presse que les industriels allemands devaient être «à un niveau satisfaisant». Ainsi la chancelière avait-elle évoqué «les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership.»
Un mantra qu’a d’ailleurs réitéré la ministre allemande de la Défense, dans son tweet annonçant l’accord. «Une répartition équitable des lots de travaux et des droits de propriété intellectuelle est importante pour nous», a-t-elle ainsi précisé, sans s’encombrer d’allusions à la Défense européenne.
Seul Air & Cosmos donne un avant-goût du contenu de l’accord: «Airbus Espagne aura la charge de la furtivité», relate le média. L’espagnol Indra rejoint donc le 5e des sept piliers du projet, «simlab», ou cohérence d’ensemble, aux côtés de Dassault. «Un aspect sur lequel la société ne possède pas une grosse antériorité, au contraire de Dassault Aviation et d’Airbus Defense and Space Allemagne», fait remarquer le site d’information aéronautique.
Le «meilleur athlète», vraiment?
Une critique à peine voilée qui rappelle les interrogations qu’avait déjà suscitées la décision de confier à Airbus la conception des drones accompagnateurs. En effet, via le nEUROn développé avec les Britanniques depuis 2010, Dassault a prouvé sa nette avance dans ce domaine. Lors de son audition au Sénat mi-mars, le patron du fleuron industriel tricolore revenait sur son incompréhension quant au fait que la France ait «donné le leadership du drone à Airbus Allemagne» dans le cadre des négociations.
Des négociations qui semblent bien loin de respecter le principe du «meilleur athlète» autour duquel le projet est censé s’organiser. La crainte est donc de voir les considérations politiques de nouveau l’emporter, notamment afin de satisfaire l’Espagne qui a rejoint en cours de route le projet et apporté son financement.