Si l’Italie a présenté à Bruxelles ce 25 avril son projet de relance national –la France devrait envoyer le sien le 28 –, la Hongrie continue à négocier pour éviter que le respect de l’État de droit, pour lequel elle est critiquée, conditionne le versement des aides.
Viktor Orban, Premier ministre hongrois, est d’ailleurs venu à Bruxelles le 23 avril rencontrer Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Sachant qu’aucun paiement européen n’est possible sans le feu vert des 27, prêts et subventions ne devraient pas être alloués avant juillet. Une lenteur qui agace notamment Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, souhaitant ce 26 avril au micro d’Europe 1 que «l’Europe comprenne que nous ne pouvons pas attendre pour disposer de cet argent, qu’il faut accélérer les procédures et que l’Histoire ne repasse pas les plats.» Ainsi, le financement européen du plan de relance français arriverait début septembre, et non début juillet comme initialement annoncé.
«Il n’y a plus de blocage»
«Le moment le plus important de la vie de notre Europe depuis la création de l’euro», se félicitait pourtant Emmanuel Macron après avoir obtenu le 21 juillet 2020 le plan de relance européen de 750 milliards d’euros. Baptisé «Next Generation EU», l’accord permet pour la première fois aux 27 de s’endetter en commun afin de surmonter la crise du Covid-19. Mais celui-ci n’a toujours pas été ratifié par l’Autriche, l’Estonie, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, la Lituanie, les Pays-Bas, la Pologne et la Roumanie.
«Les États membres ont plus que le droit, ils ont le devoir de défendre leurs propres intérêts. Donc si quelque chose n’a pas été pensé dans l’intérêt de tous les États membres, s’il y a un contretemps, on ne va pas rejeter la faute sur les États membres qui font valoir leurs droits. Ça serait malhonnête», s’exclame Ferenc Almássy, rédacteur en chef du Visegrád Post.
Ce retard à l’allumage ne devrait pourtant pas être imputé à ces pays, la bureaucratie et la lourdeur des procédures européennes ont déjà fait leurs preuves sur un autre dossier, l’achat des vaccins. Le rédacteur en chef du Visegrád Post nuance ainsi la position de Budapest, en considérant qu’«il n’y a plus de blocage», car les parties prenantes ont déjà trouvé un compromis en décembre dernier, permettant de lever le veto de Viktor Orban.
Orban calme le jeu
Jugeant particulièrement intéressante la concomitance des événements, celui-ci évoque l’acceptation de Budapest du jugement de la cour de justice de l’Union européenne en renonçant à ses lois sur les ONG et les universités, autrement qualifiées de lois anti-Soros, pour les retravailler conformément au droit européen, ce qui constitue une reculade significative. Le 20 avril, le vice-premier ministre hongrois, Zsolt Semjén, déposait en effet au Parlement un projet de loi visant à abroger la loi de 2017 sur les ONG.
«Sans être complotiste, la politique, ça marche un peu comme ça, ce n’est pas impossible que ça soit un gage de bonne volonté dans le cadre de ces négociations», analyse Ferenc Almássy.
Ainsi, le gouvernement hongrois ne souhaiterait pas, selon le journaliste, «jeter de l’huile sur le feu» après des mois de déclarations incendiaires entre Bruxelles et Budapest. Viktor Orban exigeait en septembre la démission de la commissaire tchèque Vera Jourova pour avoir qualifié la Hongrie de «démocratie malade». Mais la problématique de l’État de droit pourrait être de nouveau exploitée face à la Hongrie comme instrument de pression. Elle ne sera «jamais close», les questions d’État de droit ou de corruption étant «des éléments tout à fait centraux» des réformes requises, expliquait à l’AFP un responsable européen le 23 avril.
«Ils veulent seulement les subventions»
Sept milliards d’euros de subventions devraient ainsi être alloués à la Hongrie. Le gouvernement hongrois publiait déjà le 13 avril un document précisant la destination de ces paiements. La rencontre Orban-Von der Leyen aurait déterminé la Hongrie à ne s’intéresser qu’à la moitié de l’enveloppe: «ils ne veulent pas les prêts, ils veulent seulement les subventions», détaille Ferenc Almássy, qui s’attache à déconstruire le stéréotype selon lequel Budapest profite sans contrepartie de l’argent européen.
En 2018, la Hongrie était considérée comme un «important bénéficiaire net», avec un excédent de subventions de cinq milliards d’euros par rapport à sa contribution au budget européen. À titre de comparaison, la France est un «important contributeur net», avec un déficit de 7,4 milliards d’euros. «C’est une chose de considérer leur contribution nette au budget de l’Union européenne, mais il n’y a pas que ça», remarque le journaliste franco-hongrois.
Il évoque ainsi la balance commerciale et les bénéfices réalisés par les entreprises occidentales –surtout allemandes– dans les pays du groupe de Visegrád. Il cite l’économiste Thomas Piketty qui rappelle «qu’entre 2010 et 2016, les flux annuels sortants nets de profits et de revenus de la propriété représentaient 7,2% en Hongrie et 7,6% en République tchèque», tandis que «la totalité des dépenses reçues et des contributions versées au budget de l’UE était de 4% du PIB en Hongrie et 1,9% en République tchèque.»
«Il y a un transfert de capital de l’Est vers l’Ouest qui est nettement supérieur. Pour certains pays, on parle d’un rapport de 4 à 1, c’est quatre fois plus d’argent qui sort du pays sous forme de bénéfice que ce qui rentre sous forme de subventions européennes. Ce n’est pas quelque chose qui est tu, c’est un fait souvent rappelé par les gouvernements du groupe de Visegrád, mais qui est vite oublié dans l’équation» déplore Ferenc Almássy.