C’est décidé. Les vingt-trois pays de l’OPEP+ ont finalement tranché ce 3 décembre pour une légère augmentation de la production le 1er janvier prochain, suite à une hausse des cours en novembre de près de 25%.
Alors que le Brent de la mer du Nord et le WTI (West Texas Intermediate) oscillent ce 4 décembre entre 46 et 49 dollars, les pays producteurs se sont mis d’accord sur un accroissement de 500.000 barils par jour, contre les deux millions initialement prévus. Ayant chuté autour de 18 dollars en avril, le pétrole semble donc avoir recouvré de sa vigueur.
Les pays producteurs restent néanmoins réservés, une coupe de 7,2 millions restant de mise du fait de la réalité de la seconde vague de Covid-19. De la prudence: c’est justement ce que recommande Francis Perrin, spécialiste de la géopolitique des hydrocarbures au Policy Center for the New South et à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), qui estime devant les caméras de Sputnik qu’il est dans «leur intérêt» de ne pas ouvrir d’un coup les vannes. Car l’équilibre reste fragile, notamment aux États-Unis, où le pétrole de schiste a particulièrement souffert durant cette année noire en raison de sa faible rentabilité.
Lignes rouges: Jean-Baptiste Mendes reçoit Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
Fer de lance de la stratégie d’indépendance énergétique revendiquée haut et fort par Donald Trump, l’industrie pétrolière américaine s’est pourtant retrouvée en difficulté à cause de la pandémie.
«La production pétrolière américaine baisse depuis plusieurs mois»
Premier producteur mondial d’or noir depuis 2017, les États-Unis représentent 20% de la production mondiale, selon le site spécialisé Le Guide boursier, citant les données de l’Energy Information Administration. C’est «grâce notamment à leur pétrole non conventionnel, qu’on appelle souvent pétrole de schiste», qui constitue la majeure partie de leur production, qu’ils ont pu détrôner l’Arabie saoudite et la Russie, explique Francis Perrin. Un coup de force qui pourrait aujourd’hui se retourner contre Washington.
«L’industrie pétrolière américaine a été très durement frappée par l’effondrement des prix du pétrole en 2020, notamment entre janvier et avril, et la production pétrolière américaine baisse depuis plusieurs mois.»
«Les prix étaient tombés à des niveaux tellement bas que, dans certains cas, une partie de leur production n’était plus rentable. Elles ont donc réduit leurs activités de forage et fermé un certain nombre de puits, ce qui a fait baisser la production américaine.»
Le spécialiste des hydrocarbures pointe le problème inhérent au pétrole de schiste américain, c’est-à-dire un seuil de rentabilité plus élevé que les pétroles conventionnels.
Le cours du pétrole WTI est à 21$. Le seuil de rentabilité pour extraire un 🛢️ :
— Grégory Raymond (@gregory_raymond) March 31, 2020
👉45$ à 55$ aux États-Unis (schiste) 🇺🇸
👉30$ en Russie 🇷🇺
👉6$ en Arabie saoudite 🇸🇦
Mais Riyad a besoin d'un baril à 60$ car son économie dépend exclusivement du pétrole
S’il est impossible d’évaluer précisément le coût de production, qui diffère d’un État à l’autre, voire d’un gisement à un autre, Francis Perrin estime qu’«en dessous de 40 dollars par baril», ce qui a été le cas pendant plusieurs mois de l’année 2020, «il est très difficile de façon générale pour l’industrie pétrolière américaine de tirer son épingle du jeu». Celui-ci reconnaît d’ailleurs qu’en mars dernier, refusant de baisser sa production, «la stratégie de la Russie visait le pétrole de schiste américain». Ce n’est qu’à partir du moment où le WTI «monte vers les 50 dollars», c’est-à-dire les niveaux actuels, que «l’industrie américaine sort la tête de l’eau.»
Indépendance énergétique et lutte contre le changement climatique
Dans la quête de leur indépendance énergétique, les États-Unis accuseront alors «un retard d’une ou deux années» du fait du Covid-19, ce qui représente toutefois «une véritable révolution énergétique» pour l’économie et la puissance américaines.
Pourtant, l’heure ne semble guère à la fête du côté de l’industrie pétrolière américaine, du fait de l’élection de Joe Biden. Lors de son débat contre Bernie Sanders, le 15 mars 2020, le candidat Démocrate avait déclaré «No more, no new fracking» («pas plus, pas de nouvelle fracturation [hydraulique, ndlr.]»). S’il est besoin de le rappeler, l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste entraîne d’importantes émanations de méthane. Des émanations considérées bien plus nocives que celle du CO2 au regard de sa contribution à l’effet de serre.
«Il a aujourd’hui 78 ans, dans quatre ans il aura 82 ans. Il ne fera pas un second mandat, ce sera le Président d’un mandat. Quatre ans c’est très court […] Il ne pourra pas engager définitivement les États-Unis sur la voie de la lutte contre le changement climatique, quelque chose qui va demander 30 ans, alors qu’il est élu pour quatre ans.»