Hasard du calendrier ou opportunité politique saisie au vol? Quelques jours seulement après l’attentat islamiste de Rambouillet qui a coûté la vie à une adjointe administrative du commissariat de police de la ville, l’exécutif entend montrer qu’il agit de renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme. Ce mercredi 28 avril, Gérald Darmanin doit ainsi présenter en Conseil des ministres un projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
«Pour les services de renseignement, cela va signifier énormément plus de travail avec énormément moins de budget et de personnes», pronostique Gérald Arboit, spécialiste du renseignement, au micro de Sputnik.
Pour le chercheur associé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), ce projet de loi ne «change pas radicalement les choses» dans la lutte contre le terrorisme en France. Dans les cartons depuis plusieurs mois, le texte vise à inscrire dans le droit des dispositifs jusqu’ici limités dans le temps et introduits à titre expérimental par la loi renseignement de 2015. «On se sert de l’attentat de Rambouillet pour présenter ce projet de loi prévu depuis longtemps et ainsi lui donner une légitimité médiatique», tacle Gérald Arboit.
Sur France Inter, @NunezLaurent évoque les fameuses "boîtes noires" expérimentées depuis 2017 (on en recense 3 aujourd'hui). On comprend mieux l'entêtement français à collecter massivement les métadonnées : sans elles, pas d'algorithme à entraîner, et donc... pas de boîte noire. pic.twitter.com/IhPvVwTk7G
— Olivier Tesquet (@oliviertesquet) April 26, 2021
«On est très loin encore de ce que font les Américains»
Très concrètement, des algorithmes pourront passer au crible l’intégralité des adresses URL des sites web consultés par les internautes afin notamment de détecter la connexion et l’intérêt éventuel d’un individu vers des sites liés au terrorisme. Les services de renseignement pourront donc avoir définitivement recours aux fameuses «boîtes noires» expérimentées depuis 2017. Ces dernières ont pour rôle de collecter et d’analyser des métadonnées, c’est-à-dire toutes les informations périphériques donnant du contexte à un contenu. En théorie, elles ne peuvent pas lire le contenu d’un message envoyé en ligne mais simplement recouper des informations potentiellement suspectes ou sensibles afin de détecter d’éventuelles menaces ou des préparations d’attentats. Une technique algorithmique qui fait relativiser les craintes pour les libertés individuelles, assure notre interlocuteur. «On est très loin encore de ce que font les Américains, par exemple. On n’a pas de NSA [National Security Agency, agence de renseignement américaine, ndlr] en France! Nous n’avons que trois boîtes noires censées contenir les algorithmes pour la lutte antiterroriste. La France reste ‘petit bras’ à ce niveau-là!», lance Gérald Arboit.
«Les données informatiques sont déjà captées par des cookies et il y a de fortes chances pour qu’elles soient gardées au-delà de cinq ans, vu les mails de publicité ciblée que l’on reçoit! Ce n’est pas un recul pour les libertés publiques car les données seront anonymisées. C’est même plutôt une protection supplémentaire par rapport aux sites commerciaux: il n’y a pas de violation des libertés individuelles», affirme le spécialiste du renseignement.
Dans le même esprit, le texte du projet de loi porte à deux mois la durée d’autorisation de la technique de recueil de données informatiques et facilite l’interception des correspondances échangées par voie satellitaire. Une preuve supplémentaire que le gouvernement «table sur l’intelligence artificielle» dans la lutte contre le terrorisme, avance le chercheur du Cnam. «Le fait de vouloir garder les informations de connexion et les attitudes numériques permet de nourrir les algorithmes», analyse-t-il.
Le 21 avril dernier, le Conseil d’État validait d’ailleurs, au grand dam des défenseurs des libertés individuelles, la conservation généralisée des données de connexion en dehors des situations exceptionnelles d’état d’urgence sécuritaire, refusant ainsi d’appliquer un arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE) qui estimait de son côté qu’une telle disposition était contraire aux droits fondamentaux.
«De la communication plus qu’autre chose»
«On est sur de la communication plus qu’autre chose. Les données sont de toute façon récupérées de manière rétrospective et ne peuvent pas empêcher un attentat ou une attaque avant qu’elle ait lieu.»
Rien ne dit, par conséquent, que la stratégie affichée par le gouvernement ne se révélera payante en matière de lutte contre le terrorisme. Face à ce que le spécialiste de l’islam Gilles Kepel nomme désormais un «djihadisme d’atmosphère», par définition imprévisible et indétectable, les moyens mis à la disposition des services de renseignement semblent bien maigres. Les trois derniers attentats perpétrés en France n’ont de fait pas été commis par des individus fichés S. «Il faudrait déjà définir l’état de la menace: cela ne peut être fait que par des moyens humains et non pas une veille constante par des moyens techniques», avertit Gérald Arboit. «On est sur de l’habillage et non sur une refondation de la pensée antiterroriste en France», tranche le chercheur.