Dans son rapport d’avril relatif aux prévisions et projections sur la richesse mondiale mesurée par le PIB au prix courant du dollar, le Fonds monétaire international (FMI) informe qu’à l’horizon 2026, le PIB total des dix premières économies africaines s’établira à 2.877 milliards de dollars, contre 1.739 milliards en 2020, soit une progression de plus de 65%. Le Nigeria, premier, verra son PIB passer de 429 milliards en 2020 à 964 milliards de dollars en 2026, soit une augmentation de près de 125%.
Concernant les pays du Maghreb, c’est le Maroc qui arrive en première position avec des PIB de 154 et 162 milliards de dollars respectivement pour 2025 et 2026, dépassant ainsi pour la première fois l’Algérie qui, selon le même rapport, enregistrera des PIB de 152 et 153 milliards de dollars pour la même période.
Source, Le 360
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) April 28, 2021
L’Algérie ayant officiellement dépensé 1.000 milliards de dollars durant les 20 années de pouvoir de l’ex-Président déchu Abdelaziz Bouteflika, comment expliquer le recul de sa richesse (selon le FMI) face au Maroc qui n’a pas eu les mêmes moyens financiers? Sur quelle base comparer l’évolution des économies de ces deux pays? Enfin, comment le Nigeria, également pays exportateur d’hydrocarbures, peut-il doubler son PIB à l’horizon 2026, alors que l’Algérie stagnera en moyenne autour de 151 milliards de dollars de PIB entre 2021 à 2026?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité l’ex-colonel des services de renseignement algériens, Abdelhamid Larbi Chérif, également expert en politiques de défense et président du parti en attente d’agrément Alliance nationale pour le changement (ANC).
«Il n’y a pas de secret»
«Les projections des experts du FMI qui ont réalisé cette étude sont tout à fait réalistes et justifiées, malgré toutes les marges d’erreur qu’elles pourraient comporter», reconnaît le président de l’ANC, soulignant que «c’était prévisible et qu’il n’y a pas de secret derrière cette tendance».
«Le Maroc a réussi le pari d’assoir une économie diversifiée créatrice de richesses et d’emploi qualifiés à forte valeur capitalistique», ajoute-t-il, citant à titre d’exemples «les secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de l’automobile, de l’aéronautique, du textile, des énergies renouvelables, etc.».
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) April 28, 2021
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Dans le même sens, l’interlocuteur de Sputnik explique qu’au cours des prochaines années, le développement et la croissance au royaume chérifien «sera essentiellement tirée par les investissements dans les infrastructures, à l’instar des chemins de fer, notamment rapides (TGV), les ports à l’image de celui de Tanger Med, les routes, les écoles et les universités, les réseaux d’électrification et d’alimentation en eau potable des zones rurales».
Et de noter: «Ce qui est important à noter, c’est que le Maroc va financer par étape tous ces chantiers en comptant sur les revenus engendrés par sa propre économie productive, mais également sur les dettes et les investissements étrangers destinés à renforcer la dynamique de la production et de la productivité».
Le Nigeria, passage d’une économie de rente à une économie de production
«Le cas du Nigeria est intéressant à analyser en raison des similitudes qu’il présente avec celui de l’Algérie», estime M.Larbi Chérif.
En effet, «dans les années 1970, ce pays avait un modèle économique basé essentiellement sur le développement du secteur agricole qui avait assuré une autosuffisance alimentaire au pays», rappelle l’expert, précisant qu’«après la découverte des hydrocarbures le Nigeria s’est laissé aller à la facilité et a transformé son économie en bazar, important pratiquement tous les besoins de sa population».
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) April 28, 2021
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Néanmoins, poursuit le spécialiste, «depuis 2014, suite à la chute des prix du pétrole, le gouvernement nigérian a décidé de prendre à bras le corps ce problème de l’économie de rente qui a saigné à blanc ses capacités financières et recentré ses efforts pour redémarrer la production locale, notamment dans l’agriculture […]. Ainsi, le PIB du pays à l’horizon 2026 sera certes dopé par les exportations en hydrocarbure, mais aussi avec la production dans les autres secteurs, car il ne sera pas possible de doubler le PIB à court terme juste avec les exportations de pétrole ou de gaz».
