«La contrebande de toutes sortes, de la drogue à l'essence, nuit au Liban et lui coûte cher. Ce qui s'est passé récemment en matière de contrebande vers le royaume saoudien le confirme», a affirmé le Président libanais, Michel Aoun, à l'ouverture d'une réunion au palais présidentiel de Baabda ce 26 avril. Une réaction à la décision prise par Riyad le 23 avril d'interdire les importations de fruits et légumes libanais.
«C’est un premier avertissement politico-économique»
L'Arabie saoudite est claire: l'interdiction des importations de produits libanais ne sera pas levée tant que Beyrouth n'aura pas prouvé qu'elle s'efforce de mettre un terme au trafic. La mesure porte un rude coup au secteur agro-alimentaire libanais. L'Union des agriculteurs du Liban a prié le royaume d'abroger sa décision. La faute d'une personne ou d'une bande criminelle ne justifie pas de punir tout un peuple, a-t-elle insinué.
Ces dernières années, l’exportation de drogue depuis la région est devenu un énorme problème. Non seulement sur le plan local, mais aussi au niveau européen! Depuis 2014 notamment, le trafic en provenance de la Syrie et du Liban a une ampleur sans précédent. Le 9 avril, près de 25 tonnes de drogue, destinées à un pays africain, ont ainsi été saisies dans un convoi de huit camions. Cette saisie est la plus la plus grosse de l’histoire des forces de sécurité libanaises.
La fermeture du marché saoudien aux fruits et légumes libanais dépasserait pourtant le simple cadre de la lutte contre le trafic de drogue. C’est notamment l’avis de François Costantini, auteur du Liban: Histoire et destin d’une exception (éd. Perspectives libres, 2017):
«C’est un premier avertissement politico-économique», explique-t-il au micro de Sputnik. «Les fruits et légumes, c’est l’avant-goût des prêts internationaux. L’Arabie saoudite a toujours été présente au Liban, elle envoie un message à un certain nombre de personnes et de groupes, en particulier au Hezbollah et au clan Aoun.»
Quel message? «Riyad envoie un signe manifestant qu’elle peut agir sur le Liban, notamment au plan économique. Les fruits et légumes, c’est la partie émergée de l’iceberg, et l’iceberg ce sont les dépôts financiers, les aides, les prêts, etc.»
Riyad contre Hezbollah
L’Arabie saoudite aurait en effet un important levier de pression par le biais des nombreux investissements qu’elle réalise au pays du Cèdre. Une arme de dissuasion ultra-efficace en temps de crise. À titre d’exemple, pendant la guerre de 2006 entre Israël et le Liban, Riyad et le Koweït déposaient ensemble 1,5 milliard de dollars à la Banque centrale de Beyrouth pour soutenir la livre libanaise. De 2003 à 2015, trois pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite, représentaient 76 % des projets d'investissement étrangers au Liban.
Même si c’est l’objectif, la stratégie actuelle du royaume serait inefficace. Selon François Costantini, pour faire bouger les lignes politico-économiques au Liban, «il en faudrait beaucoup plus».
Le Premier ministre sortant, Hassan Diab, juge sévèrement l’embargo: «L’Arabie saoudite et tous les pays du Golfe savent bien que l’arrêt des importations des produits agricoles libanais n’empêche pas la contrebande de drogue, qui utilise des moyens différents.»
Plus tôt ce mois-ci, Hassan Diab avait essuyé un refus lors de sa précédente demande d’aide aux pays du Golfe, au motif que le Hezbollah occupait une place trop importante sur l’échiquier politique libanais. En tapant cette fois directement au portefeuille des Libanais, les puissances du Golfe franchiraient donc un nouveau palier dans la pression sur le système politique libanais. Le pays peinant à former un gouvernement depuis plusieurs mois.
En 2020, le Liban a exporté pour 29,3 millions de dollars de fruits et légumes vers l’Arabie saoudite en 2020. L’économie libanaise n’avait certainement pas besoin de la décision saoudienne.
Pour l’heure, Le chef de l'Etat Aoun a appelé «les services de sécurité à renforcer la lutte contre les opérations de contrebande et ceux qui sont derrière cette pratique», assurant que le Liban «tient à ne mettre en danger la sécurité d'aucun pays, en particulier aucun État arabe.» Une façon de rassurer les travailleurs du secteur agricole libanais qui ont poussé le Président libanais a convoquer cette réunion après qu’ils aient déposé une plainte.