5 millions de dollars, c’est la somme qu’aurait fournie la CIA en 2019 à Kaïs Saïed, alors candidat et futur vainqueur de la présidentielle tunisienne la même année. Cette accusation a été portée dans une vidéo diffusée sur Facebook le 19 avril par le député radical Rached Khiari, élu sous l’étiquette du parti islamiste nationaliste Karama, qui fait partie de la coalition gouvernementale aux côtés du mouvement Ennahdha.
Sans les montrer, le parlementaire a assuré détenir des documents prouvant que le Président tunisien avait reçu jusqu’à 5 millions de dollars de l’agence du renseignement américaine pour financer sa campagne électorale, par l’intermédiaire de son directeur de campagne, Fawzi Al-Daas.
Diffamation?
Ce 21 avril, la justice tunisienne a ouvert une enquête et les accusations font jaser dans les rues de Tunis. Mais pour le géopolitologue tunisien Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (Caraps), cette affaire n’est qu’une tempête dans un verre d’eau:
«C’est de la diffamation. Cela s’inscrit dans une campagne féroce de discrédit à l’encontre de Kaïs Saïed. Elle est menée à l’échelle nationale par les islamistes d’Ennahdha et leurs amis, et à l’échelle mondiale par l’internationale islamiste des Frères musulmans*.»
Il n’hésite pas à accuser directement le parti islamiste d’être à la solde des Américains: «Nous savons bien que des chefs, chez les islamistes d’Ennahdha, ont été formés par l’ONG américaine Freedom House.»
En 2012, le coordinateur américain spécial de la transition au Moyen-Orient, William Taylor, déclarait lors d’un entretien accordé au quotidien Assabah que Washington avait versé d’importantes sommes d’argent par le passé à Ennahdha et continuait à le faire dans le cadre d’un programme d’accompagnement de la transition démocratique.
«La relation entre les États-Unis et le parti Ennahdha ne date pas d’aujourd’hui. L’administration américaine avait établi des liens avec le parti sous le gouvernement Bush fils», déclarait-il.
D’ailleurs, «Ennahdha et ses soutiens se sont prononcés contre un projet de loi qui interdit la normalisation des relations avec Israël», explique Riadh Sidaoui pour appuyer son argumentaire. Et si jamais le Président avait touché de l’argent américain, cela aurait été un très mauvais investissement, note-t-il. Kaïs Saïed s’est en effet opposé à Washington sur plusieurs dossiers stratégiques:
«Le Président Saïed est ferme vis-à-vis de Washington. Il a refusé l’implantation d’une nouvelle base militaire américaine en Tunisie et a affirmé qu’il ne fallait même pas prendre la peine de discuter du dossier avec lui», défend Riadh Sidaoui.
«Il est également ferme contre la normalisation avec Israël qu’il considère comme de la haute trahison envers la cause palestinienne», ajoute-t-il.
«Saïed est un juriste, il est considéré comme ‘propre’ en Tunisie»
Les premiers intéressés l’assurent d’ailleurs: ils n’ont pas financé le candidat: «Le gouvernement américain n’a pas fourni de fonds à la campagne présidentielle du Président Kaïs Saïed», a tweeté ce 21 avril l’ambassade américaine à Tunis. «Les États-Unis réaffirment leur respect pour l’intégrité et la souveraineté de la démocratie tunisienne.» Par contre, rien n’indique que Langley ne soit pas intervenu en faveur d’autres formations politiques.
In reference to recent media reports: the US Government did not provide funding to President Kais Saied's presidential campaign. The United States reaffirms its respect for the integrity and sovereignty of Tunisian democracy.
— U.S. Embassy Tunis (@usembassytunis) April 21, 2021
De son côté, notre interlocuteur renvoie au parcours politique du Président tunisien pour certifier sa bonne foi:
«Kaïs Saïed est un juriste, c’est quelqu’un de considéré comme ‘propre’ en Tunisie. Il est issu du milieu universitaire, loin de la vie politique et de sa corruption. Cela s’est d’ailleurs vu dans sa campagne qui a été pour le moins sobre», insiste le géopolitologue tunisien.
Entre eux, deux visions de la société tunisienne s’opposent au plus haut niveau de l’État. D’un côté celle de Kaïs Saïed, qui a été élu sur fond de rejet de la classe politique au pouvoir après la révolution de 2011 et a fait campagne sur la défense des slogans de cette mobilisation populaire («Le peuple veut...») et du nationalisme arabe. De l’autre, le parti Ennahdha, considéré comme islamiste rigoriste et souhaitant une plus grande importance de l’Islam dans la société tunisienne. Pour discréditer le camp adverse, tous les coups sont permis.
*Organisation terroriste interdite en Russie.