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«Prendre comme repères les années 1999 et 2020»
Afin de comparer l’évolution des économies algérienne et marocaine, M.Larbi Chérif juge «judicieux de prendre comme repères les années 1999 et 2020 qui représentent des points d’inflexion importants».
En effet, «en 1999, en Algérie tout comme au Maroc, il y a eu un changement de pouvoir», souligne l’ex-officier supérieur, rappelant qu'«à Alger, Abdelaziz Bouteflika est devenu Président de la République, alors qu’à Rabat le roi Mohammed VI a succédé à son père feu Hassan II». «L’Algérie venait juste de sortir de dix ans de guerre contre le terrorisme qui a mis à genoux son économie», ponctue le spécialiste, ajoutant qu’«en termes de productivité et de qualité, le Maroc n’avait à cette époque pas une économie développée dans les mêmes proportions qu’aujourd’hui […]. C’est dire que les deux chefs d’État sont pratiquement partis de situations comparables en termes de taux de développement».
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) April 28, 2021
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«Après 21 années, l’Algérie a toujours une économie rentière qui dépend à 98% des exportations d’hydrocarbures et qui est actuellement en phase de déstructuration grave suite à la chute du prix du pétrole en 2014, malgré la dépense de plus de 1.000 milliards de dollars», indique Abdelhamid Larbi Chérif. «Ce n’est pas le cas du Maroc qui a diversifié son économie et arrive à exporter des produits de haute qualité, dépassant l’Algérie en volume en 2020 [l’Algérie à exporter pour 20 milliards de dollars, contre 30 milliards pour le Maroc, ndlr]».
Pour s’en convaincre, «il suffit de regarder l’évolution prévisionnelle à l’horizon 2026, selon le FMI et la Banque mondiale (BM), des économies des deux pays à partir de fin 2020, au sortir d’une situation économique extrêmement difficile dans le monde entier à cause de la pandémie de Covid-19». «Il est clair que l’économie marocaine est beaucoup plus solide et plus résiliente, car elle a généré ses propres moyens de survie, d’autofinancement en partie et de développement», estime le président de l’ANC, déplorant «l’état de l’économie algérienne qui risque de s’enfoncer encore plus, faute d’un redressement courageux».
«Sans vision stratégique, l’Algérie n’aura aucune chance»
En réponse à la question des infrastructures (routes, écoles, hôpitaux, chemins de fer, logements, barrages, électrification et alimentation en eau potable, etc.), de la sécurité sociale, de la formation, de l’éducation et de l’alphabétisation, selon certains experts l’Algérie a une meilleure assise que le Maroc. À cela Abdelhamid Larbi Chérif répond: «Osons un scénario!».
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) April 28, 2021
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«Depuis son indépendance, l’Algérie a dépensé approximativement plus 2.500 milliards de dollars. Supposons que le Maroc ait disposé de ces moyens financiers, je suis prêt à prendre le pari – à condition que la même politique économique soit appliquée au moins depuis 1999 – que le PIB du Maroc pointera au minimum entre 500 et 600 milliards de dollars en 2026».
Enfin, l’ex-colonel du renseignement algérien assure qu’«en tant que tel, ce que l’Algérie a réalisé n’est pas rien. Cependant, quand on prend en compte que c’est uniquement grâce au pétrole et au gaz, et non pas au travail et à la production, on ne peut parler d’économie viable. Quelle sera sa situation quand elle n’aura plus de réserves de change et que ses exportations ne pourront plus couvrir ses importations, au moins incompressibles?».
«Le fait est que beaucoup de choses ont été faites de manière démagogique. Les infrastructures doivent être pensées comme des fonctions de transfert entre un état premier et celui auquel le pays voudrait aller, en prenant en compte tous les facteurs, y compris ceux de la sécurité nationale, et en les utilisant comme des locomotives pour entraîner toute l’économie vers le haut», conclut-il.
«Sans une nouvelle vision stratégique, l’Algérie n’aura pratiquement aucune chance».