Le 20 avril 2020, le baril de brut américain (West Texas Intermediate) s’échangeait à -38,94 dollars, une journée noire pour les magnats des hydrocarbures qui ont dû payer pour se débarrasser de leurs stocks. Plus d’un an après, le pétrole a repris du poil de la bête avec une hausse de 100 dollars, clôturant ce 26 avril à 61,91 dollars pour le WTI et 65,65 dollars pour le Brent, retrouvant ainsi son niveau d’avant la pandémie.
«En matière de prix uniquement, l’effet Covid-19 a été quasiment effacé», note Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, à la veille de la réunion de l’OPEP+, qui regroupe les 13 pays membres de l’OPEP ainsi que dix États non OPEP, dont la Russie.
Citée par l’AFP, la banque américaine Goldman Sachs estime même que le baril dépassera cet été les 80 dollars, porté par des «indicateurs favorables pour la demande dans les zones où la vaccination est forte», alors que sa concurrente Morgan Stanley prévoit plus prudemment des cours autour des 70 dollars au troisième trimestre. Si Francis Perrin constate quant à lui également cette solidité des prix, il rappelle toutefois que la stabilité sur le marché pétrolier n’est «jamais garantie pour longtemps».
La pandémie et l’Iran, deux facteurs d’incertitude
C’est donc un «équilibre entre des forces haussières et des forces baissières» que décrit actuellement Francis Perrin:
«Stabilité ne veut pas dire calme plat sur le marché pétrolier, parce qu’il se passe beaucoup de choses. Mais comme au cours des derniers jours, ces forces haussières et baissières se sont équilibrées, on a l’impression que c’est le calme plat, ce qui n’est pas le cas.»
Le facteur baissier principal, c’est évidemment la pandémie qui a ravagé l’économie depuis maintenant plus d’un an. Le confinement en avril 2020 de plus de la moitié de la population mondiale avait très fortement réduit la demande de pétrole, conduisant les pays de l’OPEP+ à diminuer de façon draconienne leur production pour atténuer la chute des prix.
Second potentiel facteur baissier, selon Francis Perrin: la question iranienne alors qu’une troisième session de négociations s’ouvre ce 27 avril à Vienne. L’objectif: sauver l’accord sur le nucléaire iranien devenu moribond avec les représentants des États toujours parties (Iran, Chine, Russie, France, Allemagne, Royaume-Uni). Des échanges diplomatiques que «regardent de près les traders sur les marchés pétroliers», même si rien de concret n’a encore été établi alors qu’Américains et Iraniens ne se parlent pas directement.
«Si demain un accord était annoncé, aux termes duquel l’Iran accepterait à nouveau de respecter complètement l’accord de Vienne de juillet 2015 et les États-Unis accepteraient de lever leurs sanctions contre l’Iran, il y aurait certainement un effet baissier qui se manifesterait. Ce serait un effet baissier potentiel. C’est une épée de Damoclès au-dessus du marché pétrolier», résume Francis Perrin.
Un nouvel accord entre Washington et Téhéran permettrait ainsi à l’industrie iranienne de produire et d’exporter à nouveau beaucoup plus de pétrole «dans un délai assez bref». Pour Pierre Fabiani, ancien représentant du groupe Total en Iran de 2004 à 2008, interrogé dans les colonnes de Sputnik, «le retour de l’Iran sur les marchés serait synonyme d’effondrement du prix du baril».
Une entente plus forte au sein de l’OPEP+
«La situation a beaucoup évolué depuis» la chute abyssale en avril 2020 à la faveur de l’arrivée de plusieurs vaccins contre le Covid-19 qui ont donné l’espoir de tourner la page de la pandémie, tempère Ipek Ozkardeskaya, de Swissquote Bank, interrogée par l’AFP. C’est aussi la stratégie de coopération adoptée par l’OPEP+ de se réunir très fréquemment –en décembre, en janvier, en février, le 1er avril– afin de pouvoir rapidement réagir aux évolutions qui pourraient avoir un impact défavorable pour les producteurs sur le marché pétrolier. Ajustant prudemment leur production en fonction de la pandémie, les 23 pays l’ont augmentée très modestement chaque mois depuis janvier. Le 1er avril, ils décidaient une hausse plus massive avec 350.000 barils par jour (bpj) en mai et juin, et de plus de 400.000 bpj en juillet.
«Ils ont certes décidé d’augmenter nettement plus leur production dans les trois prochains mois, mais en même temps, ils n’ouvrent pas non plus les vannes les yeux fermés, ils restent prudents et prêts à réagir, c’est plutôt un facteur favorable en termes haussiers sur les prix du pétrole, favorable pour les producteurs, d’autant plus que les accords de l’OPEP + sont très bien respectés.»
La réaction des compagnies pétrolières américaines a eu également un effet à la hausse. Constatant des prix du brut beaucoup trop bas en 2020, et qu’il n’était pas rentable de continuer à extraire du pétrole non conventionnel, plus onéreux à produire, «elles ont fait chuter la production d’un million de bpj pour les États-Unis en 2020».
Selon Francis Perrin, la production d’or noir américaine se stabilisera en 2021, sans «bond haussier», la pandémie ayant eu un effet «extrêmement fort» et laissant ainsi «des traces». Ayant essuyé des pertes énormes se chiffrant en milliards de dollars - ExxonMobil a perdu 22,4 milliards de dollars - les compagnies américaines, particulièrement les plus fragiles telles que Callon Petroleum profiteront de la remontée des prix «pour panser leurs plaies financières».