En divulguant un enregistrement audio du ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, des forces visent à semer «la discorde» à Téhéran, a déploré le chef d’État iranien Hassan Rohani ce 28 avril. Des regrets formulés juste après avoir demandé l’ouverture d’une enquête pour complot. La conversation, en off, s’était tenue entre un journaliste et le chef de la diplomatie iranienne. Dévoilée par Iran International, une chaîne basée à Londres, et appartenant à une entité saoudienne, elle fait trembler le régime des mollahs.
«Un règlement de comptes»
Une critique pour le moins malvenue, alors que Qassem Soleimani est désormais considéré comme un martyr et héros iranien. Le soir-même de la parution de l’enregistrement de Zarif, des voix s’élevaient au pays des mollahs, exigeant sa démission.
Qui voudrait donc semer «la discorde» au plus haut niveau en Iran?
D’après Gérard Vespierre, directeur de recherche à la Fondation d’études pour le Moyen-Orient (FEMO) et président de Strategic Conseils, il ne s’agit pas nécessairement de faire capoter les discussions actuelles sur le nucléaire iranien, comme ont pu le laisser entendre plusieurs analystes et Rohani lui-même. Pour notre interlocuteur, ces révélations visent surtout les élections présidentielles iraniennes de juin 2021:
«Ce qu’il vient d’arriver à Javad Zarif, c’est un règlement de comptes interne qui vise à l’éliminer en tant que candidat potentiel à la Présidentielle. Les Pasdaran [Gardiens de la révolution en farsi, ndlr] ont désormais une carte supplémentaire pour faire cavalier seul dans la course à la présidence», estime Gérard Vespierre.
En effet, le Président Rohani ayant effectué ses deux mandats consécutifs, il ne peut plus se présenter. Notre interlocuteur décrit un des enjeux du scrutin: «Pour le camp “modéré”, le candidat naturel à la succession de Hassan Rohani, c’est Javad Zarif.»
«En Iran, le décisionnaire final, c’est le guide suprême»
La fuite vient confirmer les tensions dans les coulisses du pouvoir à Téhéran:
«En Iran, le décisionnaire final, c’est le guide suprême. Et les Pasdaran dépendent directement de lui.»
Ainsi le corps des Gardiens de la révolution peut-il agir sans le consentement du gouvernement élu. Et même manœuvrer à son encontre!
Rien de révélateur dans cet enregistrement : tout le monde sait que l'IRGC est bien plus puissant que le MAE Zarif.
— Alexandra Allio De Corato (@Allio_De_Corato) April 26, 2021
Il est significatif qu'il ait été divulgué, et le moment choisi, en pleine négociation nucléaire et à l'approche d'une élection. https://t.co/vIVUCtgdwI
Ces éléments relèvent d’ailleurs de la constitutionnalité iranienne. Le corps des Gardiens de la révolution islamique est une organisation paramilitaire de la République islamique d'Iran dépendant directement du guide de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei. Lequel trône un rang au-dessus du chef de l'État iranien élu.
Il en va de même pour les forces armées régulières. Même si ces dernières sont placées par le guide sous l’autorité de la présidence iranienne, la décision finale sur toutes les questions de défense et de politique étrangère revient de droit au guide suprême.
« Il y a quelqu’un au-dessus du Président de la République. C’est difficile à comprendre pour nous, Occidentaux, mais c’est la spécificité même de ce système», souligne Gérard Vespierre.
D’après lui, les Gardiens de la révolution forment un État dans l’État: «Si les Pasdaran, prennent des décisions qui peuvent court-circuiter une stratégie mise en place par le gouvernement, c’est parce qu’ils savent qu’ils ne se feront pas réprimander par l’autorité suprême.»
Une affaire de politique politicienne?
Ainsi, «selon les circonstances, selon les rapports de forces et selon son choix, le guide va donner plus ou moins de liberté à telle ou telle force politique ou militaire», poursuit-il.