La Tunisie au bord du gouffre économique: bientôt une nouvelle révolte?

© AFP 2024 FATHI NASRIUne manifestation en Tunisie
Une manifestation en Tunisie - Sputnik Afrique, 1920, 05.05.2021
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Alors que son économie a subi de plein fouet la pandémie de Covid-19, la Tunisie demande de nouveau l’aide du Fonds monétaire international. Pour la quatrième fois en une décennie! Le pays maghrébin devra promettre des réformes, mais celles-ci risquent bien d’entraîner la colère de la population. Analyse.

Cela deviendrait presque une habitude. Face à une situation économique plus que tendue, Tunis se tourne vers le Fonds monétaire international (FMI) afin d’obtenir de l’aide. Le quatrième appel à la rescousse en une décennie! Très touché par la pandémie de Covid-19, la Tunisie a vu sa dette extérieure atteindre la barre symbolique des 100 milliards de dinars (environ 30 milliards d'euros). Soit 100% du produit intérieur brut (PIB) du petit pays nord-africain.

​Plus grave: la Tunisie doit faire face à un remboursement de 4,5 milliards d’euros cette année. Le gouvernement a donc besoin d’une rallonge de 5,7 milliards d'euros afin de boucler son budget 2021. À l’instar de nombreuses nations, le pays a subi une récession record en 2020. Son PIB s’est effondré de 8,9%. Le FMI prévoit certes une croissance de 3,8% cette année, mais la situation sanitaire, toujours compliquée, pourrait balayer cet optimisme.

«Une dizaine de bluffs de réformes»

Résultat? Ali Kooli, ministre tunisien des Finances, s’est rendu à Washington. Il y séjournera jusqu’au 9 mai afin de négocier un prêt avec le FMI. La Banque mondiale ainsi que des représentants de l’Administration Biden devraient également être sollicités afin de garantir des emprunts. Déjà en 2013, alors que la Tunisie sortait à peine des printemps arabes, elle avait obtenu 1,7 milliard de dollars sur deux ans, avant de recevoir 2,8 nouveaux milliards sur quatre ans en 2016.

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Le cabinet du Premier ministre Hichem Mechichi a informé l’AFP que son gouvernement espérait un accord d’ici à fin juin sur un plan d’aide sur trois ans. Le montant restant à négocier. D’après Abdessalem Abbassi, conseiller économique du chef du gouvernement, un nouvel accord permettrait à la Tunisie d’obtenir 3,3 milliards d'euros pour 2021 auprès du FMI et d'autres bailleurs et investisseurs.

Problème: cet argent ne viendra pas sans conditions. Le FMI exigera des réformes. Ce que le fonds avait déjà fait par le passé. Et il pourrait cette-fois se montrer plus vigilant. «Sans verser dans le cynisme partisan, j’ai recensé une dizaine de bluffs de réformes économiques, promises officiellement au FMI et jamais menées à terme, puisque mal conçues, mal calibrées et impossibles à implanter comme telles», explique sur Kapitalis Moktar Lamari, docteur en sciences politiques.

Ce dernier note, par exemple, que «le gouvernement tunisien s’est engagé depuis 2017 à libérer au moins 25.000 fonctionnaires annuellement». «La Tunisie n’a rien livré à ce sujet, bien au contraire, plus de 80.000 postes de fonctionnaires ont été créés depuis 2018. Souvent par des emplois fictifs visant à absorber la grogne sociale et recruter les militants (sympathisants) des partis au pouvoir», analyse Moktar Lamari.

Les épineuses caisses de compensation

La masse salariale publique dépasse 17% du PIB en Tunisie. Les bailleurs de fonds considèrent ce taux d’un très mauvais œil. Et ce n’est pas le seul sujet brûlant. Les prêteurs demandent aussi une meilleure gestion des entreprises publiques. Fin mars, le gouvernement a signé un accord avec une grande centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Le texte prévoit la réforme de sept entités publiques. La compagnie aérienne Tunisair ainsi que la compagnie d’électricité Steg sont concernées. Abdessalem Abbassi a expliqué à l’AFP que son gouvernement souhaitait financer la restructuration de sociétés publiques par «la cession de ses parts dans les entreprises [...] non stratégiques» et celles où l'État «est actionnaire minoritaire». Reste à convaincre le FMI…

​Autre point qui risque d’être chaud au niveau social: les caisses de compensation. En Tunisie, ce sont notamment elles qui subventionnent des produits d’alimentation de base tels que le pain, les pâtes et le sucre et même le pétrole. Du côté du FMI, on souhaite les remplacer par des aides ciblées. Côté pouvoir d’achat, la décision prise en 2020 de mettre en place un ajustement automatique des carburants a amené une hausse des prix. Prochaine étape: le remplacement progressif des subventions sur les aliments de base par des aides directes aux familles.

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Difficile de savoir comment la population réagira à ces choix gouvernementaux. En 2018, de précédentes mesures d’austérité avaient déclenché d’importantes manifestations. Des membres de la société civile appellent à rééchelonner la dette plutôt que d’avoir recours à un emprunt. Il faut dire que, dix ans après les printemps arabes, qui avaient démarré en Tunisie, le pays est en proie à de vives tensions politiques et sociales. Et le Covid-19 n’a rien arrangé.

De quoi faire dire Hakim Ben Hammouda, ancien ministre de l’Économie: «La pandémie s'ajoute à des déficits publics qui se sont creusés depuis dix ans et à un modèle de développement fondé sur une main-d'œuvre bon marché qui s'est essoufflé depuis la fin des années 1990.» Signe d’une situation explosive, Tunisie Numérique rapporte que le député Mongi Rahoui a, à la suite de désaccords politiques, récemment appelé les Tunisiens «à se révolter» contre l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), le Parlement monocaméral du pays depuis la promulgation de la Constitution du 10 février 2014.

Un scénario à la libanaise?

«M. Mechichi et ses collaborateurs, qui cherchent par tous les moyens à obtenir un accord avec le FMI, quitte à prendre les engagements les plus insensés –et pour cause, ils sont bien placés pour savoir que leur "durée de vie" est largement tributaire de cet accord–, évitent de parler de ces sujets qui fâchent, alors que le pouvoir d’achat des citoyens s’amenuise et que le recours à la planche à billets risque de relancer l’inflation et de dévaluer davantage la monnaie nationale», avertit dans Kapitalis le journaliste Ridha Kéfi.

De son côté, Riadh Zghal, doyenne élue de la faculté des sciences économiques et de gestion de Sfax, a également fait part de l’atmosphère lourde qui pèse actuellement sur les rivages de Carthage. Dans les colonnes de Leaders, elle rappelle que, si la Tunisie «est passée par le premier stade d’enthousiasme d’après le soulèvement de 2011» et qu’elle a «échappé à la phase de la terreur avec ses pelotons d’exécution et ses guerres», le peuple tunisien s’est lui «installé depuis dans une anxiété croissante».

Une cure d’austérité sur le modèle de ce qui a été infligé à la Grèce à la suite de la crise de la dette pourrait faire office d’étincelle et allumer la mèche de la contestation sociale. Quoi qu’il en soit, il y a urgence comme le souligne Hakim Ben Hammouda: «Il y a un véritable risque de scénario à la libanaise, où l'État ne parvient plus à faire face à ses engagements.»

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