«On est face à un mouvement particulièrement radical sur cette question du blasphème», alerte au micro de Sputnik Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior à Asia Centre.
Après une semaine d’intenses manifestations anti-françaises, qui ont causé la mort de deux policiers et trois manifestants, Islamabad a décidé de bloquer temporairement les réseaux sociaux ce 16 avril pour tenter de reprendre le contrôle d’une situation qui devenait particulièrement délicate.
Les Français appelés à quitter le Pakistan
«Trois mois plus tard, il ne s’était toujours rien passé et le gouvernement devait trouver une solution avant le 20 avril. La date s’approchant à grands pas, le leader du TLP a donc lancé un appel à la manifestation pour mettre la pression sur le gouvernement quelques jours avant la date butoir», explique Jean-Luc Racine.
Ce nouvel appel à la manifestation le 20 avril à Islamabad, pour demander l’expulsion de l’ambassadeur de France, a valu au leader du parti Saad Rizvi d’être arrêté.
🇵🇰🚨| Des manifestations nationales contre le gouvernement pakistanais sont en cours après l'arrestation du leader du groupe TLP (Tahreek-e-labbaik). pic.twitter.com/ZTHngJWMIK
— Casus Belli 📡 (@CasusBellii) April 14, 2021
Les partisans du TLP ont réagi avec colère à cette arrestation.
«Blasphème au Pakistan, une demande d’application intégrale de la charia»
Le 14 avril, le gouvernement d’Imran Khan a également fait interdire le TLP au nom de l’Anti-terrorism Act (ATA) de 1997. Puis, le 15 avril, l’assistant spécial du Premier ministre pour la communication politique, Shahbaz Gill, a publié jeudi sur Twitter une lettre manuscrite de Saad Rizvi, dans laquelle il appelle à la fin des manifestations. Rien ne garantit toutefois que celles-ci vont s’arrêter. Comme l’explique notre interlocuteur, le blasphème est un sujet sensible en terre d’Islam et plus encore au Pakistan:
«On ne comprend pas toujours très bien de l’étranger cette crispation autour de la question du blasphème au Pakistan. Depuis les années 1970, il y a eu un durcissement de la conception étatique de ce que doit être l’Islam. Pour ces extrémistes, qui ne sont pas intéressés par le djihad, contrairement aux djihadistes qui opèrent au Cachemire, il y a une demande d’application intégrale de la charia.»
Au Pakistan, des lois sur le blasphème très strictes sont en vigueur depuis 1986. Celles-ci vont de la simple amende à la peine de mort, en fonction du délit commis. Depuis quelques années, Jean-Luc Racine note que le débat autour du blasphème au Pakistan s’est électrifié. En cause, plusieurs affaires qui ont secoué les mœurs du pays.
«Cela avait commencé par l’assassinat du gouverneur du Panjab [plus grande province pakistanaise, ndlr] par son garde du corps. Asia Bibi, une femme chrétienne avait été condamnée à mort par la justice pour blasphème. Le gouverneur du Panjab avait suggéré qu’il fallait peut-être revoir cette loi sur le blasphème, ce qui lui a coûté la vie. Son garde du corps l’a tué et a été condamné et exécuté à son tour, et son exécution en a fait un martyr», explique le directeur de recherche.
Ce dernier rappelle d’ailleurs que le Pakistan est une République islamique par sa Constitution. Les islamistes du TLP considèrent que la République pakistanaise n’a d’islamique que le nom et qu’il faut aller beaucoup plus loin dans la redéfinition de ce que doit être la place de l’islam dans la société.
«Ce mouvement et ses satellites gênent terriblement le pouvoir. D’autant que le TLP est connu pour sa capacité à mobiliser les masses», affirme Jean-Luc Racine.
Selon lui, la crainte d’Islamabad est désormais que ce mouvement réapparaisse sous un autre nom. Islamabad est effectivement dans une position délicate, car le mouvement dispose d’une importante assise populaire, souligne le chercheur. Le Premier ministre pakistanais le sait et «il en joue.»
Impact limité dans les relations diplomatiques avec Paris
Fin octobre, Imran Khan avait en effet accusé l’hôte de l’Élysée d’«attaquer l’islam» et de mener une «campagne islamophobe systématique sous le couvert de la liberté d’expression.» L’affaire avait valu à l’ambassadeur de France au Pakistan, Marc Baréty, d’être convoqué par le pouvoir central.
«Évidemment, si le gouvernement décidait de faire un geste vis-à-vis des militants et demandait à Paris de rappeler son ambassadeur, là, diplomatiquement, l’épisode prendrait une tournure différente, mais nous n’en sommes pas du tout là», conclut-il.