Les acquittements qui ont été prononcés dans le cadre de l’affaire sur la violente agression de policiers dans l’Essonne en 2016 ont suscité la colère des forces de l’ordre et une vive réaction d’hommes politiques, jusqu’au Président qui a rappelé que «les agressions envers les policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers et élus de la République» avaient doublé en 15 ans et qu’il était indispensable de poursuivre les efforts «pour mieux les protéger».
Mais alors que la plupart des réactions se focalisent sur le verdict prononcé en appel qui a donné lieu à cinq condamnations et huit acquittements, Mediapart révèle que des policiers ont tronqué certains propos de prévenus et ont fait pression sur eux. Ainsi, le média affirme avoir eu accès aux enregistrements des auditions de deux prévenus prouvant que les enquêteurs ont dissimulé des éléments les disculpant.
Le «cauchemar»
Un jeune homme de 22 ans, qui a été condamné en première instance, a transmis à Mediapart ces éléments. Resté pendant quatre ans et trois mois en prison, il est revenu sur ce «cauchemar», affirmant qu’«ils ne cherchaient pas les coupables mais des coupables».
Le 8 octobre 2016, deux véhicules de police avaient été la cible d’une vingtaine de délinquants cagoulés à Viry-Châtillon. Deux agents avaient été grièvement brûlés. Le média ne conteste pas la gravité des faits, mais formule des doutes quant aux méthodes d’investigation. Les auditions en garde à vue ont été filmées et ont permis de révéler que leurs retranscriptions par les officiers de police judiciaire dans les procès-verbaux étaient tronquées.
Ainsi, les multiples protestations d’innocence des suspects, leurs explications sur leur emploi du temps, certains échanges téléphoniques ou la mise hors de cause d’autres interpellés n’y figurent pas. Tout comme certaines questions des enquêteurs ou leurs méthodes d’interrogatoire, notamment les pressions exercées. Ces auditions montrent l’acharnement des officiers de police judiciaire à trouver des coupables malgré, dans certains cas, l’absence de preuves.
Il ressort du procès-verbal d’audition du jeune homme, condamné à 18 ans de prison en première instance pour tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique, qu’il «ne se rappelle plus» avoir participé aux faits. Alors que, selon les enregistrements des interrogatoires, il ne cesse de clamer son innocence. Au cours d’une autre audition, un autre suspect le disculpe formellement, mais cet élément disparaît du procès-verbal. C’est face à ces éléments que la cour d’assises de Paris a prononcé son acquittement.
Le 8 octobre 2016, le jeune homme est en famille chez lui, avant de passer à proximité du lieu des faits. Mais durant les dix heures d’audition, les policiers le harcèlent littéralement, exigeant qu’il cite des noms et l’accusant d’avoir participé aux violences. Qui plus est, il s’avère que les agents sont aidés par son avocat de l’époque qui tente de le convaincre qu’il se trouvait sur les lieux et qu’il est peut-être victime d’une perte de mémoire. Interrogé une nouvelle fois, il déclare à propos de l’agression qu’il ne se souvient pas s’il l’a «faite ou pas». Ces doutes sont retenus dans le procès-verbal, à la différence des propos de l’avocat.
Répondre «correctement» aux questions
Par la suite, le jeune homme change d’avocat et la nouvelle déclare qu’«il s’en est fallu de peu pour qu’un innocent soit définitivement condamné». L’avocate du second prévenu, qui a passé 18 mois en prison dans l’attente d’être jugé et acquitté lors du premier procès, indique elle aussi que les explications du jeune homme sur des échanges de SMS et son emploi du temps, ou ses protestations d’innocence, ont disparu des procès-verbaux «qui ont été tronqués».
Toutefois, lors d’une pause pendant un interrogatoire, l’un des enquêteurs, pensant que la caméra était éteinte se déclare «convaincu que, lui, il n’a pas participé». Son collègue partage sa conviction, mais affirme néanmoins qu’il «faut le rattacher au truc [à la procédure]».
Finalement, le jeune homme est présenté comme appartenant à la bande S et susceptible d’avoir été informé de l’attaque contre les policiers, voire d’avoir participé à sa préparation.
Son avocate souhaite savoir aujourd’hui si les policiers ont sciemment «pris le risque de laisser en liberté certains coupables et d’envoyer en détention des personnes qu’ils savaient innocentes».
Deux plaintes
Le Parisien avait révélé il y a près d’un mois que l’avocat d’un des prévenus avait déposé dès la deuxième semaine du procès deux plaintes visant les enquêteurs, également après avoir visionné des vidéos de l’audition de l’un des témoins, rappelle le média qui affirme avoir pu consulter l’une d’elles. Ainsi, les procès-verbaux ne mentionnent pas les «pressions et chantages exercés sur ce témoin pour qu’il dénonce les auteurs des faits du 8 octobre 2016, des flatteries pour l’encourager à faire des révélations», ce qui «enlève au témoignage toute spontanéité» et a «une incidence sur la valeur probatoire de son témoignage».
Enfin, Mediapart indique que même l’un des avocats des policiers a contesté auprès du journal «la qualité de l’enquête» confiée à la sûreté départementale, déplorant qu’elle n’ait pas été délocalisée ou confiée à «un service plus aguerri».
Alors que la défense dénonce également de «graves irrégularités» commises pendant l'enquête, dont des faux en écriture, comme le rapporte Le Parisien, il convient de rappeler que c'est puni par la loi.
Ainsi, «le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l'autorité publique» et cette peine peut aller jusqu’à 10 ans de prison et 150.000 euros d'amende, selon le code pénal. Plus, le même délit commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission est puni d’une peine atteignant 15 ans de réclusion criminelle et 225.000 euros d'amende.
Toutefois, le nombre de ces faux va croissant et ces affaires sont assez courantes, avait précédemment expliqué au Figaro un avocat au barreau de Paris, précisant que ces actes étaient «souvent mis en évidence par la vidéosurveillance».
Le verdict
À l’issue de six semaines de procès à huis clos, cinq jeunes ont été condamnés en appel à des peines de prison allant de six à 18 ans pour l’attaque de policiers à Viry-Châtillon le 8 octobre 2016, où deux véhicules de police ont été la cible d’une attaque d’une vingtaine de jeunes gens au visage dissimulé. La cour d'assises des mineurs de Paris a prononcé huit acquittements.
Le verdict a suscité l'indignation de plusieurs syndicats de policiers, tandis que le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé qu'il recevrait samedi les policiers blessés en 2016.