Alger ne parvient toujours pas à rendre l’hommage qui sied à la mémoire de Maurice Audin, l’une des figures de la guerre contre le colonialisme français. Symbole de l’engagement des militants du parti communiste dans les rangs du Front de libération nationale, le nom de ce chahid (martyr) a été attribué à une place du centre de la capitale au lendemain de l’indépendance. Depuis, dans l’inconscient des Algérois, «Audin» est un espace bien plus grand celle-ci: il représente le cœur de la ville. En mai 2012, une plaque commémorative en marbre avait été installée à la sortie du tunnel des Facultés, en face de cette place. Et c’est tout naturellement que ce lieu est devenu l’un des principaux pôles d’attraction du mouvement de contestation citoyenne, le Hirak, dès février 2019. Les étudiants se sont très vite réappropriés l’image de ce jeune mathématicien assassiné par les parachutistes en 1957, alors qu’il venait de finaliser sa thèse de doctorat.
Des étudiants écrivent leurs rêves sur des post-it et les collent sur la plaque commémorative de Maurice Audin.
Indignation
Les autorités voient d’un mauvais œil ces séances «d’affichage de rêves» et finissent par les interdire. Les mardis et les vendredis, jours de manifestation, la place Audin est entourée de policiers anti-émeutes, devenant presque inaccessible. Il faut dire que le Hirak a ravivé la mémoire et l’engagement des héros de la guerre d’indépendance et les a mis en avant pour dénoncer l’échec des gouvernants actuels.
Ces dernières semaines, la mairie d’Alger-centre et la wilaya (préfecture) d’Alger ont décidé d’installer des statues de personnalités célèbres à travers la capitale. Pour Maurice Audin, les autorités ont choisi de construire un buste à son effigie. Mais dévoilée en catimini mardi 13 avril, l’œuvre provoque une vague d’indignation sur les réseaux sociaux.
«Ma lettre ouverte s’adressait aussi au chef de l’État. Résidant en France, je l’ai aussi envoyée à l’ambassadeur d’Algérie en France. Pourquoi avoir enlevé la fresque [la plaque commémorative, ndlr] qui ornait l’entrée du tunnel des Facultés, qui était connue et appréciée de tous? La fresque était bordée sur tous ses côtés de petits drapeaux algériens qui contribuaient au sens de l’œuvre et à sa dimension nationale. Pourquoi l’avoir remplacée par un drapeau algérien qu’on voit à peine puisqu’il est en partie masqué par le nouveau buste? Pourquoi avoir installé un buste si monumental sur un petit bout de trottoir quand il aurait pu être au centre de la place ? La famille aurait pu, aurait dû, être consultée, de même que l’Association Josette et Maurice Audin», s’interroge-t-il.
«La place appartient au peuple»
Dans sa lettre ouverte, Pierre Audin a précisé que sa famille «souhaite que le buste soit installé au centre de la place ; que la fresque retrouve sa place initiale ; une inauguration officielle, sans barrage de police, un vendredi, avec le peuple comme invité d’honneur». Des exigences qui, pour l’heure, n’ont donné lieu à aucune réaction officielle.
«La place Audin est avec la place des Martyrs et la Grande Poste, un repère important et naturel pour les Algérois. D’ailleurs cette place n’a jamais été inaugurée officiellement. Elle porte le nom de Maurice Audin depuis les festivités du premier anniversaire de l’indépendance, par décision du 4 juillet 1963. Cette place appartient au peuple algérien. C’est pourquoi j’ai proposé que la cérémonie d’inauguration lui donne la place d’honneur», a indiqué à Sputnik Pierre Audin.
«Mes parents ont lutté contre le colonialisme pour une Algérie fraternelle, solidaire, multiculturelle. J’ai été éduqué dans ces principes et cet idéal est naturellement devenu le mien. L’Algérie est certes indépendante, mais elle n’est toujours pas le pays auquel aspiraient mes parents et les Algériens. Depuis le 22 février 2019, le peuple a repris la marche vers cet avenir dont rêvaient mes parents, il est naturel que je sois à ses côtés».