Le torchon brûle entre l’Europe centrale et Bruxelles. Viktor Orban a exigé ce 29 septembre, dans un courrier à la présidente de la Commission européenne, la démission de la commissaire tchèque Vera Jourova, laquelle avait qualifié la Hongrie de «démocratie malade» dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Le Premier ministre hongrois a également indiqué qu’il rompait tout lien avec la vice-présidente de la Commission chargée de l’État de droit. En guise de réponse, Ursula von der Leyen, la présidente de l’institution européenne, a assuré Mme Jourova de sa «pleine confiance».
Alors que doit prochainement sortir un rapport européen sur le respect de l’État de droit par les 27, la Hongrie et la Pologne menacent de ne pas ratifier le plan de relance européen de 750 milliards d’euros, dont les aides seraient conditionnées au respect des droits de l’homme: indépendance de la justice, liberté de la presse, etc. Le 25 septembre, à l’occasion d’une réunion des ambassadeurs, les deux pays ont en effet refusé de donner leur feu vert, indispensable à l’adoption du plan de relance, tant qu’ils n’auraient pas obtenu gain de cause. Un plan de relance dont les «ressources propres» ont été approuvées le 16 septembre dernier au parlement par 455 eurodéputés, contre 146 opposants et 88 abstentions.
«État de droit» ou «répression idéologique libérale» de Bruxelles?
Le respect de l’État de droit constitue une «ligne rouge» pour bon nombre de parlementaires européens: le budget «ne peut pas passer sans mécanisme d’État de droit» des principaux partis, car «on a besoin d’une justice indépendante, d’une administration efficace, non corrompue et à l’abri de tout autoritarisme», a souligné Dacian Ciolos, le président du groupe Renew (centre).
Contre Bruxelles, le groupe de Visegrád fourbit ses armes
Ferenc Almássy, rédacteur en chef du Visegrád Post, estime au micro de Sputnik que cet Institut nouvellement créé est tout à fait désigné pour être «un fournisseur de cartouches pour l’Europe centrale dans son combat contre les institutions bruxelloises». Rappelons que depuis septembre 2018, les deux États sont confrontés à la procédure dite de «l’article 7», déclenchée par le Parlement européen pour «risque de violation des valeurs fondamentales de l’Union». Un mécanisme déclenché sur la base de deux études parlementaires: le rapport Sargentini à propos de la Hongrie en 2018 et le rapport Lopez Aguilar en 2020. Deux textes passés au peigne fin par Ferenc Almássy, qui ne mâche pas ses mots:
«10% du contenu de ces rapports sont des critiques légitimes, que l’on peut entendre, qui méritent débat. Mais 90%, c’est du n’importe quoi, c’est idéologique, c’est des à-peu-près, des on-dit, des arguments de l’opposition locale établis comme des faits reconnus […] Ce sont des torchons idéologiques», lance-t-il à Sputnik.
«L’Allemagne va donner raison aux pays du groupe de Visegrád, discrètement, peut-être de façon maquillée, mais au final, Viktor Orban et ses collègues d’Europe centrale auront gain de cause.»
Le plan de relance est-il réellement menacé? Interrogé par Sputnik, Pierre Maurin, secrétaire national à l’économie des Centristes et élu de Paris, s’inquiète de ce blocage sur l’accord sur lequel diplomates et politiques européens ont travaillé durant près de 100 heures au mois de juillet: «on avait fini par mettre tout le monde d’accord après de difficiles négociations». Les États membres étaient effectivement parvenus à «un régime de conditionnalité» sans en préciser les règles, ce qui avait permis à Viktor Orban d’exulter, saluant une «grande victoire».
Se déclarant «très attaché à l’unité européenne», Pierre Maurin évoque ainsi des «approches sociétales différentes, mais qu’il faut respecter en Europe, dans la mesure où l'état de droit est respecté et contrôlé. Pour cela, confions l'exercice comme le suggère Manfred Weber un comité d'experts composé de juges européens et constitutionnels nationaux.»
Celui-ci rappelle ainsi que le Fidesz, le parti du Premier ministre hongrois, appartient toujours au PPE (Parti populaire européen), le même qu’Ursula Van der Leyen. Pour sa part, le député européen François-Xavier Bellamy (LR), en janvier 2020, dénonçait l’instrumentalisation de l’article 7 «au profit d’un agenda politicien».
Opposition à la réforme de l’asile
Autre pomme de discorde entre le groupe de Visegrád et Bruxelles: la réforme de l’asile présentée le 23 septembre. Pour Ferenc Almássy, cette escalade verbale de part et d’autre s’inscrit clairement dans une «guerre d’usure, une guerre ouverte» qui dure depuis la crise des migrants en 2015 et le rejet de la politique de répartition de ceux-ci. D’ailleurs, le ministre hongrois des Affaires étrangères, M. Szijjarto, a déclaré que ce projet de réforme de l’asile était «un document pro-migration, déclencheur d’immigration», qui «menace de lancer de plus en plus de vagues de migration». Une problématique déjà tranchée selon Ferenc Almássy:
«Sur l’immigration, ils auront clairement gain de cause, parce que c’est quelque chose qui est beaucoup trop important pour les électorats des pays du groupe de Visegrád. Là-dessus, ils sont complètement inflexibles.»
«Ces partis-là ont le soutien et ces dirigeants –que ce soit Orban ou Duda en Pologne– ont été élus et réélus. Ils ont le soutien de leur peuple. Il est clair qu'ils ont une position sur l'immigration beaucoup plus ferme que nous. il importe aujourd'hui de continuer à échanger avec eux et de trouver des compromis, c'est ce que suggère la Commission dans son pacte migratoire en soulignant la nécessité de protéger strictement les frontières extérieures, elle évoque le retour dans leur pays d'origine ainsi que la nécessité d'une immigration plus contrôlée.»